Presque mort. Voilà l’impression que lui donnait son amnésie ; bien que son corps de par la multitude de douleurs qui le secouait, lui paraissait bien vivant. Et que dire de cette charmante jeune femme qui le regardait avec tant de bienveillance et dont il ne se souvenait pourtant pas ? C’était d’une tristesse effarante et pour elle cela relevait certainement de la torture. Malgré tout, elle tâchait de ne rien laisser paraître. Mais il ne fallait pas être pourvu d’une intelligence hors-norme pour comprendre qu’elle souffrait. Conscient de cela, l’ancien militaire voulait dès à présent faire quelques efforts et cela commençait par l’utilisation de la seconde personne du singulier lorsqu’il s’adressait à elle.

— J’imagine que vu notre lien, il est idiot de continuer à vous vouvoyer… enfin, te dire vous , tentait-il pour se rattraper aussitôt. Nonobstant ses tentatives, il continuait à se sentir légèrement mal à l’aise en sa présence malgré le fait qu’elle soit sa fiancée. Malgré tout, il prit sur lui pour lui présenter ses excuses, car lire tant de peine dans le regard de la jeune femme, lui brisait le cœur.

 — Je ne sais pas si c’est de ma faute…  commençait-il alors que celle qui se faisait appeler Sandra, s’approcha et vint poser une main rassurante sur celle de son patient d’un jour ; qui surprit par le geste retira presque aussitôt la sienne en l’affublant d’un léger  — Ça reviendra !  auquel il croyait à peine.  — Excuse-moi, je… C’était sûrement un réflexe.  Il semblait si désolé sur l’instant et défaitiste par la suite ; une attitude qui ne trouvait pas grâce aux yeux de Kassandra qui arbora un tout autre visage face à cet Asher.

« — Non ne vous… ne t’excuse pas. J’aurais dû m’abstenir de sortir ça comme ça. C’était débile, c’est juste que sur l’instant je…  Il se tue pour chercher ses mots, les bons cette fois.  — Je suis un peu perdu. Je sais, ça n’est pas une excuse.  Il se mordit aussitôt la lèvre inférieure et baissa le regard avant de prendre une grande inspiration, non sans mal à cause de la douleur, qui semblait peu encline à lui foutre la paix.

— Je crois que je n’étais pas du genre patient n’est-ce pas ?  Une sensation éprouvée à l’idée d’entrevoir toute la rééducation dont il allait avoir besoin pour se remettre d’aplomb, sans compter sa quête identitaire qu’il n’était pas certain de vouloir mener présentement.  — Allons-y étape par étape.  Et presque aussitôt, Kassandra consentit à offrir quelques précieuses informations à son interlocuteur bien aimé, qui ne la quittait plus du regard et faisait montre d’une attention à toute épreuve.

 — Bien si c’est ainsi que je me suis présenté, j’imagine que c’est ainsi que je m’appelle.  Sullivan ne lâchait pas son esprit malgré tout et il se faisait la promesse de creuser un peu plus cette piste lorsqu’il en aurait l’occasion. Puis l’ange gardien disparu l’espace d’un court instant pendant lequel Ash souffla longuement et se prit la tête entre les mains. Ensuite, tout s’accéléra, une batterie de tests, plusieurs questions posées, des observations parfois désagréables qui permirent à l’ancien militaire de quitter les lieux en compagnie de « Sandra » qui se montrait si prévenante.

Ils se retrouvèrent donc dans la maison du lac, leur coton. La jeune interne vint aider son fiancé à sortir ; ce dernier observait les lieux avec attention et sentit presque aussitôt envahir par une intense quiétude qui le fit sourire. — C’est vraiment très joli par ici. Je veux bien rester sur la terrasse, mais fais-moi visiter avant s’il te plaît !

Voir celui qu’elle aimait, qui lui avait appris ce que c’était d’aimer, dans un lit d’hôpital, et ne plus se souvenir de sa vie, était une épreuve pour Kassandra, mais elle se raccrochait au fait qu’elle le savait un battant, et les connaissances médicales de la caméléone la confortait dans l’idée qu’il redeviendrait lui-même, tôt ou tard. 93 % de succès après une amnésie traumatique physique. Voilà le leitmotiv de la jeune interne quand elle regardait son fiancé qui la dévisageait comme si elle n’était qu’une étrangère ou lorsqu’il retirait sa main du contact qu’elle avait amorcé avec la sienne.
Sans doute un peu submergée par ses émotions, Kassie réalisa qu’elle avait été un peu sèche avec Asher en lui répondant. Elle qui était si optimiste se heurtait au pessimisme du patient à peine réveillé. Mais elle s’était excusée immédiatement et lui avait visiblement pris sa part de responsabilité sur ce léger heurt.

Finalement, après plusieurs heures de tests et l’assurance auprès des différents médecins et chef de service que le Dr Sandra Collins saurait s’occuper de son fiancé de patient à la maison ils purent rentrer tous les deux. Un réel soulagement car Kassandra savait que les patients guérissaient et recouvraient mieux leurs souvenirs en étant stimulés. Les sens, déjà, et les souvenirs aussi, avec des lieux ou objets familiers. Quoi de mieux alors que de rentrer chez lui ?

- Bienvenue chez toi, lança-t-elle en l’aidant à sortir du véhicule.

Elle le soutint du mieux qu’elle pouvait alors que lui voulait déjà visiter la maison avant de se poser sur la terrasse.

- Doucement, tu as été alité pendant deux semaines, il te faut quand même ménager tes muscles. On va déjà voir le rez-de-chaussée. Si tu te sens de monter à l’étage, on ira, sinon on peut attendre ce soir.

Ils montèrent les quelques marches en bois qui les séparaient du porche et la brune déverrouilla la porte, espérant que voir leur intérieur pourrait commencer à l’aider.

- Tu voulais une maison près d’un lac, et comme tu vois, on est servis, dit-elle avec un sourire.

En effet, depuis la baie vitrée sur le côté, la vue sur le lac était magnifique et imprenable. Ils étaient seuls, nichés dans cet écrin de verdure réconfortant.

- Le salon, la cuisine, les toilettes ici. A l’étage on a trois chambre et une salle de bain. Est-ce que tu veux t’asseoir ?

Elle avait si peur que, comme toujours, il ne ménage pas ses efforts et que cela lui joue des tours. Kassandra l’aida à s’approcher de la baie vitrée pour qu’ils puissent s’installer sur la terrasse en bois.

- Je peux te préparer un truc à boire… du café, une infusion, ou, je sais pas, qu’est-ce qui te fait envie ? Est-ce que tu as faim ?

Malgré l'heure avancée de l'après-midi, le soleil restait bien présent, comme pour accueillir Asher chez lui.

La situation était tendue, chaque regard posé sur « Sandra » laissait un gout amer et l’impression de marcher sans arrêt sur des œufs. Elle était « gentille » assez pour qu’Asher fasse de son mieux pour lui éviter les désagréments d’une trop grande peine de cœur. Malgré tout, il n’en demeurait pas moins un piètre acteur et peinait à dissimuler le fait d’être mal à l’aise en sa compagnie, dans ces lieux. Comment diable pouvait se sentir bien entre quatre murs blancs, appareillé presque de la tête aux pieds avec en arrière fond, cette odeur aseptisée « de rien. » Mais pas un « rien » insignifiant ; non celui-là se voulait désagréable, voire oppressant. Pourquoi n’y avait-il pas des dessins (même moches), des fleurs, des ballons, ces petits riens qui témoignent d’un semblant de vie ?

