Bientôt tu seras libre

come sink into me and let me breathe you in, i'll be your gravity, you be my oxygen

Comme tous les jours j'étais enfermé dans une salle au second étage de ce bâtiment que je connaissais bien maintenant. Comme toujours j'étais surveillé par un groupe de personnes qui étaient là pour étudier mes moindres faits et gestes mais cela ne me dérangeait même plus, je ne faisais plus attention à cela. C'était donc avec un certain automatisme presque déroutant que je plaçais moi-même ces capteurs sur ma tête ainsi que sur l'un de mes poignets au point de pouls. Le travail avait commencé et je travaillais sur les dossiers qu'ils voulaient me faire étudier. Mes exercices étaient souvent décousus les uns des autres et je récupérais parfois les travaux des autres caméléons dont je n'avais jamais vraiment vu le visage, ou parfois entre deux couloirs sous les lueurs des néons de sécurité. Je les soupçonnais de vouloir brouiller les pistes à nous faire échanger nos travaux mais bon, je n'avais rien à dire et juste à le faire. Les seules choses que j'avais toujours du mal à supporter était les quelques impulsions électriques envoyées de manières totalement aléatoires et dont la puissance était elle aussi variable. À chaque impulsion je sentais une douleur traverser mes hémisphères mais je devais juste faire avec et continuer d'effectuer les tâches qui m'étaient assignée sans rien dire pour ne pas risquer une quelconque remontrance. Mais c'est pas grave. Ce sont les règles ici.

(....) nous verrons ça demain … oui ce dossier. J'envoie les résultats d'ici deux heures maximum. Tout à fait. Je savais lire sur les lèvres des personnes, mais j'avais un peu de mal à faire une synchronisation labiale sur cette jeune femme dont l'accent donnait une indication sur une origine hispanique. Probablement du Brésil du Portugal…. Quoi que l'espagnol n'était pas à exclure. Sa voix froide aux variations dansantes n'avaient pas eu l'occasion de se faire entendre beaucoup de fois de l'autre côté de cette vitre épaisse. Les heures passées et les tests continuaient encore et encore. Après cela ils avaient voulu connaître mes réactions face à des sensations retransmises par un casque de réalité virtuelle. De nombreuses images et sensations prenaient le contrôle sur moi. Je savais que j'étais intelligent mais je restais humain avec des réactions normales. Cette fois ci, la simulation était une cage de verre immergée dans une profondeur aquatique que je ne parvenais pas à évaluer. Malgré mes protestations physiques et mes appels à l'aide personne ne venait décrocher cette machine de ma tête. Le progrès était aussi fascinant que effrayant. Je n'aimais pas ça, je ne supportais pas cette sensation d'enfermement et de suffocation que cette vision m'obligeait à recevoir. Après un long moment tout s'était enfin arrêté, laissant mon corps tremblé sur ce fauteuil dont les sangles m'avaient marquées au niveau des bras. Le souffle court je mis quelques instants à revenir à la réalité, à retrouver cette salle blanche et impersonnelle qui sentait la mort et la peur. C'est fini pour le moment. On se voit avant le dîner. Vous pouvez le ramener et apportez moi le second sujet.. Les yeux perdus dans le vide je les laissais me traîner jusqu'aux sous sol sans le moindre mot. J'avais envie de vomir tant mon coeur s'était retourné et resserré dans ma poitrine. Je ne veux plus refaire ça.

Je finis par me faire bousculer dans ma chambre sans grand ménagement. Cet homme était nouveau, il se fichait totalement de savoir si nous étions en forme ou non, mais après tout ce n'est pas son métier. Mon premier réflexe avait été de chercher la lumière à tâtons dans cette minuscule pièce froide et sombre. Une fois la petite lampe allumée je portais mon regard sur un détail qui avait son importance. Une autre personne était ici, dans ma chambre. Je ne le connaissais pas et un mouvement de panique commençait à m'envahir assez rapidement. Heureusement pour nous il avait eu la bonne idée de m'expliquer extrêmement rapidement le fait que sa présence ne représente aucun danger sinon j'aurais probablement hurlé. Les … les papiers … ce n'était pas un test ? … Sean? … oui tu avais dit qu'on se verrait. J'ai gardé tous les messages ils sont dans mon carnet là-bas dis je en désignant un morceau de mur légèrement abîmé dans lequel se trouvait un carnet à la couverture légèrement pliée mais dans lequel se trouvait tout mes trésors et dessins que je gardais précieusement depuis des années. Mon regard se posa sur la plaque de ventilation retirée Tu n'as pas le droit de passer par ici. C'est interdit pas les règles. et je les connaissais par cœur. Je ne savais pas vraiment ce qu'il me voulait mais dans tous les cas je ne pouvais pas vraiment quitter cette chambre alors j'allais bien voir la suite par moi-même.

