Voilà quelques heures que le soleil s'est couché plongeant la ville de Blue Cove dans les ténèbres nocturnes. Mère nature fit alors acte de présence emportant avec elle, l'accalmie de ces dernières heures. La pluie tombait en discontinue, très vite les flaques se formèrent et le vent qui se levait, consentit à rendre la visibilité plus pénible encore. Il pleuvait des cordes et les gouttes véhémentes martelaient sans sommation les carreaux du repère de Jarod qui avait réélu domicile à Blue Cove depuis quelques jours, après avoir répondu à l'appel de Sydney qui sollicitait son aide pour lever le voile sur l'accident de Jane Stanford. Jarod se trouvait dans un quartier assez calme malgré l'aspect populaire alors qu'au loin, 500 mètres tout au plus, les demeures de Mountain Spring Drive paraissaient à la vue des passants. Jamais encore, en un an d'évasion, Wonderboy n'avait été aussi près de Mademoiselle Parker. Le caméléon, branchait sur le canal d'information, scrutait les actualités. Une tempête était annoncée sur Blue Cove pour les jours à venir. Le genre de tempête qu'il ne faut jamais sous-estimer d'ailleurs. Mais pour l'heure, bien qu'attentif aux informations, Jarod avait autre chose en tête.

D'ici quelques minutes, il devait retrouver Kassandra. Ils avaient opté pour la neutralité et quoi de bien qu'un bâtiment désaffecté pour une rencontre au sommet ? Il délaissa donc ses notes et son carnet rouge. Il avait quelques pistes sur son affaire en cours, mais cela pouvait bien attendre quelques heures. Il enfila une veste à capuche par-dessus son t-shirt noir, lassa ses chaussures consciencieusement et prit la route. En chemin, il fit un détour par Mountain Spring Drive. Certaines demeures, à l'abri des regards, se retrouvaient dissimulées derrière d'imposants portails, tandis que d'autres à la vue de tous, semblaient se livrer à une lutte féroce visant à déterminer qui aura la plus belle des pelouses. Cependant, une seule demeure semblait attirer l'intention du caméléon. À travers l'épais voilage du brouillard et malgré l'heure tardive, l'on percevait très nettement une faible lueur émanait de l'imposante demeure en pierre qui lui faisait face. La lueur n'avait de cesse de vaciller, sûrement parce qu'elle n'émanait pas d'une lampe, mais d'une bougie ou d'une autre source non-électrique. Tout se faisait sombre à l'intérieur et l'on comprit très aisément, en apercevant la cheminée en pierre située au milieu du salon, que les flammes dansantes dans l'âtre constituaient le seul éclairage de la pièce. Parker était encore éveillée à n'en pas douter. La tentation de lui rendre visite était grande, mais pas assez pour que le Caméléon ne reprenne la route. Il était attendu et le vent redoublant l'incita à ne pas traîner davantage.

Dans un premier temps, Kassandra avait été en colère et excédée d’avoir reçu des nouvelles de Jarod par mail ? De quel droit se permettait-il de la contacter comme si de rien n’était ? Comment avait-il appris qu’elle était sortie, puisque bien évidemment, ce n’était pas grâce à lui vu qu’il s’était tiré sans elle, préférant privilégier deux autres comparses. Oui, la brunette était très en colère, et Asher avait sans doute remarqué cet état alors qu’elle se trouvait derrière l’ordinateur pour reprendre ses recherches sur sa famille dont elle n’avait toujours aucune piste. Rien ne parvenait à raviver ses souvenirs, c’était rageant. Kassie avait donc prévenu son petit ami que le jeudi soir prochain à onze heures, elle se rendrait à la sortie de la ville dans le bâtiment en ruine à côté du dinner. Elle le rassura aussi sur le fait qu’elle serait rentrée avant le petit matin, heure à laquelle la tempête serait sur Blue Cove. Il s’agissait de grosses intempéries encore jamais vues dans la région, des vents à grandes vitesses qui avaient déjà ravagé les toitures des villes plus au sud où cela avait démarré, sans compter les fortes pluies qui avaient créé des raz de marrée et des innondations.