Cependant, l’ancien militaire ne pouvait se résoudre à rester hostile ; il était vivant et se devait d’être reconnaissant pour cette chance qui lui était offert, et ça commençait par plus de tolérance, plus d’optimisme et moins d’aigreur. L’air désolé, il échangea un furtif regard avec la pauvre Sandra qui peinait à contrôler ses émotions, assez pour sortir de ses gonds. Conscient d’être aller trop loin, le patient d’un jour consentit à présenter un semblant d’excuse qui scellait les prémisses d’un échange plus apaisé entre nos deux protagonistes, qui devaient dès lors apprendre à se redécouvrir.

Asher avait la bougeotte malgré l’inconnu et il était prêt à tout accepter pour quitter l’hôpital ; même une batterie de tests face à des médecins, de prime abord sceptiques. Les hommes en blouse blanche étaient loin de s’imaginer qu’ils étaient confrontés à la pire des têtes de mule. Force est de reconnaître que l’hospitalisé était en état de sortir, l’on consentit à lui faire signer une décharge sous le contrôle de la non moins charmante « Sandra » qui ramena son fiancé jusqu’à leur petit chez eux. Quelle ne fut pas la surprise d’Asher en découvrant les lieux presque perdus en pleine nature !

— Donc c’est ici qu’on vivait ? Il était tellement excité par la découverte qu’il omit le fait qu’il ne pouvait trop solliciter ses muscles ; et pour cause, il était resté deux semaines dans le coma ; un contre coup qu’il sentit arriver bien rapidement. — J’ai… Je crois que je vais m’asseoir, c’est préférable. La tête tournait et ce corps autrefois athlétique, galérait à se mouvoir avec aisance, ce qui faisait peine à voir. Mais Asher étant Asher, il se reprit immédiatement balayant du revers de la main les inquiétudes de « Sandra » et c’est avec son soutien qu’ils parvinrent à rejoindre le porche pour pénétrer l’intérieur du domicile.

— Ça m’apaise on dirait. Sans doute que j’étais fan de nature et que ce n’est que dans ce genre d’endroit que je me sentais bien. Il prenait des pincettes presque pour chaque mot et cherchait sans arrêt l’approbation de son interlocutrice. Il se posa ensuite devant l’imposante baie vitrée qui donnait sur le lac. — C’est joli en tout cas. La fatigue ; vile traitresse ; pointait à nouveau son nez, l’obligeant à acquiescer lorsque Kassandra lui demanda s’il voulait s’asseoir.

— J’espère que je vais vite récupérer. Au petit soin, sa fiancée l’aida à prendre place sur la terrasse. — Pour l’instant, je n’ai envie de rien sauf peut-être quelque chose de plus mangeable que ce qu’on nous servait à l’hôpital. Après ça va, j’ai le temps, donc ne te sens pas contrainte de tout faire à la seconde.

La joie de ramener Asher à la maison était palpable, même si Kassie savait qu’elle devait faire preuve de retenue, étant donné que lui ne se rappelait de rien. C’était si étrange. En coupant le contact face à leur maison, elle se rappela la première fois qu’il l’avait emmenée ici, il avait loué la maison sans rien lui dire et elle avait tout découvert le jour de l’emménagement. Toutes les affaires de la caméléone tenaient alors dans un sac à dis pour enfant à l’effigie d’un ours en peluche.

Sans attendre, l’interne vint aider son fiancé à sortir de la voiture puis se déplacer vers la maison. Elle savait qu’il aurait du mal à marcher au début, mais ayant été très sportif, même si la masse musculaire avait un peu fondu, ce serait plus facile pour lui de récupérer que pour un patient plus « ordinaire ».

- Oui, tu aimes beaucoup la nature, répondit-elle en souriant. Tu m’as fait découvrir le bonheur de juste s’étendre sous un arbre et regarder les feuilles, et aussi observer les étoiles la nuit.

Elle qui n’avait pour ainsi dire aucun souvenir de la vie en extérieur avant sa sortie du Centre, on pouvait dire que l’ancien militaire lui avait tout appris de la vie.
Kassandra l’aida à s’asseoir sur l’une des chaises en bois sur la terrasse et resta debout face à lui, prête à répondre à la moindre de ses demandes.

- Tu as bon goût en effet. Tu vois l’arbre là-bas, c’est là qu’on aime aller s’installer pour faire un pique-nique, ou juste se détendre. Et tu fais les meilleurs sandwichs beurre de cacahuète et confiture de framboise du monde ! ajouta-t-elle avec entrain.

Elle hocha ensuite la tête sans le quitter du regard.

- Tu vas vite récupérer, dès demain je te fais faire de la rééducation. Tu es déjà musclé, tu ne devrais pas avoir trop perdu en deux semaines, ça va aller ne t’en fais pas. Ce sera juste un rythme à reprendre pour ton corps qui a été au repos longtemps.

Le corps, ça irait. C’était le psychique pour lequel s’inquiétait la jeune médecin.

- Oui, t’inquiète, je vais commander à manger dans le resto que tu préfères. Et demain matin, je te préparerai des pancakes. C’est toi qui m’as appris à les faire. Et euh… ma mère m’a appris quelques recettes juste avant ton… accident. Alors je vais essayer de les refaire demain.

Se souviendrait-il qu'elle ne savait pas du tout cuisiner ? Elle voulait essayer de stimuler un peu sa mémoire mais sans pour autant le brusquer, il venait tout juste de rentrer.

- Est-ce que tu sais quel type de nourriture tu préfères ? Attends...

Elle passa un bras vers l’intérieur de la maison pour attraper des flyers de divers restaurants posés sur le meuble juste à côté de la baie vitrée. Elle les déposa devant lui.

- Lequel est ton préféré ?

Ce serait peut-être un bon début pour démarrer.

Tout semblait si simple de prime abord. Alors pourquoi la mémoire d’Asher continuait-elle à lui jouer des tours ? Pourquoi en ces lieux censés être familiers, rien ne lui revenait, pas même l’ombre d’une sensation ? Tout n’était que brouillard ; une brume si épaisse que le quadragénaire se demandait si un jour, il parviendrait à revoir la lumière. Et comment ne pas se sentir coupable en voyant les efforts accomplis par la dénommée « Sandra » pour que celui qui était censé être son fiancé soit le plus à l’aise possible ? « La pauvre » semblait de terme adéquat. Cependant, elle n’était pas résignée et ne manquait pas d’espoir contrairement à Asher.

Ensuite, il fut surpris par l’attitude de la jeune femme qui oscillait entre deux états. D’un côté, le professionnalisme inhérent à sa carrière médicale ; l’on imaginait bien qu’elle maitrisait son sujet, assez pour que l’on ne doute pas de ses facultés. Mais d’un autre côté, il se dégageait d’elle quelque chose d’extrêmement enfantin, voire de naïf. Le contraste était saisissant, assez pour qu’Asher en vienne à se poser d’innombrables questions, comme s’il ne s’en posait pas assez.

 — C’est étrange ! Je ne me pensais pas être du genre à faire découvrir les bienfaits de la nature à quelqu’un.  Donc il aimait cet environnement, du moins c’est ce que les paroles de « Sandra » laissaient imaginer. Dès lors, il se mit à visualiser divers scénarios, allant d’une vie passée en pleine nature à une existence urbaine qui l’avait ensuite menée à découvrir sur le tard, les joies de la nature.

