J’étais si heureuse d’avoir enfin une identité, la mienne. Savoir d’où je venais, connaître mes racines, mes parents, ma sœur et mon grand-père, connaître ne serait-ce que mon vrai nom et ma date de naissance. Des choses basiques pour tout un chacun, mais qui m’avaient été retirées alors que je n’étais âgée que de sept ans. Aujourd’hui, même si le danger planait toujours à cause du Centre qui nous recherchait, Jarod et moi ainsi que le jeune caméléon que nous avions réussi à faire évader, je me sentais plus forte bien que je demeure très inquiète pour ma famille. J’avais peur d’être un danger pour eux, si le Centre retrouvait ma trace. Mais j’avais décidé de voir la vie du bon côté et d’être optimiste. Je faisais toujours preuve de prudence dans tout ce que j’entreprenais et le Centre devait me penser loin de Blue Cove. Ce que n’importe qui aurait fait après tout, fuir le point névralgique. Mais à présent que j’avais ma famille ici, sans compter mon fiancé Asher qui, lui aussi, cherchait des réponses sur son passé, je ne pouvais me résoudre à partir. La conversation avec ma mère me faisait réfléchir, elle était révoltée et voulait faire tomber le Centre pour qu’aucune autre famille n’ait à subir ce qu’ils avaient subi avec ma disparition. Et bien sûr, je partageais son avis, mais j’étais contre le fait de lui donner des informations qui la mettraient en danger, je n’avais donc rien dit. Je redoutais que mon grand-père n’essaie aussi d’en avoir, je ne savais pas si je parviendrais à lui résister, mais j’avais une telle envie d’être aux côtés de mes proches que j’avais accepté avec grand plaisir son invitation à prendre un café.

Je ne voulais pas arriver les mains vides, et je n’allais pas lui ramener un bouquet de fleurs que j’avais cueillies comme je l’avais fait pour ma mère, car je me doutais que ce ne serait pas son truc. Je voulais lui faire quelque chose moi-même mais la seule chose que je maîtrisais, c’était les pancakes, que Asher m’avait appris à faire peu de temps après notre rencontre. Je n’avais guère eu le temps d’apprendre grand-chose en cuisine, mais j’étais certaine que ma mère m’aiderait à rattraper le temps perdu. Me voilà donc pourvue d’un plat à gratin couvert de papier aluminium avec des pancakes maison à l’intérieur, à sonner chez mon grand-père, le coeur battant. J’étais nerveuse, parce que j’avais peur de ne pas être à al hauteur de ses attentes, ne pas correspondre à l’image qu’il se faisait de moi. J’avais voulu une famille depuis si longtemps, et enfin je l’avais, mais je redoutais qu’ils ne soient déçus par ce qu’ils avaient récupéré. Il m’ouvrit la porte avec ce beau sourire qui le caractérisait. Je revoyais les discussions avec Lexie qui me parlait de son grand-père, avant que je sache que c’était aussi le mien, et mon coeur se remplissait de joie.

- Bonjour ! lançai-je en me collant contre lui et le serrant de ma main libre. Oh tiens, c’est pour toi.

Je lui tendis le plat avant de me mettre à rire.

- Tu sais, les hémorroïdes ne sont pas dus au froid. Les facteurs sont plutôt  la constipation, une alimentation faible en fibres, l’obésité, la grossesse et l’accouchement, l’affaiblissement des muscles pelviens et rectaux, une station assisse fréquente et prolongée… Est-ce que tu manges assez de fibre ?

Quel bonheur d'enfin voir mon grand-père et en apprendre plus sur la famille et sur moi-même à ses côtés ! J'espérais que la mémoire me reviendrait avec lui car de ce que j'avais compris, je passais beaucoup de temps avec lui étant enfant.
Je lui avais confectionné des pancakes et avec son humour presque légendaire, il me demanda si ça se mangeait avec du café.

- Oui, c'est parfait vu que c'est un petit déjeuner. J'ai pensé que ce serait bien.

J'entrai suite à sa remarque sur les hémorroïdes qui me fit rire avant de lui expliquer que je ne risquais rien, m'inquiétant ensuite de sa consommation de fibres. Après tout, peut-être que lui rencontrait ce problème. Mais il semblait en être préservé, tant mieux pour lui, ça n'avait pas l'air drôle du tout comme souci... un peu comme tous les soucis de santé en fait.

