Mise au point

ft @David Bass

Tout se passait bien – du moins, c'est ce qu'il était tenté de dire – si l'on omet les quelques incidents survenus de ci, de là. Asher Collins n'était pas un enseignant et n'avait jamais prétendu l'être, mais il devait bien reconnaître que finalement le métier lui plaisait assez pour s'investir un peu plus que prévu – ce qui n'était pas pour déplaire à la Fitzgerald, qui n'avait plus à craindre que la couverture de Collins soit mise à mal. Tout se passait donc bien, si l'on faisait abstraction de quelques éléments, entre-autre l'épisode du hangar, qui en plus d'être anthologique, aurait pu avoir des conséquences dramatiques sur les jeunes étudiants. « Mais quelle idée que de vous rendre dans un endroit aussi mal famé, un repaire de junkie qui plus est. Où aviez-vous la tête Collins ? » La voix d'Elizabeth résonnait encore dans la tête d'Asher et l'on peut dire qu'en terme d'engueulade, la reine-mère savait s'y prendre pour vous faire vous sortir mal, autant qu'aurait pu l'être un gamin convoqué dans le bureau de la proviseur. Mais impassible Ash l'était, il se contentait de serrer la mâchoire et d'acquiescer, se sachant en faute, il ne pouvait répliquer et ne se sentait pas légitime pour le faire. Sa simulation grandeur nature n'avait donc pas eut le succès tant attendu, mais au moins il pouvait se consoler en se disant que le collectif avait pris l'ascendant sur l'individualité de chacun au cours de « ce travail » Mais il restait une donnée et pas des moindres, David Bass.S'il s'était montré efficace, il n'en demeurait pas moins toujours aussi instable aux yeux d'Asher, qui s'il avait toujours envie de l'affubler d'une correction, voulait aussi tenter de percer un mystère qui n'en était probablement pas un. Alors que faire ?

L'ancien militaire, qui venait de rejoindre la salle commune des professeurs, déposa ses affaires dans son casier, salua ses confrères et ses consœurs et alla se préparer un café avant d'entamer une nouvelle journée, non sans consulter son portable pour s'enquérir de quelques nouvelles de sa compagne. Une façon pour lui, de se raccrocher encore à un peu de douceur afin de rejoindre sa salle et de s'enfoncer un peu plus. Une fois le texto envoyé et le café avalé à la halte, l'homme consulta son emploi du temps. Les changements de dernières minutes étant légion par ici, il était rare de garder, d'une semaine à l'autre, le même emploi du temps. Un fait – dont l'ancien militaire – pourtant habitué à la discipline – devait s'y faire. Et aujourd'hui, grande surprise, il devait s'occuper – dès la première heure – de la classe de ce cher David. « - Hey... Dis ! Après avoir quitté les dortoirs, les gosses rejoignent le réfectoire, c'est ça ? » demanda-t-il à l'un de ses collègues avant que ce dernier ne rejoigne à son tour sa salle de classe. L'enseignant acquiesça avant d'être précédé par Asher dans les couloirs. Bien décidé à mettre les choses à plat avec le « récalcitrant » il prit donc la direction du réfectoire où la plupart des élèves de l'Institut, prenaient encore leur petit-déjeuner. Il chercha sa cible du regard et lorsqu'enfin, il parvint à l'avoir en visuel, Asher – d'un pas décidé – s'avança vers la table où se trouvait le jeune homme.

« - Salut ! » tenta-t-il en guise de premier échange avant de s'asseoir en face du jeune homme. « - Est-ce qu'on peut avoir une petite discussion avant notre prochain court ? »

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Il y a des batailles que l'on choisit de mener et d'autres que l'on préfère abandonner sans lutter. Asher l'avait entendu à de nombreuses reprises lorsqu'il était sur le terrain, avec la suffisance inhérente aux hauts gradés qui cherchent à vous faire passer pour des couards si vous optiez pour la seconde alternative. C'est facile de combattre, mais ça l'est moins lorsqu'on ignore tout de la bête féroce que l'on s'apprête à affronter. Et plus encore lorsque nous nous pourvoyons de quelques antécédents avec « ladite » bête. Malheureusement pour lui, Asher Collins était du genre têtu et n'avait peur d'aucun affrontement encore moins avec celui qu'il considérait – à juste titre – comme un petit merdeux à qui il fallait sûrement apprendre la vie. Mais pour l'heure, bien plus que l'envie de lui flanquer une raclée, Asher voulait se montrer civilisé. Peut-être parviendrait-il – avec cette méthode inspirée par sa compagne elle-même – à mettre un terme à la commune hostilité que se portait les deux hommes. Ash avançait en terres inconnues, mais il n'en demeurait pas moins – plus par principe qu'autre chose – décidé à faire le premier pas. Il accosta donc le dénommé David qui s'apprêtait à mettre les voiles, mais qui ne semblait point s'offusquer de la présence de son pédagogue. L'ancien militaire ne se laissa pas attendrir par le sourire – il lui en fallait bien plus pour baisser sa garde – et prit place face à son interlocuteur.