A présent assis, car il ne pouvait se résoudre à rester debout trop longtemps, il observait les lieux. Son attention se focalisait presque sur chaque détail, allant de l’étendue d’eau plus loin, à la chute d’une feuille fraichement séparée de son arbre. Ainsi, il voulait donner de l’importance à chaque chose, espérant de ce fait réactiver sa mémoire défaillante. Mais rien ne venait pour l’instant et faute de mieux, il préférait se concentrer sur l’échange avec « sa fiancée. » Dès lors, la jeune femme consentit à lui fournir plus de précisions sur leur vie ensemble. Ainsi, elle désigna un arbre, qui se trouvait à quelques mètres de la terrasse. L’ancien militaire esquissa un léger sourire à l’évocation de cette anecdote sur ses talents culinaires en matière de préparation de sandwich.  — Au moins j’ai un talent. Cependant, il va falloir que je réapprenne à manier la framboise et le beurre de cacahuète. 

Vint ensuite la question de la rééducation qui était au centre des préoccupations de l’ancien enseignant de l’ICP. Dès lors, la candeur de Sandra s’éclipsait à nouveau pour que paraisse le visage du médecin, ce qui rassura presque aussitôt Ash.  — Je ferais ce qu’il faut pour récupérer ce que j’ai perdu, que ça soit au niveau du corps et de la tête  qu’il désigna du bout du doigt. Il se voulait un tantinet léger malgré les récents évènements et agir de la sorte était sa façon à lui de se montrer reconnaissant.

 — Merci, vraiment. J’ai conscience que pour toi aussi ça ne doit pas être facile. En tout cas, je suis rassuré de savoir que tu avais ta famille pour te soutenir. Et je serais ravi, d’être ton cobaye pour tester les recettes que ta mère t’a apprise.  La jeune femme testa aussitôt son compagnon, lui demandant quel type de nourriture avait sa préférence et pour se faire, elle déposa devant lui, plusieurs flyers qu’il observa avec attention.

 — C’est un test ? Parce que si c’est le cas, ça ne risque pas d’être prometteur. Là, j’ai juste faim et à vue d’œil tout ce qui est sur ces flyers me donne envie. 

La joie revoir Asher à la maison était incommensurable pour Kassandra qui avait passé deux semaines plus qu’éprouvantes. Il était là, certes avec quelques petites défaillances, mais il avait surmonté le plus difficile, il avait survécu à l’accident et aux multiples interventions chirurgicales qui avaient réparé son corps, alors l’espoir était permis quant à son esprit. La caméléone faisait de son mieux pour que son fiancé de patient se sente à l’aise. Elle se doutait que ce devait être troublant pour lui, mais elle parvenait sans mal à comprendre ce qu’il traversait. Elle-même avait une partie de sa mémoire totalement effacée, et avait appris à découvrir tout un mode de vie, celui de l’extérieur. Asher, lui, en connaissait déjà les rouages, il fallait juste l’aider à retrouver ce qu’il avait toujours connu. Le sourire de la brunette s’accentua avec affection quand l’ancien militaire déclara qu’il ne se pensait pas être le genre à faire découvrir les bienfaits de la nature.

- En vérité, tu m’as fait découvrir bien plus que ça. Quasiment tout, pour ainsi dire.

Elle lui parla alors des sandwich qu’il lui préparait, beurre de cacahuète et confiture de framboise, et qu’elle aimait manger sous cet arbre quand ils se retrouvaient ensemble là-bas pour un peu de quiétude après une grosse journée de travail ou le week-end.

- Je sais que tu es très volontaire, tu vas y arriver, il faudra juste un peu de patience et ne pas trop te surmener. Mais fais-moi confiance, on va y arriver.

Elle avait si envie de le serrer dans ses bras, de l’embrasser, mais elle ne voulait pas le brusquer. Elle comprenait parfaitement que pour lui, elle n’était qu’une inconnue. Et lui se rendait compte que la situation était aussi très complexe à vivre pour elle.

- Tu as toujours été si attentionné avec moi. Oui, c'est vrai, c’est… pas facile. Mais tu sais, je suis tellement soulagée que tu sois en vie ! Alors je sais que tout ira bien. J’en suis même certaine. Ce n’est qu’une question de temps. J’ai étudié la question en long, en large et en travers… même si une question ne se mesure pas… cette expression est étrange mais tu m’as dit qu’elle est usuelle. Enfin bref, j’ai étudié la question, et les taux de recouvrement de la mémoire sont bons. Pour faire simple, je sais que tu n’aimes pas quand je pars dans des explications scientifiques, c’est ton cerveau qui s’est protégé en effaçant des souvenirs. Tu as déjà eu de la chance de sortir aussi vite de cet état végétatif. D’habitude, la phase de réveil est bien plus lente. Ce qui me fait penser que tu vas rapidement retrouver tout ça. Il va falloir faire travailler tes sens. Je le faisais quand tu étais encore endormi, je te faisais écouter de la musique, sentir des odeurs aussi, comme celle du café que tu aimes tant par exemple.

Il déclara être partant pour être son cobaye culinaire, ce qui fit rire Kassandra.

- C’est bien la première fois que tu me dis ce genre de chose. Mais promis, tu verras ce sera bon, j’ai réussi du premier coup et maintenant je sais faire des lasagnes et aussi une tarte aux pommes. Ce qui fait qu’avec les pancakes que je maîtrise déjà grâce à toi, je peux te faire un petit déjeuner, et un repas avec dessert. Mais pour ce soir, on va rester sur la livraison.

Elle voulu voir si quelques souvenirs revenaient avec les flyers, mais il semblait ne pas vouloir se lancer tout de suite.

- Ok, alors je vais nous commander quelque chose que tu m’as fait découvrir, la première fois qu’on a mangé ensemble au restaurant.

Kassie rangea les flyers et alla passer commande depuis l’intérieur de la maison : burger et frites de patates douces, et brownie en dessert. Puis, elle leur servit un verre de thé glacé et revint auprès de lui, posat l'un des deux verres devant Asher.

- ça ne devrait pas être long. Tiens, tu dois avoir soif.

Le soleil commençait gentiment à se coucher et les couleurs qui peuplaient le ciel étaient très agréables à regarder. Le temps d'échanger encore quelques banalités et d'apporter une couverture pour les épaules d'Asher, et la sonnette retentit. Kassandra alla récupérer le repas et disposa les assiettes avant de venir servir le tout à table.

- Et voilà !

D’un œil nouveau, il observait tout ce qui l’entourait non sans appréhension toutefois. Dès lors, il fallait tout réapprendre comme l’enfant qu’il n’était plus depuis un « longtemps inquantifiable ». Et même avec la bonne volonté de celle qui se faisait appeler Sandra, l’ancien militaire demeurait incapable de se sentir complètement à l’aise. Comment pouvait-il l’être en de telles circonstances ? Il ignorait tout de sa vie passée, à ses yeux il était un étranger autant que son interlocutrice. Sa bienveillance était un crève-cœur et même si elle demeurait patiente à son égard, Ash savait que tôt ou tard l’incertitude de revoir un jour l’homme qu’elle a tant aimé, mettrait à mal toute cette bienveillance. Si cela se passait, il ne pourrait lui en vouloir. En attendant, l’homme préférait ne pas mettre à mal la positivité de la demoiselle avec ses incertitudes.

 — Comment ça quasiment tout ?  demanda-t-il innocemment.  — Ce n’est pas comme si tu avais passé ta vie en prison.  Tout d’un coup, cette hypothèse, saugrenue de prime abord, prit vie dans sa tête, l’obligeant à lui poser quand même la question.  — Tu étais en prison ? Sache que si c’est le cas, je ne porte aucun jugement de valeur.  Il se sentait idiot et se maudissait d’avoir songé à une telle alternative.  — Pardon ! Je ne voulais pas me montrer offensant. Comment pouvait-il se douter que la femme qui lui faisait face avait été enlevée enfant et enfermée au Centre durant des années ? De toute évidence, le traumatisme subit avait engendré un syndrome frontal, qui altérait également le comportement social de ce pauvre Asher.