Le jour J était arrivé. Kassandra avait revêtu un ensemble noir avec une paire de bottes et un blouson en simili cuir et s’était pointée au lieu de rendez-vous avec un peu d’avance, déjà pour éviter de se faire surprendre par la pluie, et puis pour voir arriver son ancien « codétenu ». Elle avait, au préalable, fait le tour du bâtiment en ruine pour s’assurer qu’il n’y avait aucun piège. Elle s’y était rendue en bus, ne voulant pas utiliser le véhicule d’Asher et préférant éviter le moindre soupçon avec un véhicule garé. Une fois à l’intérieur, elle balaya du pied une marche poussiéreuse et s’assit. Il manquait la toiture sur une partie du bâtiment et elle préféra s’abriter de l’autre côté. Soudain, un bruit attira son attention et elle se leva. Elle attendit d’être sure de l’identité de la personne et quand elle en fut certaine, elle sortit de l’ombre.

- Jarod… dit-elle en s’approchant de lui.

Lorsqu’elle fut postée en face de lui, elle prit une grande inspiration et lui asséna une gifle bruyante qui résonna dans le bâtiment.

- Maintenant on est quittes. On ne reparle plus du passé. Alors, quel est ton plan pour faire sortir les autres ? Tu sais, ils ont déjà renforcé la sécurité après que tu sois parti… Je le sais, j’ai dû revoir mon plan d’évasion et y retravailler pendant onze semaines...

Une première rafale de pluie, ébranla l'avancée de Jarod qui en levant les yeux en ciel, eut comme un mauvais pressentiment. Mais n'ayant guère le temps de jouer les météorologues, il se passa une main dans les cheveux, suffisamment humides pour être ébouriffés et reprit son avancée non sans mal. Fort, heureusement, en pénétrant l'intérieur de cette vieille usine à l'abandon, il se défit de l'influence grandissante du vent. Une fois encore et parce qu'ils dégoulinaient d'eau de pluie, Jarod se passa une main dans les cheveux. Ses vêtements étaient quant à eux tellement trempés qu'ils lui collaient à la peau, rendant l'instant plus désagréable qu'il ne l'aurait crû. Le vent redoubla en intensité, sifflant avec ardeur sa plainte monotone. À cela, venait s'ajouter l'écho lointain de quelques gouttes de pluie, qui formaient déjà une petite marre aux pieds du caméléon qui remarqua alors à quelques mètres de là, ce qui ressemblait à une forme humaine. Prenant son courage à deux mains, il s'enfonça un peu plus dans la pénombre pour s'assurer qu'il s'agisse bien de Kassandra qui sortit à son tour de l'ombre en percevant les mouvements d'un hypothétique interlocuteur.

« - Kassandra ! » Le sourire ne désemplissait pas et ce même après ce qui était arrivé. Pour dire vrai, Jarod n'imaginait pas à quel point sa comparse lui en voulait encore, tellement qu'il ne put se résoudre à parer la gifle qu'elle lui assena une fois à sa hauteur. À n'en pas douter, d'ici quelques secondes, passé le choc, une marque rouge prendrait vie sur la joue martyrisée. Conscient, par la violence du geste, de la rancœur de la jeune femme et parce qu'il se savait en tord, Jarod ne préféra pas riposter en la traitant d'hystérique. D'une part, parce qu'il ne le pensait pas et d'autre part parce qu'il n'adhérait pas à la perspective du mâle alpha qui blessait dans son orgueil, rétorque lui aussi par la violence (mais verbale) pour que son autorité ne soit plus contestée. « - C'était désagréable comme préambule, mais je serais malhonnête en faisant entendre que je ne l'ai pas mérité. » Il resta silencieux quelques secondes pour mieux l'observait. Elle avait changé physiquement, c'est un fait, mais aussi dans sa tête. Et pour cause, il se dégageait quelque chose de plus mature dans son attitude. « - Tu as changé ! » ne put-il s'empêcher de laisser entendre alors qu'elle cherchait à s'enquérir de son plan pour sortir les autres de leur prison commune.

« - Je n'ai pas de plan pour être sincère avec toi ! » Et à peine eut-il achevé sa réplique, que le tonnerre commença à se faire entendre tandis que trois secondes plus tard, un premier éclair déchirait l'horizon. « - Il est tout près. Les calculs météorologiques ont été faussés. On dirait bien que les prévisions ne sont plus bonnes. Mieux vaut ne pas rester ici. Je crois que la tempête arrive. » Il était cependant loin de se douter qu'une autre tempête était actuellement en approche.