Collins ne voulait monter sur aucun ring cette fois et semblait enclin à la discussion, mais ses belles certitudes et sa patience furent bien vite misent à mal lorsque Bass fit montre d'un sarcasme dont Ash se serait bien passé, lui qui voulait bien faire. « Ouais tête à claques un jour, tête à claques toujours » Et le voilà s'imaginant à nouveau se défaire de sa réserve et de son rôle d'adjuvant, pour mettre quelques bâtons dans les roues de cet odieux petit connard qu'il ne portait définitivement pas dans son cœur. « - Si c'était le cas, je ne me serais pas emmerdé à venir jusqu'ici pour te faire la conversation. À ce que je sache, tu n'es pas le délégué de ta classe ou ce qui s'en rapproche. Et le moins, que l'on puisse dire, c'est que ce n'est pas la prétention qui t'étouffe toi. Je voudrais juste mettre les points sur les « i » ou du moins se donner l'illusion d'avoir une conversation civilisée. Sache que je serais prêt à faire des efforts, si tu consentais à en faire de ton côté. Donc pour la faire simple, serait-ce possible que tu arrêtes de faire ta tête de con ? Ce n'est pas agréable pour moi de devoir gérer une classe plus un petit merdeux. J'aurais tendance à penser que tu agis comme ça pour te faire remarquer, mais j'espère me tromper. »

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Faire des erreurs, est une chose, l'admettre en est une autre. Et à bien y réfléchir Asher ne se sentait pas vraiment pourvu d'une culpabilité qui justifie sa présence à la cafétéria et son initiative quant à l'organisation d'un semblant de conversation avec l'intéressé. Une conciliation, dira-t-on en de telles circonstances. David Bass n'était pas un enfant de chœur, il le savait, tout comme il savait à quel point ce gamin irritable était capable de lui faire perdre patience et une fois n'est pas coutume, la patience d'Asher Collins fut mise à rude épreuve. Était-ce de la condescendance ou juste un manque de respect flagrant ? Et Asher voulait-il vraiment continuer à perdre du temps en essayant peut-être vainement de le savoir ? Plus il regardait David et plus il sentait monter en lui, l'envie d'écraser son poing sur la face juvénile de ce petit con qui se fichait bien des règles et des convenances en place, pour preuve, il utilisait sans gêne la seconde personne du singulier pour s'adresser à son interlocuteur. Ce n'est pas le genre de choses qui auraient d'ordinaire put ébranler l'enseignant, sauf que cette fois, avec Bass, la pilule était amère et de ce fait, difficile à avaler. Pour qui se prenait-il ? N'était-il pas au courant que Collins était son enseignant et qu'il lui devait un minimum de respect ?

« - Tu veux que je te dise ce qui me frustre vraiment ? » Il marqua un temps d'arrêt non pas pour ménager un quelconque suspens, mais bien pour faire comprendre au petit avorton, l'hostilité qui l'animait présentement. « - C'est de ne pas pouvoir écraser sur ta face de petit emmerdeur, le poing que tu mériterais d'avoir. » S'en était fini des petites politesses, Ash avait fait suffisamment d'efforts, il ne pourrait de ce fait, se reprocher d'avoir tendu la main à David. « - Commence déjà par me vouvoyer, c'est le minimum. Pour ce qui est du reste, je te préviens que désormais, je ne ferais plus aucun effort avec toi. Et laisse-moi te dire que ton utilité est aussi relative que ta place ici. Continue donc à jouer les intéressants, je m'en balance, moi, je préfère me concentrer sur ceux et celle qui valent la peine qu'on s'intéresse à eux. Sur ce, je te laisse tranquille vu qu'apparemment, j'ai mis à mal ta quiétude. » L'enseignant plus remonté qu'il ne l'était au départ, tourna les talons, désireux de mettre le plus de distance possible avec ce petit emmerdeur, qu'il retrouverait toutefois quelques minutes plus tard, lors de son cours. Une perspective à laquelle il préféra ne pas songer, histoire de conserver le peu de bonne humeur qu'il lui restait encore.

