Chacun des soupirs qui s’échappent de ses lèvres, depuis quelques jours, sont tous poussés par le même sentiment ; celui de ne pas savoir quoi faire. Quoi penser. Vers qui se tourner, ou même qui éviter. Les questions de Mademoiselle Parker -ajouté à sa rencontre avec Lexie et le partage du laboratoire avec le nouvel étudiant  nommé Sean, tout ça ne fait que créer dans son estomac une boule qu’elle ne saurait comprendre. Ne saurait décrire. Si Saoirse est un petit génie en science, elle est certainement la moins connaisseuse de tout ce qui ressort de l’être humain. De l’humanité en général. Elle qui pensait que tout cela cesserait de la tourmenter au bout d’un moment, se retrouve face à un mur de vérité qu’elle ne saurait affronter ; Saoirse ne pourra jamais y échapper. A ce manque qu’elle a toujours l’impression de ressentir. A cette façon de voir le monde, de vivre les choses comme si elle était toujours extérieur à tout ce qui se passe. Comme si, au fond, elle ne partageait rien d’autre que leur enveloppe charnel ; les Hommes, elle ne peut les comprendre. Se sent toujours un peu plus différente d’eux à chaque fois qu’elle en croise un. Et cette faiblesse qu’elle ressent au fond d’elle, elle la fait se questionner. Pour la première fois, Saoirse se fait du soucis.

Elle est assise, les jambes croisées sur son matelas. Tout un tas de dossiers sont face à elle. Étalés pour qu’elle puisse les voir comme on regarderait des photos. Comme des souvenirs. Tout un tas de dossiers, certains plus épais et remplis que d’autres, qui regroupent toutes les expériences et les sujets sur lesquels elle a pu travailler dans sa vie. Voilà tout ce qui est important à ses yeux. Pas une seule photo, un visage rassurant, celui d’une personne qui pourrait répondre à ses questions.

Les connaissances de Saoirse se cantonnent à des noms écrits sur des feuilles de papiers. Le seul homme pour qui elle n’a d’yeux ne la regarde pas comme une personne à part entière. Manipulée telle une poupée articulée. Saoirse n’a rien d’une femme spéciale aux yeux du Docteur Raines. Elle n’est qu’un de ces cerveaux qui l’approchent un peu plus près de son but ultime. Sa pensée pour cet homme est suivi d’une caresse du bout des doigts sur le dossier de Jarod. Il a disparu. Elle vient d’apprendre la nouvelle et ne sait pas pourquoi son coeur s’emballe à chaque fois qu’elle y pense. La seule chose qui remue dans son esprit, c’est qu’il a enfin trouvé la liberté qu’il voulait.

Elle le pensait déjà à l’époque, Jarod a toujours été plus fort qu’elle malgré leurs fortes différences.

Un autre dossier finit par attirer son attention. Celui d’un patient si lointain qu’elle pourrait ne plus se souvenir de la date exacte où elle a commencé à travailler dessus. Un malade incapable de passer sous les rayons du soleil, comme elle est malade de ne pouvoir ressentir de douleur. Et pour la première fois de sa vie, Saoirse ressent une pointe de curiosité qui n’est dû à personne d’autre qu’à elle-même. Aujourd’hui, Lexie n’est pas là pour lui donner envie de nouveauté. Qu’est-il advenu de cet homme qu’elle n’a pas vu depuis si longtemps. Plus longtemps que Jarod pour sur.

“ - Redonnez-moi son nom, Mademoiselle.” A l’autre bout du téléphone, c’est le réceptionniste qui lui parle. Attendant avec un papier et un crayon pour écrire ce qu’elle demande.
“ - Hanson, Alex.” Dit-elle en relisant le nom écrit sous ses yeux, mais se souvenant parfaitement de l’écriture quand même. “ H-A-N-S-O-N.”
“ - Patientez quelques instants, j’essaye de vous mettre en relation.”