Les sandwichs au beurre de cacahuète lui semblèrent la meilleure des alternatives pour évacuer les sujets de conversation problématiques.  — J’espère être assez volontaire pour au moins être capable de faire des sandwichs au beurre de cacahuète.  Le sourire se voulait léger pour ne peiner personne, bien que pour l’heure l’homme semble en proie au doute. Comment diable allait-il surmonter tout ça ? Et si rien ne revenait et qu’il se retrouve dépossédé d’une partie de sa vie ? La jeune femme se lança presque aussitôt dans un monologue qui émut Asher, assez pour que son regard se mette à briller ; une larme dévala même le long de sa joue. Bien sûr, il s’empressa de l’essuyer avec le dos de sa main.

— Désolé. Je serais tenté de dire que c’était une poussière, mais ce n’était pas le cas. Je crois que la perte de mémoire m’a rendu un peu émotif.  Il renifla et chassa à nouveau les larmes qui menaçaient de couler sur son visage. — C’est juste que je crois que ça me touche de savoir que je n’étais pas tout seul, autant que ça me touche de voir…  Il marqua une pause, incapable de trouver instantanément le bon mot. Une fois de plus, c’était frustrant, mais il se devait de faire un effort et ne pas lâcher lorsqu’un obstacle se présente à lui.  — De voir autant de dévotion. C’est le mot que je cherchais. Rassure-moi, j’avais du vocabulaire, hein ? Je n’étais pas juste Monsieur, muscles avec rien dans la tête ?  Il était quasiment sûr de ne pas être un grand ponte scientifique, mais ne désespérait pas d’avoir un minimum d’intelligence. Après tout, n’était-il pas professeur ?

— Donc j’aimais… j’aime l’odeur du café ?  Il avançait doucement, mais surement. Toutefois, il pouvait se targuer d’être chanceux d’avoir quelqu’un pour l’épauler dans cette épreuve ; un quelqu’un emplit de gentillesse et qui posait sur lui un regard assez désarmant pour se dire que ça fallait le coup d’encore s’accrocher malgré les difficultés à venir.  — Je suis prêt à tout redécouvrir alors.  Il venait d’échouer à l’épreuve des flyers, c’était une évidence, mais il ne désespérait pas de réactiver quelques souvenirs par le biais du goût ou d’éventuels autres sens.

Le repas fut agréable et au goût d’Ash qui comprit pourquoi il aimait tant ce genre de menu et tous les petits riens qui entouraient le repas. Tout ce calme, cette quiétude émanant de Sandra, contribuait à ce qu’Asher se sente mieux au fil du temps. Évidemment, l’ancien militaire n’était pas assez naïf pour croire que tout allait s’arranger en un claquement de doigt, mais ce soir, il était bien décidé à se battre à nouveau pour récupérer ce qu’il avait perdu.

Kassandra était toute dévouée à la cause d’Asher, il était certain qu’elle ferait de son mieux pour l’aider à retrouver ses souvenirs enfouis derrière de traumatisme de l’accident. Elle était déterminée, poussée, plus encore que par son altruisme naturel, par cet amour inconditionnel qu’elle lui portait. Sans s’en rendre compte, elle dévoilait quelques éléments de leur passé, de son passé à elle. Asher, même amnésique, était loin d’être stupide. Kassie se sentit légèrement rougir à la remarque de son fiancé.

- Oui euh… je dis ça parce que… c’est un peu ça, tu m’as appris presque tout de la vie normale. Non, je… j’étais pas en prison. Enfin… un peu, mais pas une prison comme tu l’entends, pour des criminels, non, c’est pas vraiment ça…

Elle se mordilla la lèvre inférieure, fuyant son regard alors qu’il s’excusait déjà. Aussitôt, elle le regarda de nouveau en secouant la tête.

- Tu n’es pas offensant, rassure-toi. C’est juste que j’ai un… passé un peu atypique. C’est un gros secret, il faut que tu en sois conscient.

Il était fragile, innocent à présent et complètement ignorant de toutes ces informations dangereuses auxquelles il avait accès avant l’accident. La caméléone se demandait si elle pouvait légitimement lui renvoyer toutes les horreurs qu’elle avait vécu, brisant peut-être le peu de quiétude qu’il venait d’acquérir en se retrouvant chez lui au calme.

- Si tu veux, je te raconterai. Mais je ne veux pas t’imposer ça. C’est toi qui décides. Quand tu voudras, tu poseras tes questions.

La discussion s’orienta sur des choses qu’ils faisaient ensemble, et Kassie évoqua évidemment les sandwich qu’Asher faisait si bien.

- Tu es une personne très volontaire, sois-en sûr, ajouta-t-elle avec un sourire.

Mais soudain, elle sentit son coeur se serrer. Le visage d’Asher changea, et elle vit ses yeux briller en s’humidifiant avant qu’une larme de roule. N’y tenant plus, la brunette se précipita pour venir le serrer dans ses bras. C’était trop dur pour elle de voir une telle détresse émotionnelle et de ne rien faire. Avec toute la tendresse et la douceur dont elle était capable, elle vint à sa hauteur pour l’enlacer, caressant son dos.

- Tu n’es pas seul, Ash’, tu ne l’étais pas avant l’accident, tu ne le seras pas après. Et oui tu avais du vocabulaire, c’est d’ailleurs toi qui m’as appris plein d’expression usitées en temps normal.

Elle se détacha doucement de lui pour le regarder dans les yeux avec un sourire.

- Tu es la personne la plus géniale que je connaisse.

Elle le laissa sécher ses larmes, ne commentant pas cet état pour le laisser reprendre ses esprits, puis hocha la tête à sa question sur le café.
Puis, ils purent déguster un peu de malbouffe, réconfortante, qui pourrait peut-être lui rappeler quelques bribes de souvenirs.
Le soleil s’était définitivement couché, et Kassandra avait débarrassé la table extérieure, puis était revenue aider Asher à monter l’escalier pour rejoindre leur chambre.

- Tu dois être fatigué. Est-ce que tu as besoin d’aide pour te déshabiller ? Si tu as mal, dis-le moi. Et euh… si tu veux je peux dormir dans mon ancienne chambre, si tu préfères être seul.

Elle ne voulait pas le brusquer, tout ce qui comptait pour elle, c’était qu’il se sente bien, ou du moins le mieux ou le moins mal possible.

Il peinait encore à tout assimiler à commencer par la vie qu’il partageait avec la magnifique demoiselle qui se tenait à ses côtés. En la regardant, il percevait tout l’amour qu’elle éprouvait pour lui et s’en voulait de ne pas être capable de le lui rendre. Faire semblant aurait pu être une solution pour ne pas mettre à mal ce flot de positivité irradiant de sa personne. Mais à bien y réfléchir (car il en était encore capable), cette alternative, bien que partant d’une bonne intention, était cruelle ; assez pour l’abandonner et songer à une autre possibilité. Mais pour l’heure, l’ancien militaire préférait profiter de l’instant présent et de cette liberté qu’il venait d’acquérir en quittant les murs aseptisés de l’hôpital.

Si la légèreté était de mise et la gentillesse de « Sandra » incontestable, voilà qu’à présent l’incertitude prenait le pas sur ses réponses instillant le doute en Asher. Pourquoi disait elle qu’il lui avait tout appris de la vie ? Était-ce une simple formulation maladroite ou la réalité ? Comment diable pouvait on tout enseigner la vie à quelqu’un ? Cette question paraissait si simple au demeurant, voire absurde. Cependant, la réponse se faisait attendre et les incertitudes de la jeune trentenaire, mettaient Asher soudainement mal à l’aise.