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Si la patience n'était pas le fort d'Asher Collins avec David Bass, il suffisait presque d'un mot pour mettre le feu aux poudres. Et malgré ses efforts, Ash ne pouvait omettre son irrépressible envie d'écraser un poing destructeur sur la face d'ange de cet imbécile, qui quelque part l'aurait mérité. Était-il comme ça depuis toujours, ou entretenait-il cet air désinvolte pour se pouvoir des atours « stéréotypés » du rebelle de la classe ? En avait-il au moins conscience ? Peut-être était-ce aussi son moyen d'exister, sa façon à lui de signifier sa présence aux autres pour ne pas passer inaperçu. Pas la meilleure des façons – nous sommes d'accord – mais l'on ne pouvait nier que cela fonctionnait aux vues de la colère d'Asher qui avant de se questionner un peu plus en profondeur sur la véritable nature de Bass, serrait encore les poings pour ne pas se laisser à nouveau tenté par l'envie de le frapper. O que c'était difficile avec un tel sourire sur ce visage pourtant si juvénile ! « Putain, mon gars arrête ce petit jeu... Je vais me le faire, putain, je vais me le faire. Et tant pis si la Fitzgerald me tombe à nouveau dessus. J'en ai ma claque de ce petit branleur à deux balles. » Bien sûr, l'enseignant gardait tout ça pour lui dans un coin de sa tête spécialement aménagé pour le défoulement verbal, mais l'intensité avec laquelle il fixait Bass, ne présageait rien de bon pour l'élève, si d'aventure, il continuait à jouer au plus malin. Par chance, l'échange, bien que véhément entre les deux hommes, sembla toucher à sa fin lorsqu'Asher pour leur bien commun, préféra lui tourner le dos et mettre une distance convenable entre le visage de David et ses poings. Une entreprise bien vite mise à mal lorsque le blondinet alla de sa petite réplique, preuve que de toute évidence, il était de ceux qui aiment toujours avoir le dernier mot. Ash serra une fois encore la mâchoire, ferma les yeux et prit une grande, une très grande inspiration tout en continuant à avoir le dos tourné. Les élèves qui lui faisaient face et qui avaient auparavant fait les frais de son caractère tempétueux lors de ses cours, préférèrent tout naturellement se dépêchaient de lui passer devant pour quitter le réfectoire au plus vite, de peur d'être associés bien malgré eux à ce qui ressemblait de plus en plus à une confrontation de Far West, ou celui qui dégainerait le plus vite et le plus fort, en sortirait vainqueur. Nul doute qu'à ce petit jeu, David Bass partait avec une longueur d'avance, mais il ne fallait pas sous-estimer Asher Collins, jamais.

« - Ca recommence ! » Il se tourna pour faire face au jeune homme qui venait en plus de se lever. « - Je vais finir par croire que tu es jaloux que j'éprouve plus d'intérêt pour tes petits camarades que pour toi. Et pour en revenir au vouvoiement, il est exigé dans ce putain de règlement intérieur que de toute évidence, tu n'as pas pris le temps de lire. Si tu veux que je te respecte, commence déjà par me respecter petit avorton. » David n'en démordait pas et preuve qu'il était ou courageux, ou suicidaire ( ou les deux) il se rapprocha de son enseignant qui bizarrement, sentait sa colère diminuait à mesure que Bass s'exprimait. Comme si tout d'un coup, ses mots faisaient sens. « - TIREZ-VOUS ! » Plus qu'un ordre, c'était un aboiement féroce qui fit détaler les derniers observateurs d'un affrontement qui n'en était plus un. Ash n'était pas le genre de gars a aimé se donner en spectacle, mais plus encore, il sentait une brèche émergeait de David et voulait être le spectateur privilégié de ce moment. « - Ok, j'ai compris. Tout ça » Il le désigna de la tête aux pieds « - Ton attitude, ton agressivité, c'est un mécanisme de défense. Admettons qu'effectivement, je n'en ai pas grand-chose à foutre des autres, dis-moi dans ce cas ce que je pourrais faire pour t'aider ? Est-ce que tu veux que je t'aide au moins ? Pourquoi tu es comme ça ? Pourquoi tant de colère David ? Je ne demande qu'à comprendre, car de toute évidence, tu as un problème avec les figures d'autorités. » Oui, aussi dingue que cela puisse être, Ash ne voulait désormais plus frapper le jeune homme. Il voulait juste comprendre pourquoi il agissait ainsi et mieux encore, l'aider si cela était encore possible. « - Écoute, je suis prêt à faire des efforts si tu en fais au moins un »