Dire que Kassandra était remontée contre Jarod était un euphémisme. Un an qu’elle ruminait cette colère contre son camarade en qui elle avait confiance et qui s’était échappé sans même lui parler de son plan, sans même la convier, lui préférant deux autres collègues dont un n’était pas parvenu à sortir. Kassie qui était si joviale et positive en général, nourrissait depuis envers Jarod une énorme rancune. Mais après la claque, c’était comme si tout s’était envolé. Elle était soulagée, elle lui avait déjà écrit ce qu’elle avait sur le coeur, et à présent elle avait pu, en quelque sorte, extérioriser avec ce geste de violence que pourtant elle exécrait. Elle espérait ainsi boucler la boucle et que plus jamais ils ne reparleraient de leurs souvenirs du passé, sauf si c’était utile pour aider les autres. Car oui, l’idée de Jarod n’était pas tombée dans l’oreille d’une sourde, elle voulait aider les autres et s’il avait un plan, elle voulait en être. Elle fit donc abstraction de sa remarque puisque de toute façon tout était dit, oui il l’avait méritée sa baffe. Elle haussa un sourcil en l’entendant dire qu’elle avait changé.

- Toi aussi… C’est normal non ? Bon, on n’est pas là pour parler des super changements dans nos vies.

Elle embraya sur la question concernant la marche à suivre pour libérer les autres caméléons. La brunette tomba des nues en entendant Jarod déclarer qu’il n’avait pas de réel plan. Elle souffla avant de secouer la tête. Puis le tonnerre se manifesta. Les intempéries la fascinaient. Il pleuvait aussi le jour où elle s’était échappée. Machinalement, elle leva les yeux vers le plafond défoncé du bâtiment en ruine, un petit sourire éclairant son visage.

- Oui, commenta-t-elle, ils se trompent souvent. J’aurais dû vérifier quand on a parlé de la date, c’est ma faute…

Il proposait de partir, mais pour aller où ? Elle ne voulait pas écourter une discussion potentiellement si importante, et d’un autre côté, le faire venir chez elle où vivait aussi Asher pouvait être dangereux… Mais avec la tempête, il était peu probable que le Centre vienne les cueillir, personne n’était assez bien payé pour risquer sa vie sous les éléments.

- OK… t’as qu’à venir chez moi. Tu es venu en voiture ? demanda-t-elle. J’ai opté pour les transports pour plus de discrétion, mais c’est parce que j’habite encore ici. Sinon on y va à pied, en courant assez vite on devrait en avoir pour vingt minutes, suffisamment peu de temps pour se faire prendre par le gros de la tempête.

Les rafales de pluie continuaient à ébranler la quiétude de Blue Cove, qui de toute évidence, ne pourrait se résoudre à échapper au passage de cette tempête, sûrement pourvue d'un prénom féminin, histoire d'amoindrir les manifestations de colère de Mère-Nature. Jarod n'était pas surpris, les précisions météorologiques étaient rarement fiables et peut-être que s'il s'était accordé une petite heure en amont, il aurait lui-même put se rendre compte de la bêtise qu'il faisait ce soir, en se rendant ici sous une pluie diluvienne. Toutefois, l'envie de revoir Kassandra fut plus forte que la précaution. La demoiselle lui en voulait et elle avait raison, Jarod le savait, il était fautif et ne chercherait pas à se défendre, ni même convaincre Kassandra. Il aurait dû la libérer, ou au moins essayer plutôt que de réduire à néant ses chances de sortie. Après tout, qui était-il pour prendre ce genre de décision ? Le cœur lourd, il songea également à Eddy et Alex. Si l'un était parvenu à s'enfuir avec lui sans encombre, l'autre avait tragiquement disparu avant même d'avoir vu la lumière du jour. Était-il mort ? En vie ? Que lui avait-on fait subir ? Qu'avait-on fait subir à Kassandra ? « - Oui le changement est normal après plusieurs années. Kassandra… » Il voulait continuer, lui dire qu'il comprenait le ressentiment qui lui était dédié, mais il savait interpréter les signes, traduire les expressions et les mouvements du corps. Son amie était très clairement hostile et sur la défensive, assez pour qu'il comprenne qu'il devait changer de sujet de conversation.