— Je ne comprends pas ! Comment peut-on apprendre à quelqu’un tout de la vie normale ? Et si ce n’était pas une prison, c’était quoi ? Genre, quelqu’un t’aurait retenue captive durant des années, c’est ça ?  Son regard était fuyant, assez pour qu’Ash se sente coupable d’avoir pu se montrer offensant d’une quelconque façon.  — En fait, j’ai l’impression que je n’ai plus de filtre. Ce qui m’amène à te dire que je ne suis pas vraiment fan des secrets ; assez pour te demander si j’étais au courant de ton passé atypique ?  Il est vrai qu’il peinait plus que jamais à refréner ses ardeurs et plus encore à dompter ses sentiments. Ce qui l’amenait à se demander si jadis il se conduisait de la sorte ou si cela était le fait de son accident ?

La voix douce de Sandra le sortit de ses pensées presque aussitôt. Il ignorait depuis combien de temps il était parti vers cet ailleurs incertain et se demandait si c’était normal qu’il se déconcentre aussi facilement.  — Pardon, tu disais ?  Il voyait bien dans son regard que l’inquiétude gagnait peu à peu la jeune médecin et qu’un tel comportement n’était pas normal. Alors, il fit un effort considérable pour essayer de se rappeler ce dont ils parlaient en amont.

— Laissons-nous du temps ! Mais sache que malgré ton passé atypique et cette prison qui n’en ait pas une, je n’ai pas l’impression que tu es quelqu’un de mauvais. Alors je vais prendre le risque de te faire aveuglément confiance.  Avait-il le choix ? Non pas vraiment, mais il ne se sentait pas contraint, car il lui faisait confiance malgré le mystère qui l’entourait. Et alors qu’il était prêt à s’abandonner dans l’incertitude, le monologue de son interlocutrice l’émut si intensément qu’il ne put se résoudre à retenir la première larme qui s’écrasa sur sa joue. Il chercha dès lors à dédramatiser la situation à coup de réplique légère avant de voir « Sandra » s’approcher pour le prendre dans ses bras. D’abord retissant de subir ce contact, il finit par relâcher la pression et se décrispa en sentant la main de la jeune femme lui caresser le dos avec douceur.

Il resta silencieux un court instant, assez pour laisser le soin à la belle brune, de faire entendre ce qu’elle avait sur le cœur à ce moment précis. Puis elle se détacha lentement pour ne pas le brusquer. Il appréciait cela, autant que sa douceur ; chose qui semblait lui avoir tant fait défaut.  — Merci  commença-t-il en essuyant les viles perles salées qui dévalaient encore ses joues. Il lui saisit alors la main.  — J’ai vraiment beaucoup de chance d’avoir quelqu’un comme toi dans ma vie. 

Ils purent ensuite se livrer à quelques plaisirs gustatifs. Ça n’avait rien de sain sur le plan nutritionnel, mais il en fallait plus pour ébranler Asher, trop heureux de ne plus subir la nourriture médiocre de l’hôpital. C’était agréable, tellement qu’il se promit de recommencer. Bien sûr, les souvenirs n’étaient pas encore remontés à la surface, mais la simplicité de ce moment éveilla une douce nostalgie qui permit à l’ancien militaire de comprendre à quel point, il appréciait ces petits riens ; autant qu’il appréciait la personne avec laquelle il les partageait.

Vint alors le temps de se quitter pour regagner leur chambre respective. Après s’être assurée d’avoir tout débarrassé, Sandra aida son patient d’un jour à monter les escaliers. Cette fois, Ash prit sur lui et accepta d’être secondé pour regagner l’étage.  — En théorie, je devrais être capable de pouvoir me déshabiller seul. En revanche, je pense qu’il est préférable qu’on reste ensemble pour t’éviter de devoir piquer des sprints en pleine nuit si quelque chose ne va pas.  Étrangement, il n’était pas réticent de partager et sa chambre et son lit avec elle. Avec un peu de chance, cela ravivera quelques souvenirs ou une quelconque familiarité, encourageante de surcroit.

Une semaine plus tard

On dit qu’il y a des jours avec et des jours sans. Jusqu’alors, Asher n’avait jamais trop compris la nuance ni la subtilité de cette réplique « à deux balles. » Une semaine s’était donc écoulée avec de petites victoires et quelques défaites. L’homme avait récupéré ses capacités physiques et prenait du plaisir à suivre sa rééducation. À l’inverse, son état psychique demeurait préoccupant. Ses nuits étaient hantées par quelques cauchemars qui lui permirent de comprendre qu’il avait un passif militaire. Il ressentait à nouveau la douleur, ce qui n’arrangeait pas les choses. Mais pour sa compagne, il faisait bonne figure pour ne pas l’inquiéter et la nuit, il n’était pas rare qu’il quitte la chambre pour regagner le salon. Malheureusement pour lui, cette nuit, confronté à l’un de ses souvenirs les plus terribles sur le front, il n’était parvenu à réprimer ses hurlements. En sueur, il se réveilla en sursaut ; se rendant compte au passage qu’il n’était pas dans le salon, mais bel et bien dans le lit qu’il partageait avec Kassandra.

 — Pardon !  n’avait-il de cesse de répéter, le front humide, la respiration haletante et le cœur au bord de l’implosion.

Kassandra aimait Asher à un point qu’elle n’aurait jamais imaginé. Si les choses concrètes et scientifiques n’avaient que peu de secret pour elle, ce qui avait trait aux sentiments et aux émotions étaient chaque fois une découvert. Et avoir découvert l’Amour était quelque chose de fantastique pour elle. Mais, inconsciemment, Asher était son roc, son pilier et il lui avait toujours paru invincible, même si, en toute logique, la caméléone savait que nul ne l’était. Mais l’accident avait fait l’effet d’un électrochoc à la brunette qui avait réalisé encore plus combien la vie ne tenait qu’à un fil. A présent, Asher était réveillé, sorti d’un coma ayant paru interminable à sa fiancée, et de retour à la maison… Mais amnésique. Ne pouvant pas lui mentir ou omettre la vérité, ce genre de vice n’était pas dans sa nature, Kassie avait révélé sans s’en rendre compte une partie de son passé. Malgré son réveil tout récent et son amnésie, Ash’ comprenait vite. Penaude, Kassandra hocha la tête, le regard fuyant.

- Oui, c’est ça. J’ai été enlevée enfant à ma famille, j’avais sept ans. Et j’ai été retenue enfermée dans des sous-sols à travailler pour eux. J’ai réussi à m’échapper l’année dernière, c’est là qu’on s’est rencontrés. Sans le savoir, tu m’as aidée.

A la question suivante, Kassie le regarda de nouveau dans les yeux. Les siens étaient brillants d’émotions. Sans doute avait-elle peur qu’il ne parte en courant. Enfin… son état physique ne le lui aurait pas permis cependant.

- Oui, tu étais au courant. D’ailleurs, il faut que je te dise que Sandra n’est pas mon vrai prénom, c’est un diminutif que j’utilise pour ma fausse identité, pour ne pas être repérée. En réalité je m’appelle Kassandra. Tu le sais, ça aussi.

Néanmoins, l’interne avait l’impression que ce flot d’informations était peut-être un peu trop pour un si récent retour à la maison. Il venait à peine d’en franchir le seuil, peut-être avait-il droit à un peu de quiétude, non ?

