Le retour à la réalité n’est jamais facile, plus encore lorsque votre mémoire est défaillante. Chaque souvenir est comme le plus précieux des biens, qu’il faut manier avec précaution. Mais il faut aussi accepter de s’appuyer sur les autres ; chose dont Asher n’était pas familier, lui qui avait toujours appris à se débrouiller seul. Sauf qu’à présent il ne l’était plus.

« — Oui, je ne savais pas. » Le ton était las tant il s’en voulait, malgré tout, d’avoir travaillé dans ce lieu à l’origine de tant de souffrance pour Kassandra. Il ne fallait pas s’attarder là-dessus, cela n’avait plus aucune importance puisque ce Centre comme bon nombre de personnes était loin d’imaginer que l’enseignant avait survécu à cet accident de voiture suite à une rencontre orchestrée par cette fameuse Elizabeth Fitzgerald en qui Kassie n’avait aucune confiance ; à juste titre puisqu’elle œuvrait pour le Centre.

« — Donc tu crois que je devrais la mettre en bonne position sur la liste des suspects ? J’imagine que je tentais de lui faire confiance parce qu’elle détenait prétendument des informations sur mon passé. » Et alors qu’il cherchait des coupables, un nom lui revint en tête. Malheureusement pour lui, « Sullivan » ne disait rien à Kassie, mais il devait aller au bout de la chose et tâcha de réunir ses souvenirs pour raconter cette vision étrange qu’il avait eue lorsqu’il était à l’hôpital.

« — Je ne sais pas ce que c’était, mais cela semblait si réel. Et ce type a bien parlé de ce nom “Sullivan.” Il ne voulait pas que j’oublie. Et si c’était mon père ? Et si c’était mon véritable nom. Tu viens de me dire que j’avais des souvenirs déjà enfouis avant l’accident. Peut-être que ça commence à remonter à la surface. Je m’emballe sûrement. C’est encore tout embrouillé dans ma tête. » Il poussa un long soupir, se rendant compte au passage qu’il était peut-être temps de sortir de l’eau.

« — Je crois que sortir d’ici est une première bonne idée. Pour le reste, je ne sais pas. J’ai l’impression que je ne devrais pas trop me précipiter. Et peut-être que je flippe un peu de ce que je pourrais découvrir. Tu as raison, on va prendre le temps qu’il faut. J’ai bien avancé hein ? »

Ne pas le brusquer, c'était le maître-mot. Même amnésique, le tempérament impatient d'Asher était toujours là, et il voulait aller vite, plus vite que la musique, il voulait déjà être guéri et être en pleine possession de ses souvenirs. Comment lui en vouloir ? Après tout, c'était normal, n'importe qui serait frustré dans une telle situation. Kassandra le savait, mieux que personne d'ailleurs, mais elle avait aussi conscience que l'état de son fiancé et son amnésie dûe à un traumatisme physique n'étaient pas à prendre à la légère, il fallait y aller progressivement au risque sinon de produire l'effet inverse et intensifier ses troubles.

Le voir tant culpabiliser en apprenant la vérité sur son lieu de travail, relié à l'organisation qui l'avait retenue contre son gré depuis toutes ces années avaient vrillé le coeur de la caméléone qui avait immédiatement fait son possible pour le rassurer. Et surtout, elle voulait qu'il soit prudent. Elle le savait tête-brûlé, mais ce n'était pas le moment de mettre un coup de pied dans la fourmillière.

- Je n'en sais rien, Asher. Mais j'avoue que je n'étais pas sereine quand je te savais avec elle. Je n'ai confiance en personne là-bas... Pas même en Stan.

Dire cela à voix-haute lui faisait bizarre. Stanley avait été son précepteur, sa référence, celui qui faisait le plus office de figure paternelle durant ces longues vingt-cinq années de captivité. Si avant, elle lui vouait une confiance et un amour sans faille, à présent qu'elle était dehors, Kassie réalisait qu'il ne s'était pas exactement conduit comme un père. Quel pèere accepterait que sa fille soit ainsi traitée, prisonnière et exploitée ? Son vrai père, Aaron, avait des réactions totalement différentes, et c'était ça la famille.

Puis, Asher lui parla de sa vision, de son rêve, de ce nom, "Sullivan". La brunette cherchait dans sa mémoire plutôt infaillible mais jamais elle n'avait entendu ce nom-là de la bouche de son fiancé.

- C'est une possibilité, effectivement. Mais n'allons pas trop vite en besogne, d'accord ? C'est peut-être les bribes d'un vrai souvenir, mais peut-être aussi que ton cerveau te transmet des informations emmêlées de plusieurs souvenirs. Pour le moment, je trouve que tu en as déjà fait beaucoup, dit-elle avec douceur en se blottissant contre lui.

Les bras enlacés autour de lui, elle leva la tête pour le regarder dans les yeux avec un sourire.

- Oui, c'est impressionnant tous ces progrès. Mais ne t'en demande pas trop, d'accord ? Tu vois, là c'est en ne cherchant pas que tes souvenirs sont revenus. Essaie de te détendre, sans vouloir précipiter les choses. Je suis fière de toi, tu sais.

En effet, il vivait des choses extrêmement difficiles et il ne se laissait pas abattre. Il faisait un peu office de héros aux yeux de Kassandra.