Il était question des « autres » à présent, de ceux et celles qui comme eux deux, figuraient sur les fameux dossiers rouges du Centre et avaient de ce fait, une valeur toute particulière au sein du projet « caméléon » Mais ni l'un ni l'autre ne put se résoudre à développer, car déjà, le tonnerre revenait à la charge annonçant de ce fait, des précipitations encore plus fortes à venir. « - Non, ce n'est pas de ta faute. J'avais le temps de le faire et je ne l'ai pas fait. » Tout naturellement, le caméléon proposa de mettre les voiles. Dans le pire des cas, ils pourraient rejoindre sa planque, à moins bien sûr que la demoiselle ait une alternative. De toute évidence, elle en avait une. « - Donc tu vis ici ? C'est très malin, jamais ils n'auront l'idée de te chercher sous leur nez. Aller, ne traînons pas. J'ai une voiture, je l'ai garé un peu plus loin. Si l'on se dépêche, on a encore une chance d'échapper au déluge. » Les deux caméléons s'apprêtaient donc à quitter les lieux pour rejoindre le moyen de locomotion du Jarod et alors qu'ils entreprenaient d'avancer, une voix familière se fit entendre aux oreilles de Kassandra et à peine quelques secondes plus tard, un homme sortit de l'ombre. « - Qui est-ce ? » lança le caméléon incertain et mal à l'aise d'être observé de la sorte par cet inconnu qui malgré l'hostilité qu'il témoignait à son égard, fit montre d'une grande douceur dans la façon dont il s'adressait à Kassandra. « - Je m'appelle Jarod. Je ne veux aucun mal à Kassandra, soyez en rassuré » tenta-t-il. Asher restait méfiant, mais faute de mieux, il devait faire confiance au caméléon. La joyeuse troupe, tourna donc les talons, prête à regagner la sortie, mais c'était sans compter sur un énième coup de théâtre, armé celui-là.

« - Mademoiselle Parker ! » laissa entendre celui qu'elle se plaisait à appeler Wonderboy. Si dans le regard de la demoiselle la satisfaction semblait de rigueur, il en était tout autre dans celui de Jarod et Kassandra. « - On dirait bien que pour une fois, tu fais correctement ton travail ! » C'était la première fois qu'ils se retrouvaient depuis plus de deux décennies. Jarod était saisi par la ressemblance de la demoiselle avec sa mère et accessoirement sa beauté, mais préféra s'abstenir de tout commentaire. Pour l'heure, il tentait de garder la tête froide malgré une situation plus que tendue. « - Je pense que tu vas devoir remettre ton numéro de chasseur de primes du Centre à un autre jour. » Les menottes qu'elle venait de balancer, résonnèrent sur le sol humide du vieux bâtiment. Jarod restait droit comme un « i » toujours imperturbable, malgré le danger qui portait d'une paire de talons aiguilles cette nuit. « - Il y a une tempête qui approche. Si on ne se met pas à l'abri, il risque d'avoir quelques bobos. Et pour ta gouverne, non, tu n'auras pas le temps de nous ramener. » Il posa un regard sur Asher, qui mâchoire et poings serrés, s'apprêtait à commettre une bêtise. « - Non, ne faites pas ça. Elle tirera je n'en doute pas. » Il reporta alors son regard sur la chasseresse, la toisant presque. « - A toi de voir, si tu préfères la reconnaissance à la survie ! »

Kassandra avait eu un infime espoir et un regain de confiance envers Jarod, ce jusqu’à ce qu’il avoue n’avoir aucun plan concernant l’évasion des autres caméléons captifs du Centre. La brunette soupira, levant les yeux au ciel et secouant la tête.

- Attends, tu prends le risque de me parler de ce projet par internet pour qu’on se voit et en fait t’as encore pas bossé dessus ? … Bon, je te parlerai de comment j’ai fait, mais j’imagine que le système aura encore été modifié après mon départ.


Ensuite, tout se passa très vite. Alors que les deux caméléons avaient décidé de rentrer se mettre à l’abri, une voix familière interpella Kassie.

- Ash ! souffla-t-elle. Mais… qu’est-ce que tu fais là ??

Le coeur serré, elle se rapprocha de lui, abasourdie de le voir avec eux, elle qui s’attendait à le retrouver à la maison. Elle se contenta de hocher la tête quand il supposa que Jarod les accompagnerait.