- Je disais… mon prénom. Mais écoute, tu as le temps de rattraper toutes ces informations. Je te dirai tout, évidemment. On ne se cache rien, tous les deux.

Elle esquissa un léger sourire en l’entendant dire qu’il avait l’impression qu’elle était quelqu’un de bien et qu’il décidait de lui faire confiance.

- Merci. Je vais faire tout mon possible pour que te sentes bien et que tu retrouves tes souvenirs, c’est promis.

Les émotions semblaient le rattraper, et c’était normal, Kassie le savait. Il sortait du coma et c’était plutôt courant. Tout ce qu’elle pouvait faire, c’était lui montrer qu’elle était là pour lui.
Après le repas, elle l’aida donc à monter dans leur chambre. Ils purent se coucher, ensemble. A la vérité, la caméléone était heureuse qu’il ne lui demande pas de retourner dans l’autre chambre. Le savoir juste à côté d’elle, pouvoir sentir la chaleur de son corps, écouter sa respiration le temps de s’endormir elle-même, étaient des choses rassurantes pour elle.

Ce à quoi elle ne s’attendait pas, c’était les cauchemars. Le pauvre Asher en était saisi quasiment toutes les nuits. Cela faisait une semaine qu’il était rentré, il faisait d’énormes progrès, il avait repris la musculation et la rééducation se passait bien. Mais son psychique était en souffrance.

Cette nuit encore, il s’était réveillé en hurlant, et, comme cette fois il était resté dans leur chambre, Kassandra avait pu immédiatement l’attraper et le serrer dans ses bras très fort, une méthode reconnue pour apaiser le stress.

- Je suis là, Ash, ça va… Tout va bien, tu as fait un cauchemar, répétait-elle jusqu’à ce qu’il se réveille vraiment.

Il était en nage, la respiration haletant et ne faisait que s’excuser.

- Ne t’excuse pas, mon chéri, ça va, répétait-elle en lui essuyant le front avec un mouchoir.

Elle le serra une nouvelle fois dans ses bras et caressait son dos pour l’aider à se calmer.

- Est-ce que tu veux m’en parler ? Me dire ce que tu as vu dans cet affreux cauchemar.

Elle se leva, sans quitter sa main de la sienne, et fit le tour du lit pour se mettre en face de lui.

- Tu sais ce qu’on va faire ? On va prendre un bain, ça va te relaxer. Et après, si tu ne veux plus dormir, on va faire des pancakes.

Les bras tendus vers lui, elle l’incita à se lever pour la suivre dans la salle de bain où elle fit couler l’eau dans la baignoire.

Rien n’est simple, surtout pour un amnésique qui, en plus de devoir réapprendre à vivre, doit aussi se confronter à nouveau à des révélations dont il se serait peut-être passé. Ainsi, Kassandra se livra sans passer par des chemins de traverse. Et le moins que l’on puisse dire c’est qu’il était loin de se douter qu’il était possible de priver délibérément un enfant de ses parents pour l’enfermer dans des sous-sols et le contraindre à travailler.

 — Comment peut-on faire ça à un enfant ?  demanda-t-il avec dégoût.  — C’est vrai quoi, pourquoi kidnapper un enfant ? Qu’est-ce qu’ils t’ont fait ?  Voulait-il vraiment le savoir ? Il était loin de se douter qu’avant son accident, il travaillait pour cet « eux » indéfinissables pour l’heure.  — Je suis tellement désolé pour toi.  Mais de toute évidence, il restait encore quelques révélations à faire et le regard que la jeune caméléon posait sur Asher, ne présageait rien de bon pour ce dernier qui aurait préféré taire sa curiosité, au moins pour ce soir.  — Je sens que tu vas m’annoncer autre chose. Je me trompe ?  Ainsi, elle lui avoua que Sandra n’était pas son véritable prénom, mais un diminutif dont elle se servait pour sa fausse identité.  — Avec tout ce que tu viens de me dire, je crois que le fait de devoir t’appeler Kassandra, ça passe crème. En même temps, ça parait logique que tu aies une fausse identité pour que des geôliers ne te retrouvent pas. 

Le regard brillant de Kassandra engendra un sentiment dès plus désagréable pour Ash ». De toute évidence, le simple fait de la voir dans cet état lui faisait mal, assez pour qu’il se sente obligé de lui prendre la main et de la rassurer sans attendre.  — Hey ! Ça va aller, je pense pouvoir gérer. Et puis de toute façon, je ne peux pas partir en courant vu mon état physique. Il est vrai que cela faisait beaucoup d’informations à assimiler et pas des moindres. Malgré tout, l’ancien militaire prenait sur lui pour ne pas ébranler davantage sa pauvre interlocutrice.  — Déjà, je vais commencer par m’habituer à t’appeler Kassandra. Une étape à la fois comme on dit. Et peut-être qu’avec un peu de chance, le reste suivra.  Il n’était sûr de rien, mais pour une fois il était prêt à faire preuve de positivité. Qu’avait-il à perdre si ce n’est son temps ?

La fin de soirée se passa divinement bien, ou du moins aussi bien qu’aurait pu se passer une soirée normale. À sa grande surprise, Asher accepta de partager son lit avec Kassy. Pourquoi donc s’en priver, puisqu’ils étaient un couple ? Peut-être parviendrait-il à se remémorer un souvenir en reprenant de vieilles habitudes ? Ou peut-être était ce la meilleure des justifications pour ne pas devoir assumer son appréhension quant au fait de se retrouver seul pour la nuit.

Une semaine s’était écoulée apportant son lot de progrès d’une part, mais aussi de nombreux cauchemars qui mettaient à mal les nuits d’Asher. Cette fois, il n’avait pas pris les devants pour épargner Kassy. Il se réveilla donc en sursaut dans leur lit et sentit aussitôt les bras de sa compagne l’entourer pour l’apaiser. Les battements de son cœur étaient erratiques, la sueur avait quant à elle plaqué quelques mèches sur le front du pauvre homme. Il lui fallut bien quelques secondes pour reprendre pied dans la réalité.  — Excuse-moi !  lâcha-il le souffle court tandis qu’elle tapotait son front avec un mouchoir.  — D’habitude, j’occupe le salon pour t’éviter d’être réveillé en sursaut.  Il prit une grande inspiration, pour se convaincre une fois de plus que ça irait mieux demain. Mais il ne pouvait nier que jamais encore il n’avait passé une nuit calme depuis son retour. Le regard dans le vide, il observait la fenêtre tandis que Kassy continuait à lui caresser le dos tout en le gardant dans ses bras tel un enfant silencieux et perdu. La demoiselle se leva ensuite pour venir se poser face à lui et lui offrir moult suggestions pour qu’il se détende.

 — C’est très gentil de ta part, mais je n’ai pas envie de prendre un bain et encore moins de manger des pancakes. Le psy m’a dit de ne rien garder pour moi. J’avais commencé à écrire des trucs dans un journal, mais j’ai vite abandonné parce que ça me saoulait plus qu’autre chose pour ne rien te cacher.  Il avala bruyamment sa salive et prit soudainement une grande inspiration avant de se lancer.

— Je rêve toutes les nuits, de champs de bataille et de terrains hostiles. J’étais militaire dans une autre vie, dans la Navy Seals.  Il n’avait même pas besoin de réfléchir ; d’ailleurs, il ne se rendait pas compte de la facilité qu’il avait à évoquer cette période précise.