Saoirse a remercié l’aide apporté par ce membre du personnel qu’elle connaît depuis des années. Tous ces gens font presque partis de sa famille, et pour sur certain sont bien plus attentionnés avec elle que ceux qui sont censés être des proches. Saoirse tombe sur une musique d’attente alors que son coeur se met à battre plus vite. Pourquoi appeler, déjà ? Elle qui n’a jamais de contact humain ressent le besoin d’en avoir un. Se cache-t-elle derrière une excuse bidon, ou n’est-elle juste pas capable de se rendre compte qu’elle a besoin de s’ouvrir au monde ? Prison sombre et dorée.

“ - Mr Hanson ?” Elle demande lorsque le bip du téléphone se coupe. Il est bien trop tard pour appeler une personne normale. Mais lui, n’est pas comme les autres. “ Mlle Rowling, à l’appareil. Vous avez surement du m’oublier, mais j’ai étudié votre dossier il y a quelques années…” Elle souffle, comme si ses mots étaient naturels mais ils lui brûlent la gorge à cause du stress.

Poupée. Ce mot résonne dans sa tête à l’instant où l’homme à l’autre bout du fil l’a prononcé. Offusquée, parce qu’elle ne saurait le prendre autrement que lorsqu’on l’appelle ainsi à l’Institut Parker. Ca lui fait mal à Saoirse, parce qu’elle a déjà entendu des hommes appeler des femmes ainsi, parce qu’elles étaient belles, parce qu’elles étaient intéressantes à aimer. Elle n’aura jamais ce plaisir parce qu’à chaque fois qu’elle l’entend, c’est pour parler de son rôle à l’intérieur du Centre. Parfois même avec plus de précision lorsque c’est pour la blesser vis à vis du Docteur Raines.

“ - [...] La mini-frankenstein c'est bien ça ? Je vous écoute qui y a t-il ?”
“ - Oui…” Souffle-t-elle avec un très léger sourire que l’autre ne pourrait pas imaginer. “ Mais moi, je ne créer pas de monstres…”

Une pointe d’humour qu’elle ose lancer alors qu’elle ne l’aurait jamais fait avant de rencontrer Lexie. En une courte entrevue, cette jeune femme aux cheveux bruns a réussi à changer des choses chez une femme conditionnée à ne rien ressentir. Pour le meilleur et pour le pire. Cette pensée pour la demoiselle en médecine la fait sourire un peu plus, et c’est certainement pour celui qu’elle parvient à s’ouvrir et à parler de façon presque décontractée. Mais Saoirse est fidèle à elle-même ; si elle se sent plus légère, cela ne veut pas dire que les gens sont capable de le ressentir. Parce qu’elle a toujours l’air froide et distante, il faut avoir l’oeil et l’ouïe pour capter les maigres changements qui se font à l’intérieur d’elle. Changements perturbants mais délicieusement envoûtant

“ - J’étais simplement en train de lire d’anciens dossiers, et je suis tombée sur le vôtre.” Elle explique de façon rapide, détournant ses réelles questionnements profonds. “ Alors, j’ai simplement voulu prendre de vos nouvelles. Vous savez, d’un point de vu purement professionnel.”

Comme si elle se sentait obligée de préciser. Puis, quand elle entend les mots petits suisses, elle ne peut s’empêcher de froncer les sourcils. C’est à ce moment-là que Brindille décide qu’il est temps d’un câlin ; il tape sa grosse tête contre le coude de Saoirse qui fait tomber le téléphone. Elle soupire, caresse une fraction de seconde le Savannah et se penche pour attraper l’objet téléphonique. Un nouveau soupire s’échappe de ses lèvres quand elle se redresse en tirant sur ses muscles, puis, elle s’excuse auprès de l’interlocuteur sans avoir pu entendre ce qu’il a pu dire entre temps.

“ - Vous parliez d’un petit suisse ?” Elle doit attendre une quelconque explication pour reprendre. “ Dites-moi, est-ce que vous allez bien, Alex ? Nos travaux vous ont-ils aidé ?”

Saoirse demande comme si elle avait besoin d’avoir déjà aidé quelqu’un de bien, dans sa vie. Elle est tant concentrée sur ce qu’il pourrait répondre, qu’elle ne fait même pas attention aux bruits qui peuvent être derrière Alex, peu importe l’endroit où il se trouve. Tenant son téléphone d’une main à son oreille, l’autre contente l’animal qui recherche toujours autant l’affection de sa créatrice.