- Pourtant c'est bon les petits pois... Il faut quand même manger des légumnes verts, papy. Le brocoli, les épinards, les haricots verts, c'est très bon pour la santé, soulignais-je malgré l'amusement que suscitait chez moi sa remarque sur les petits pois diaboliques.

Mon grand-père était vraiment une personne très amusante.

- Oh le café, si tu as du lait d'amande, ou sinon noir. Merci.

J'observais les tasses qu'il avait sorti et ne pus m'empêcher de poser mes doigts sur le motif de la porcelaine... J'avais un sentiment familierm, de déjà-vu comme on dit... Se pouvait-il qu'enfant, j'ai déjà vu le même service chez mon grand-pêre ?
Sa voix me sortit de mes interogations et je hochai la tête.

- Bien sûr que je vais t'aider, avec grand plaisir, j'adore les pancakes. C'est Asher qui m'a appris à les faire, et je dois dire que c'est vraiment chouette de pouvoir varier les petits déjeuner.

Au Centre, j'avais mangé la même chose tous les matins pendant vingt-cinq longues années. En moins de temps qu'il n'en fallut pour le dire, papy avait tout mis sur la table, nous étions prêts à nous régaler. Je pris une fourchette pour lui servir une pile de pancakes avant de faire pareil dans mon assiette. J'avais appris qu'il ne fallait pas se servir en premierm sauf si on y était invité.

- J'espère que tu vas aimer, dis-je tout sourire. J'ai hâte que tu me racontes tout un tas de choses sur notre famille. Sur Lexie, les parents et bien sûr toi.

J'avais un peu peur de tomber dans un tourbillon de questions, je savais que j'avais tendance à en poser beaucoup et qu'il fallait que je me réfreine un peu parfois. Je redoutais aussi les siennes. Avec ma mère, ça avait été difficile de devoir couper court au sujet de mon enlèvement parce que j'avais peur de la mettre en danger en lui révélant des informations sensibles... Mais Papy était militaire, arriverais-je à résister si c'était lui qui essayait de me tirer les vers du nez ?

L'avis de mon grand-père sur les légumes était vraiment drôle, il employait de ces métaphores ! Je n'avais pou m'éempêcher de rire, mettant mes mains devant ma bouche comme je le faisais enfant. Et cette façon qu'il avait de parler de son épouse décédée, Betty, c'était si beau.

- Est-ce que je l'ai connue, grand-mère Betty ? demandai-je pleine de curiosité.

Il voulait vraiment le boirem ce café, et je trouvais que c'était une bonne idée. Je n'avais pas pris de petit déjeuner pour le prendre avec mon grand-père , café et pancakes, je trouvais cela délicieux. Sa réponse sur les amandes me fit rire une nouvelle fois.

- Tu es vraiment drôle tu sais, dis-je joyeusement. Les amandes ne sont pas des mammifères, c'est vrai, mais moi je suis un mammifère qui a fini sa croissance, donc comme je n'ai plus besoin du lait de ma mère, je ne vais pas boire non plus celui d'un autre mammifère, répondis-je en haussant égèrement les épaules avec une légère nonchalance.

Une fois installée à table en face de lui, j'observais les lieuxm sourire aux lèvres devant les photos présentes un peu partout. La photo d'une fillette qui semblait plus ancienne que les autres photos me fit comprendre que c'était sûrement moi dessus. J'avais hâte qu'il me parle de nous, et j'avais amorcé cette demande, mais sa réponse me figea un peu. Tout comme je l'avais redouté avec maman, il me demanda où j'avais été tout ce temps.

- Euh... je... je voulais savoir tes anecdotes de familles. Et euh... où j'étais, c'est... c'est difficile à dire. C'était en sous-sol. Je... je te remercie de m'avoir cherchée.

Je tâchai de me concentrer sur ce que m'avait dit Asher. Si je ne voulais pas dire la vérité ni mentir, une demi-vérité pouvait suffir.

- Ce sont des gens dangereux, je voudrais ne pas en parler, ça va te faire du mal pour rien. Et moi, tout ce que je veux, c'est que tout le monde aille bien.

Là, j'étais un tout petit peu stressée quand même. Maman m'avait dit que Papy était tenace et je l'avais tout de suite remarqué. Peut-être que je tenais cela de lui. Du bout de ma fourchette, j'attrapai à mon tour un pancake que je déposai, légèrement tremblante, dans mon assiette.

- Est-ce que tu les aimes, mes pancakes ? demandai-je timidement en sentant mon coeur se réchauffer à la vue de son sourire.