La vérité, elle la lui devait. En aucun cas, Kassie ne voulait cacher quoi que ce soit à Asher, même si celui-ci semblait un peu désappointé. Qui ne l’aurait pas été ? Si pour la caméléone, cet Enfer qu’elle avait vécu jusqu’à récemment avait longtemps fait office de normalité, il en était bien évidemment tout l’opposé pour les êtres du dehors, les vrais « gens normaux ». Personne ne vivait reclus et prisonnier, personne n’exploitait des enfants ni des adultes sans leur consentement et sans les payer. Personne ne privait de manière légale les gens de leurs familles. Presque honteuse de ce qu’elle racontait, la brunette regardait le sol.

- Ils enlèvent des enfants qui ont des capacités intellectuelles jugées au-dessus de la norme. Il nous prenne jeunes parce que c’est plus facile pour nous faire oublier nos familles et nos origines. Ainsi, ils s’assurent un dévouement total à leurs travaux. Je n’ai connu que ça jusqu’à ce que j’arrive à sortir. Je ne savais même pas qu’on pouvait manger autre chose que du gruau au petit déjeuner, ajouta-t-elle pour essayer de dédramatiser.

En effet, Asher semblait bien trop touché par ce qu’il entendait. Il semblait alors que ce n’était pas le bon moment pour en parler. Kassandra ne voulait surtout pas le heurter.

- Tu me poseras toutes les questions que tu veux plus tard, d’accord ? proposa-t-elle avec un léger sourire en osant enfin le regarder de nouveau après lui avoir donné son véritable prénom. On va te laisser récupérer un peu, et prendre tes marques à la maison d’abord, si ça te va.

Il était soudain optimiste, et cela raviva un petite flamme dans le coeur de la caméléone qui, alors, entrevoyait elle aussi un nouvel espoir. Elle lui sourit en hochant la tête. La soirée s’était achevée dans le calme.

La semaine s’écoula donc, avec un peu moins de tranquillité, surtout la nuit. L’ancien militaire en proie aux cauchemars avait le sommeil plus qu’agité.

- Arrête de t’excuser ! insista-t-elle en le serrant de toutes ses forces dans ses bras.

Ce procédé était reconnu pour apaiser les angoisses.

- Je voudrais que tu restes dans la chambre. Ça ne sert à rien d’aller au salon, et j’ai peur que tu te blesses dans l’escalier. Je suis là pour t’aider, d’accord ? lui dit-elle avec douceur.

Il balaya ensuite les propositions qu’elle lui fit. Kassie secoua la tête doucement en le regardant, et le laissa continuer. Jusqu’à entendre le contenu de ses cauchemars. Ça avait l’air terrifiant et elle en eut les frissons.

- Oui, tu étais militaire, tu me l’avais dit déjà. Tu as vécu et vu des choses extrêmement difficiles et ce sont ces traumatismes qui remontent. Bon, si je peux me permettre, en tant que médecin interne en chirurgie, je trouve que c’était une bonne idée d’écrire. Je pense même le faire moi aussi. On sait jamais. Alors tu vas écrire tes cauchemars, et tes ressentis face à ça. Qui sait, ça va peut-être finir par débloquer quelque chose. A part ça, j’insiste, tu es en nage, tu vas prendre un bain, ça fait partie des choses relaxantes qui vont t’aider. Qui t’a parlé de manger les pancakes ? Tu vas les faire et JE vais les manger, ajouta-t-elle avec un clin d’oeil.

Elle se leva, le tenant toujours par les mains, et l’entraîna à elle pour qu’il se lève aussi.

- Aujourd’hui, on va faire que des trucs chouettes, qui mettent de bonne humeur, et qui chassent les mauvaises pensées. Qu’est-ce que tu en dis ? Bon je suis pas une experte, alors si tu as des propositions, n’hésite pas. Sinon, on prendra une liste sur internet.

Il était hors de question de le laisser dans cet état à ressasser ses cauchemars et se répandre en excuses. L'eau avait pas mal rempli la baignoire pendant qu'ils discutaient. Kassie vint arrêter les robinets. La mousses abondante formait des collines brillantes de minuscules petites bulles et une délicate odeur apaisante s'était répandue dans la salle de bain. Du regard, elle invita son fiancé à s'y plonger.

- Je te laisse seul si tu préfères.

Il avala bruyamment sa salive et serra la mâchoire tandis que Kassandra consentait à lui raconter son histoire qui n’avait rien de normal, sauf si l’on considère de telles pratiques comme acceptables. Pour une raison étrange et inexplicable de surcroit, Asher se sentit accaparé par une vague de culpabilité qui le désarçonna, sans qu’il s’offusque toutefois de faire étalage de toute sa faiblesse. À quoi bon faire semblant lorsque de toute évidence, vous en êtes incapable ? C’était comme si son amnésie agissait comme une espèce de sérum de vérité. Il l’ignorait encore, mais tout cela était le fait de son syndrome frontal ; un syndrome neurologique dut à son accident et à l’amnésie qui en résulta. Dès lors, il semblait totalement désinhibé, presque impulsif et vraisemblablement incapable de se soucier, sur l’instant, de la portée de ses mots et de ses questionnements.

Pour Kassandra, ces questionnements, bien que légitimes, demeuraient pénibles autant que les réponses apportées à Asher qui, après coup, s’en voulait d’avoir donné trop de crédit à sa maladive curiosité. À nouveau, confronté à un flot incontrôlable d’émotion, il était plus judicieux de mettre un terme à cette conversation ; un constat que l’on devait à la douce Kassandra qui ne souhaitait pas brusquer davantage son Ash’ qui se sentait privilégier de faire face à une personne si altruiste, qui malgré le malaise suscité par l’évocation de son passé et ce qu’on lui avait fait subir, trouvait encore la force de sourire et de faire preuve de légèreté. « Quelle femme extraordinaire ! » Et il se sentait plus que chanceux d'avoir été choisi par la demoiselle pour partager sa vie.

 — J’ai bien de la chance , commença-t-il sans la quitter du regard, ravi qu’elle en fasse de même.  — Je suis à peu près certain de n’avoir jamais rencontré une personne aussi bienveillante. Ce qui m’amène à penser que si une telle personne m’a choisi, c’est que je ne devais pas être un si mauvais bougre.  Il redevenait dès lors un peu plus positif, conférant à cette fin de soirée, une tonalité plus chaleureuse, presque « comme avant. »

Le temps fait son œuvre, dit-on. Et si le fait d’avoir Kassy à ses côtés, était une bénédiction pour l’ancien militaire, il n’en demeurait pas moins hanté par un passé qu’il peinait à s’approprier. Ainsi, les cauchemars se faisaient plus nombreux, assez pour inciter l’homme à délaisser le lit « conjugal » au profit du canapé. Bien plus que de la quiétude de la pièce, il voulait épargner à Kassandra des nuits agitées et les quelques hurlements qui allaient de pair. Sauf que cette nuit, rien ne s’était passé comme prévu et transit de fatigue, Asher avait délaissé le canapé. C'est donc dans le lit qu’il partageait avec Kassy, qu’il se réveilla en sursaut.

À l’écoute et sans jamais le juger, la demoiselle, bien que préoccupée, enserra son homme qui ne s’offusquait pas d’être ainsi infantilisé, bien au contraire. Il fallait bien reconnaître une certaine réussite à cette approche, car presque aussitôt Ash’ se sentit un peu plus léger, assez pour prétendre à plus de quiétude, malgré le rejet des propositions de Kassy. Puis il se lança et lui raconta ses troubles. De toute évidence, par ces cauchemars, une partie de sa mémoire s’était reconstituée et ce n’est pas Kassandra qui dirait le contraire.