- Asher, je te présente Jarod, se contenta-t-elle de répondre, davantage pour son petit ami que pour son ancien co-détenu.

Alors qu’ils s’apprêtaient à quitter ces lieux hostiles, un nouveau coup de théâtre les frappa. Mademoiselle Parker. Kassandra crut s’étouffer en la voyant débouler, arme au poing.

- Oh non… s’étrangla-t-elle, sentant son coeur battre soudain la chamade.

Voyant la nettoyeuse les menacer d’une arme à feu, la caméléone se mit instinctivement devant Asher, prenant sa main pour insister sur les paroles de Jarod qui lui déconseillait de faire quoi que ce soit. Pour une fois, la petite brune avait du mal à réfléchir, tout se bousculait dans sa tête, le Centre, Asher qui était tout aussi menacé qu’elle… et la tempête qui faisait rage, Miss Parker qui avait, sans aucun doute, l’avantage. Le bruit des menottes que la fille du directeur leur lança la fit sursauter. Elle regarda Jarod qui semblait décidé à faire entendre raison à celle qui était bien décidée à les ramener d’où ils venaient. Kassandra était terrifiée à l’idée de retourner au Centre, et plus encore à l’idée qu’Asher ne soit blessé ou pire. Elle était de nouveau cette petite fille de sept ans terrifiée lors des nuits sombres dans une cellule sans aucune chaleur humaine. Tout son corps se mit à trembler de manière incontrôlable tant elle était terrorisée. Le moment qu’elle redoutait tant était-il arrivé, ou subsistait-il un espoir ? La tempête pourrait-elle leur venir en aide, comme semblait le sous-entendre Jarod ?

Mâchoires serrées, Jarod tenait le regard. Pour dire vrai, il l'avait plutôt mauvaise de se retrouver dans un tel cas de figure, lui qui jusqu'alors était parvenu à conserver un train d'avance sur ses poursuivants. Il avait beau activer ses méninges rien n'y faisait, aucune alternative sérieuse n'était envisageable et si en plus l'on prenait en compte la tempête en approche, les variables de réussites n'avaient plus lieu d'être. Il le savait, ce n'était pas une simulation, mais bel et bien la vie réelle. S'il voulait avoir la moindre chance de s'en sortir, libre de surcroît, il devait changer de perspective. « Bâtiment en ruines, faillible sous bien des angles » Malgré les menottes et la présence menaçante de Parker, le caméléon prit le temps d'observer les lieux. « - La structure est défaillante. Si l'on reste ici plus longtemps, on s'expose à quelques ennuis. Mais peut-être que de finir enseveli fait parti de ton plan de carrière mademoiselle Parker » lança-t-il plus acerbe que jamais tandis qu'Asher tentait de prendre les devants. « - Kassandra a l'air d'avoir de l'importance pour vous Asher, assez pour ne pas hésiter à me livrer à sa place. Je ne vais pas m'en offusquer. » Oui, Jarod ne lui en tenait pas rigueur, après tout ils ne se connaissaient pas et si vraiment, il tenait à Kassandra, nul doute qu'il serait prêt à tout. « - Toutefois, comme vous pouvez le voir, nous avons affaire à un hic. » Il reposa dès lors son intention sur sa chasseresse toujours empli de certitude et bien décidée à mener à bien la mission qui lui avait été confiée.

« - C'est pourquoi ? Non attends, je reformule ma question ! C'est pour qui ? Question rhétorique en somme. Tu veux toujours faire plaisir à ton père n'est-ce pas ? De ce côté, rien n'a changé de toute évidence. » Toutefois, le caméléon n'eut guère le temps de développer que la foudre s'abattit sur le bâtiment qui leur faisait encore office d'abris. Asher se rua aussitôt sur Kassandra pour la protéger, tandis que Jarod perdit l'équilibre. Il s'en fallut de peu pour qu'il soit touché à son tour à l'inverse de son amie d'autrefois, qui elle se retrouvait bloquée « - Parker ! » l'air inquiet, se délestant presque instantanément de sa méfiance, Wonderboy se précipita sur la demoiselle. Le cœur battant à s'en rompre, il commença à dégager les débris qui maintenait Parker prisonnière. « - Asher aidez-moi ! » L'homme resta stoïque, près de Kassandra. « - S'il vous plaît ! On ne peut pas la laisser là. » L'inquiétude était palpable et Jarod ne ménageait pas ses efforts pour secourir Mademoiselle Parker. « - S'il te plaît, évite de trop bouger. Ta jambe est sûrement cassée ainsi qu'une voir plusieurs côtes. » Asher s'approcha faisant savoir à Jarod qu'il valait mieux partir avant que des renforts ne fassent leur arrivée. « - Non, hors de question de la laisser là ! Partez tous les deux si vous voulez. Je reste ici. »