Bientôt tu seras libre

come sink into me and let me breathe you in, i'll be your gravity, you be my oxygen

Tout était étrange pour moi, l'arrivée de cet ancien pensionnaire d'après ce qu'il me dit et surtout ses paroles. Je ne connaissais pas de personne appelée Angelo entre ces murs et je ne saisissais pas vraiment comment il réussissait à communiquer avec lui. Mon regard se plissait d'une légère incompréhension alors que je l'écoutais avec grande attention. J'avais fini par rejoindre mon lit un peu bancale et pas  vraiment de la première génération. Pourquoi ici je ne suis pas autorisé à voir les autres moi ? Je ne comprenais pas si j'avais fait des erreurs ou non. Je ne comprends pas Monsieur Andersen dit que c'est interdit de communiquer. Je ne parle pas aux autres caméléons il dit que c'est mauvais et que cela peut nuire à mon développement car nous sommes différents les uns des autres. Monsieur Andersen dit aussi qu'il est préférable pour nous de ne pas communiquer car cela pourrait influencer nos tests et nos perceptions sensorielles et intuitives et donc que cela pourrait engendrer une régression inévitable des activités en cours. Il dit aussi que certains sont dangereux et qu'il ne faut pas que l'on se voit. dis je en répétant avec fierté les mots que mon précepteur m'avait dit de nombreuses fois. Un sourire doux vint étirer mes lèvres alors que mon regard se posait sur le jeune homme venu des conduits d'air. Monsieur Andersen dit qu'il sera fier de moi quand j'aurais terminé les séances qu'il me propose et que mes progrès sont assez significatifs depuis les dernières années! il était pour moi la seule personne que je pouvais assimiler à un parent alors que je voulais qu'il soit fier de moi et qu'il ne regrette pas de m'avoir comme élève.

Je le vis ensuite se déplacer dans la pièce jusqu'à saisir mon carnet de dessins. Son carnet de dessins. Oh … alors c'était donc lui qui avait griffonné les premières pages. J'avais depuis toujours admiré ces dessins que je trouvais vraiment fabuleux et que j'assimile à des merveilles oniriques. Je n'avais jamais vu de crayonnés aussi doux et léger, j'aimais les regarder quand les jours étaient difficiles comme aujourd'hui. Alors qu'il me parlait, je me mis à le feuilleter mécaniquement malgré le fait que je connaissais chacune des pages par cœur, au millimètre près de coloriage gris. Les pages défilaient, les dessins perdaient de leur candeur et de leur fraîcheur, se transformant petit à petit en recueil d'horreurs cauchemardesques. Quelques pages blanches plus tard mes dessins arrivaient. A part quelques exceptions ils étaient quasiment tous des visages. Crispés, songeurs, froids et dénués d'émotions positives. Certains étaient des professeurs, d'autres des scientifiques que j'avais côtoyé depuis toujours. J'avais commencé à dessiner vers mes 7 ans et même à cette époque ceux qui me représentaient étaient souvent des souvenirs douloureux et sombres des tests que je subissais. Des tâches noires et difformes, des cauchemars que je couchait sur ce canson pour tenter de les exorciser. Dans les pages plus récentes on pouvait voir des expériences faites, ces chaises aux sangles de cuir qui déchiraient la peau si on osait tirer un peu dessus, ces électrodes connectés en permanence sur ma tête et mes bras. Sean me ramena doucement à la réalité. Sa question était troublante. Ce que je ressentais ? Je .. ne sais pas. Je n'ai jamais réfléchi à ce que je ressentais quand je faisais ça. Je me sens bien quand je le fais … comme ça après je ne pense plus à ces images elles sont cachées dans ces pages et pouf … oubliées. Toi aussi tu dessines très bien. je souris avant de me lever pour aller cacher mon trésor dans le trou de pierre puis me plante face à ce garçon bien plus grand que moi. Ton visage. Je l'ai déjà vu … quelque part… murmurais je alors que mes doigts venaient se promener de manière innocente et maladroite sur sa joue. Je n'oublie pas les visages normalement mais vu la quantité de choses qu'on fait à mon cerveau j'ai parfois tendance à mélanger les informations. En ce qui le concernait il était une ombre floue, un visage perdu derrière une vitre épaisse et décorée pour masquer l'intérieur de la pièce. Mon regard se perdait dans le sien comme si je cherchais à réveiller cette étincelle de souvenir qui devenait franchement perturbant.

De longues secondes de silence plus tard je finis par m'assoir en tailleur sur mon drap. Il y a six semaines deux jours et environ huit heures. Couloir B12 du second étage dans la salle E201 … je t'ai vu. je ne savais pas pourquoi ni même comment mais je stockais assez simplement ce type d'informations. Je me préparais à un test de stimulation aquatique et je me faisais équiper dans la salle qui donnait ensuite sur un couloir menant à un bassin profond et totalement effrayant. Il ne faut pas aller dehors. C'est mal. C'est effrayant. car toute ma vie on m'a dit que les gens comme moi étaient des monstres de foire rejetés et moqués. J'ai si peur de voir l'extérieur et puis Monsieur Andersen serait si déçu.