 — Donc j’étais militaire ?  une question bien évidemment rhétorique tant l’évidence semblait de mise.  — Ça explique la violence des cauchemars. Mais de toi à moi, ça m’embête un peu de devoir tout noter. J’ai plus l’impression que c’est une corvée. Mais si vraiment tu insistes, je peux essayer d’écrire une phrase par-ci par-là. Je crois que c’est l’aspect rituel de la chose qui m’emmer… qui m’agace. J’étais grossier avant ?  Une légèreté qui l’incita à la suivre hors du lit malgré ses premières réticences quant au fait de devoir prendre un bain.

 — Tant que tu ne me mets pas de la musique classique et des bougies parfumées, je pense que je peux tolérer le bain.  Il lui sourit en retour.  — Faire des trucs qui mettent de bonne humeur, en plus du bain, est un bon programme. Pendant que je me relaxe, tu n’auras qu’à faire ta petite liste sur internet. 

Quelques minutes plus tard, il la retrouva dans la salle de bain. La baignoire était cernée de mousse, si bien qu’il était presque impossible d’en discerner les contours. L’odeur était quant à elle très agréable autant que l’atmosphère qui régnait dans cette pièce. Sans se faire prier et sans gêne, le quadragénaire commença à se déshabiller face à sa partenaire avant de rejoindre la baignoire. — La température est parfaite.  Et la voilà qui déjà commençait à s’éloigner ce qui incita l’ancien militaire à tenter une quelconque manœuvre pour attirer son attention, car il ne voulait pas la voir s’éloigner.

 — Et si tu venais ? La baignoire est assez grande pour deux non ? 

C'était comme faire la connaissance d'une nouvelle personne, re-découvrir Asher. Sauf que Asher se re-découvrait lui-même ent malheureusement à ses dépends quand les nuits étaient entrecoupées de cauchemars. Kassandra, qui ne savait que trop bien ce qje c'était, était su désolée de ce qui arrivait à cet homme qu'elle aimait du plus profond de sa personne. Elle se sentait impuissante, sachant que malgré tous les conseils, toute la bienveillance, c'était ne psychique de son fiancé qui devait prendre conscience de certaines choses et travailler dessus. Elle aussi en faisait. Beaucoup, quasiment toutes les nuits du temps de son évasion du Centre. Puis, peu à peu, en prenant de l'assurance et entrant dans la vie "normale", apprenant chaque jour à évoluer dans cet extérieur dont elle apprenait toujours les subtilités, elle s'était rendu comtpe qu'elle en faisait de moins en moins. Cela ne l'empêchait pas de rester sur ses gardes bien entendu, elle savait le danger bel et bien présent et tout proche.

Le pauvre Asher, tout transpirant de la frayeur qu'il avait dû avoir dans son mauvais rêve, reprenait peu à peu ses esprits. Kassie était là, à présent assise à son chevet, le serrant dans ses bras, puis lui donnant des conseils pour l'aider. Elle hocha la tête quand il demanda sil était militaire.

- Tu n'es pas obligé d'écrire une encyclopédie, mais tu peux écrire simplement ce que tu as vu dans tes cauchemars, point par point, puis ce que tu as ressenti pour chacun des événements. Ça va te faire du bien, je te le promets.

Elle esquissa un petit sourire en le voyant se reprendre pour en pas dire de gros mot, et demander si était grossier. Elle dodelina de la tête, son sourire s'agrandissant.

- On va dire que ça dépend des fois et du degré d'énervement, précisa-t-elle d'une petite voix amusée.

Finalement, peut-être que les arguments de la caméléone avaient fait mouche, puisqu'il accepta le bain. Kassandra l'avait entraîné dans la salle de bain et invité à prendre place. Elle était sure et certaine que cela lui ferait du bien. Déjà au corps, l'eau chaude étant un relaxant naturel, et à l'esprit. Une fois installé, il confirma que la température lui convenait. Hochant la tête avec un sourire, Kassandra posa d'abord une serviette près de la baignoire pour quand il voudrait sortir, et voulut le laisser tranquille pour faire la liste des choses qu'ils pourraient faire ce jour-là, mais la voix d'Asher. retentit. Il l'invita à le rejoindre. La brunette se retourna vers lui.

- Oui, si tu veux. Je pensais que tu voulais rester tranquille.

Elle s'approcha du porte-manteau fixé au mur pour y déposer son pyjama qu'elle venait alors de retirer, puis se dirigea vers la baignoire pour y entrer, s'installant en face d'Asher, prenant garde de ne pas l'écraser.

- Ça va, tu es bien ?

Les cauchemars étaient et demeuraient présents et désormais Ash’ ne pouvait plus se résoudre à les cacher. Pris sur le fait, il avait fallu fournir quelques explications à Kassandra quant au fait de la désertion du lit qu’ils partageaient. Et comme toujours, la jeune femme se montra compréhensive en plus d’être attentive aux besoins de son fiancé. Une attitude qui acheva de rassurer l’ancien militaire qui se sentit après coup, idiot de s’être ainsi isolé dans le salon. Ils étaient un couple, de ce fait, il se devait de tout partager avec elle et cela incluait les bons comme les mauvais moments.

Voilà qu’il la regardait avec tendresse, impressionné par cette sérénité qui habitait littéralement chacune de ses paroles. Et si de prime abord, il s’était montré réfractaire à l’idée d’écrire quoique ce soit sur ses cauchemars, voilà qu’à présent il revoyait sa copie.
— Non je n’aurais pas la prétention d’écrire un truc aussi ennuyeux qu’une encyclopédie , tenta-t-il d’abord avec un semblant d’humour.  — Je vais essayer.  Il n’en demeurait pas moins un tantinet septique, mais semblait décidé à tenter le coup ne serait-ce que pour avancer et se sentir mieux.  — Si ça va me faire du bien, je veux bien tenter. 

Il se reprit ensuite sur une phrase précédente qu’il jugea sur l’instant un peu vulgaire avant de s’enquérir de sa grossièreté auprès de la jeune demoiselle à ses côtés. Et de toute évidence, monsieur avait ses petites périodes.  — Ah je vois, j’étais du genre caractériel. En fait, ça ne m’étonne pas. Le verbe emmerder sonne bien dans ma bouche.  Il lui rendit son sourire presque au centuple pour lui faire comprendre à quel point il était bien en sa présence. Et comment ne pas l’être avec une telle femme ? Il se sentait tellement chanceux de l’avoir dans sa vie et semblait disposé à suivre presque aveuglément chacune de ses recommandations, à commencer par le bain qu’elle se hâta de préparer.

Il acheva donc de se dévêtir et rejoignit la spacieuse baignoire. Chacun de ses muscles commença à se détendre au contact de l’eau chaude sur sa peau. La température était parfaite, autant que l’odeur qui se dégageait de la mousse à la surface.  — C’était tout ce qu’il me fallait…  commença-t-il avant de se reprendre pour l’inciter à le rejoindre, car pour une raison inexplicable, le simple fait de la voir s’éloigner rendait soudainement le bain moins agréable.

 — Rien ne m’empêche de rester tranquille en partageant un bain avec toi !  Le sourire était charmeur autant que le regard. Cependant, il le détourna légèrement lorsqu’elle se déshabilla. Puis il se décala afin qu’elle puisse avoir suffisamment de place.
 — Comment ne pas être bien en partageant un bain en agréable compagnie ?  Il se tue presque aussitôt et l’observa avant de se rapprocher faisant fit de la promiscuité et de son corps contre le sien.  — Je ne suis sûr de rien, sauf du fait qu’avec toi je me sens bien.  Hésitant, il finit néanmoins par mettre fin à la distance qui séparait injustement sa bouche de celle de Kassandra. Le baiser d’abord chaste se mua bien rapidement en une étreinte passionnée.