Dire que Kassandra était morte de trouille était un euphémisme. Ce n’était pas cette arme braquée sur elle qui l’effrayait tant que ça, quoi qu’elle ne mourait pas spécialement d’envie de recevoir une balle, mais la simple idée de retourner au Centre pour ne jamais en sortir, ne plus revoir Asher ni la lumière du jour, ne plus faire de rollers, ne plus manger de glaces et de frites, ne plus continuer à découvrir ce monde extérieur dont elle avait été privée pendant vingt-cinq longues années. Perdre Asher était sans doute le pire du pire qui puisse lui arriver. Lui aussi pouvait être blessé par cette folle qui voulait coûte que coûte les ramener, elle et Jarod. Non, c’était inconcevable. Tétanisée, elle avait à peine à bouger les yeux pour observer chacun des protagonistes. Tout ce qu’elle voulait, c’était qu’Asher parte, qu’il se mette en sécurité, car outre la tempête, mademoiselle Parker était un danger non négligeable. Comme pour tenter de se rassurer, tel un ordinateur, elle se mit à faire des statistiques sur leurs chances de s’en sortir, prenant en compte les paramètres comme la tempête, une balle perdu, une bagarre à mains nues. Mais elle n’eut guère le temps de finir ses calculs que le dialogue entre mademoiselle Parker et Jarod s’acheva par l’éboulement d’une partie du bâtiment sur leur ennemie. Le coeur de Kassie se serra. Elle détestait voir des gens souffrir, les accidents étaient ce qu’il y avait de plus horrible. Soudain, elle se ressaisit. La peur l’avait quittée et ses connaissances en médecine reprirent le dessus. Il fallait sauver la patiente. Kassandra se précipita auprès de Jarod et Parker, tandis qu’Asher faisait de même mais de manière visiblement plus prudente. Elle s’agenouilla et essaya d’évaluer la blessure.

- Il y a quatre-vingt deux pour cent de chance qu’il s’agisse d’une fracture ouverte, en témoigne le sang qui s’écoule à grande vitesse. Il faut lui faire un garrot avant de retirer la pierre.

Elle leva les yeux vers Asher. Lui seul était assez fort pour aider Jarod à soulever l’énorme débris qui retenait la jambe blessée.

- Je t’en prie, il faut qu’on l’aide. Fais-le pour moi, s’il te plaît.

Sans attendre, Kassie dénoua le foulard qu’elle avait autour du cou et effectua un garrot bien serré autour de la jambe de mademoiselle Parker. Ça lui ferait sûrement très mal, mais cela permettrait qu’elle ne meurt pas d’une hémorragie.

- J’espère que l’artère n’est pas touchée… Le souci, c’est qu’aucune ambulance ne circulera. Dans tous les cas, si la fémorale est perforée, elle va se vider de son sang en quelques secondes, dit-elle à l’attention de Jarod qui semblait le plus inquiet.

Kassie se mit à réfléchir à toute vitesse.

- Essayez de vous détendre, de respirer calmement. Plus vous vous énervez et plus votre rythme cardiaque augmente, ce qui augmente le flux de l’hémorragie.

Sans doute allait-elle se faire envoyer chier, mais au moins, Kassandra aurait fait son maximum.

- Bien, voilà ce qu’on va faire, à trois, les garçons vous soulevez le bloc et moi j’appuie sur la plaie pour limiter l’hémorragie.

C’était ça le plus urgent, il fallait agir. Ensuite, il faudrait qu’elle aille au plus vite à l’hôpital pour être désinfectée.

- Tout le monde est prêt ? Un… deux… trois !

Mademoiselle Parker aurait sûrement la pire douleur de sa vie au moment où l’énorme débris serait soulevé de sa jambe, et peut-être même qu’elle perdrait connaissance à nouveau. Peut-être serait-ce le mieux pour elle.