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On se demande toujours comment faire ? Si l'aveu d'échec ne nous effraie pas ou si par chance, on veut progresser. Initialement, ce job n'était qu'une couverture pour Ash, qui devait jouer les observateurs et rapportait à Elizabeth Fitzgerald toutes sortes d'informations. En somme, jouer les espions de base, sans gadget. À cela s'ajoutait ce qu'il appelait la carotte, en somme une belle récompense (des informations sur son passé et ses parents) s'il consentait à faire ce qu'elle attendait de lui. Rien de bien reluisant, mais Asher Collins était prêt à ce genre d'arrangement pour ne connaître ne serait-ce qu'un morceau de vérité. Une quête qui, avant de faire la connaissance de Kassandra, ne revêtait pas l'importance qu'elle avait à présent dans la vie de l'ancien militaire. Pour dire vrai, jadis, il était le genre de personne qui préférait vivre seul plutôt que d'être mal accompagné. Et puis il se fichait de tout, surtout du passé, plus encore lorsqu'il était question du sien. Le présent n'avait pas plus d'importance, mais avait au moins le mérite de ne pas lui faire défaut. Mais tout changea lorsqu'une petite tornade brune traversa sa vie pour y mettre un joyeux bordel. Kassy n'avait pas son pareil pour ébranler les certitudes et mettre à mal les convictions du plus récalcitrants des rustres. La vie en sa présence avait une autre saveur et la monochromie dans laquelle l'ancien soldat avait jusqu'alors vécu, semblait s'amoindrir au point de laisser paraître quelques nouvelles tonalités chromatiques. Elle lui avait inspiré la patience et il en fallait pour lui permettre de rattraper une vie entachée par des années de captivité. Elle lui avait appris la tolérance et bien d'autres qualités qu'elle portait comme un étendard et qui l'affublait d'une lueur imperceptible si ce n'est aux yeux de l'homme avec qui elle partageait sa vie. Mais plus encore, elle avait éveillé en lui, un altruisme dont il ignorait l'existence jusqu'alors. Allant jusqu'à lui faire apprécier ce métier, qui ne devait être qu'une couverture.

Il faisait donc face à ce qui lui semblait être un cas d'école. David Bass, un emmerdeur parmi les emmerdeurs… Non mieux, le roi des emmerdeurs, au pays des emmerdeurs, si tentait qu'il en existe un. Toutefois, quelque chose avait changé dans l'approche d'Asher, qui ne voulait plus à présent lui exploser la tête contre le premier mûr à proximité. L'ancien militaire était appliqué, méticuleux, mais plus encore observateur et il avait perçu une faille dans l'attaque de Bass, le genre de faille qui vous laisse imaginer qu'un petit connard n'en ai pas un, qu'il se drape dans cette attitude ou pour se faire remarquer ou pour éloigner quiconque souhaiterait s'approcher d'un peu trop près. Incertain sur ce point, Collins voulait comprendre et il était prêt à se montrer patient. « - Ok Bass, tu n'es pas jaloux, tu t'en balances ! D'accord » Peut-être n'était-il pas jaloux et qu'il s'en foutait vraiment. Mais Ash continua à appliquer le peu de psychologie dont il était pourvu toujours dans une optique de compréhension.David n'était pas de marbre face aux réflexions de son professeur, preuve que l'approche ne le laissait pas indifférent. Était-elle la bonne ? Tout restait à prouver.

« - Non, je ne me fous pas de toi, je suis résolument prêt à quelques efforts. Et ça commence par l'envie refrénée de te plaquer la tronche contre le mur. Ca ne servirait à rien de toute façon » Il restait calme malgré l'air méprisant que venait d'adopter David à son encontre. « - Quoi ? Quelles questions ? Je veux juste faire la conversation. Et non, j'suis pas prof de psycho, encore heureux pour les élèves. » Il lui fit alors savoir qu'il ne faisait aucune différence entre les élèves et les professeurs qui le saoulaient tous, ce qui fit sourire l'enseignant. « - De toi à moi, j'peux pas blairer la plupart de mes collègues. » La patience demeurait malgré la distance de David, qui à chaque intervention, reculait d'un ou deux pas, comme si quelque part, il cherchait à fuir inconsciemment son enseignant. Était-il dans le vrai ? Asher Collins, serait-il parvenu à cerner le blondinet ? Une chose est sûre, la distance et le malaise n'avaient de cesse de s'accroître, Asher n'en demeurait pas victorieux pour autant, bien au contraire, il avait de la peine pour l'adolescent. « - C'est ça que tu veux Bass ? Que je te foute la paix ? Mais si je m'incline, je ferais comme tout le monde avant moi. C'est une habitude n'est-ce pas ? Qu'on te foute la paix ? Et si pour une fois quelqu'un essayait de te tendre la main pour changer ? Je ne vais pas insister pour l'instant, mais quand tu seras prêt, tu sauras où me trouver » Il n'ajouta rien de plus et passa devant l'adolescent sans un regard, sans un geste. Il se contenta de saluer l'un des agents d'entretien qui lui faisait face avant de quitter le réfectoire espérant être parvenu à percer la défense de David Bass.