Des nouveaux paysages, des nouvelles odeurs, des nouvelles saveurs. De nouvelles personnes qui l’entourent. C’est à la fois la plus grande frayeur et la chose qui l’intéresse le plus aujourd’hui. Saoirse est une jeune femme compliquée. Douce, et en retrait, mais qui se pose tout un tas de questions sur le monde et les gens. Elle qui n’avait jamais été hanté par la curiosité jusqu’à récemment, se met à douter de ce qui l’entoure. Depuis qu’elle a rencontré Lexie, elle demande à changer souvent le goût du jus de fruits et de légumes qu’on faisait livrer dans sa chambre, au Centre. Elle a même repris contact avec un ancien sujet sur lequel elle avait travaillé ; Alex. Avait demandé à Lexie de sortir, en prenant le courage de la contacter elle-même. Par petites touches, et par petites envies, Saoirse se met à découvrir le monde qu’elle n’a jamais même envisagé de côtoyer.

L’idée de vouloir manger, pour une fois à l’extérieur de la cafétéria du Centre, l’a travaillé pendant une bonne semaine avant qu’elle n’ose mettre le pied dehors. Elle aurait pu demander à son nouveau collège, Sean, mais n’a pas osé le faire. Ou alors, elle a voulu tester pour la première fois seule quelque chose, et elle n’ose pas se l’avouer. L’inconnu fait peur, surtout lorsqu’on a l’impression de l’être à soi-même. Elle avait demandé au gardien -très gentil avec elle, et surement un peu trop- quel endroit elle pourrait visiter pour la première fois. Surpris, il avait donné cette adresse où elle se trouvait aujourd’hui. Et Saoirse, elle avait payé un taxi pour qu’il l’emmène. Comme la dernière fois où elle était sortie d’elle-même, la voiture l’attend à l’extérieur ; prêt à la ramener à n’importe quel moment. L’argent n’est pas un problème, c’est pourquoi elle n’a pas fait attention aux prix lorsqu’elle a commandé le repas pour l’emmener sur ce petit plateau sur une table où s’asseoir seule.

’ - Je peux m’asseoir ?” La brune n’a pas eu le temps de réponse qu’une rousse s'assoit. Un regard ébahi et des lèvres entrouvertes, elle n’a pas pu détacher son regard de l’inconnu. ” Toi aussi tu es venue profiter du soleil ?”

Saoirse reste d’abord muette parce qu’elle n’a pas l’habitude des contacts humains. Les gens sont bien plus vicieux et méchants avec qu’elle qu’avec les autres étudiants. Voilà le fardeau que c’est, d’avoir le Docteur Raines au dessus de son épaule. Alors, elle ne sait pas vraiment comment réagir avec les gens. Elle voudrait pouvoir prendre exemple sur sa rencontre avec Jarod, mais ne peut le faire. Et puis, c’est en se disant qu’elle allait paraître bien plus stupide face à la rousse, que face à Lexie si elle ne répond pas, que Saoirse trouve moyen de répondre tout en baissant ses yeux sur son assiette ; un poisson pêché dans la ville, accompagné de quelques petites légumes et d’une sauce qui lui donne terriblement envie. De quoi cacher un peu sa gêne.

” - Goûter quelque chose de nouveau, plutôt.” Elle mime un sourire forcé parce qu’elle a tant de mal avec les gens qu’elle ne saurait agir naturellement les premiers instants. ” Mais le soleil est agréable, on passe beaucoup trop de temps enfermés.” Si des visages parmi les amis de la rousse ne lui sont pas inconnus, Saoirse n’y prête pas attention tellement elle se concentre sur ce qu’elle a en face d’elle. ” Vous voulez goûter un morceau de mon assiette ?”

Elle agit parce qu’elle se dit que c’est ce qu’elle aurait proposé à Lexie, ou à Sean maintenant. Offre cette assiette pas encore touchée à l’inconnu, après avoir vu cette salade de pâtes provenant d’un magasin qu’elle avait pour tout repas. Et ce n’est que lorsqu’elle passe ses mains sous la table qu’elle reprend la parole pour se présenter, comme si c’était la chose à faire.

” - Je m’appelle Saoirse, et vous ?”

Saoirse, elle n’avait pas répondu à la première et simple interrogation de la jeune femme aux joues colorées. Elle s’était contentée de sourire lorsque son interlocutrice s’était mise à parler de choses plus communes à ses oreilles ; vitamines B et calcium. Des choses qu’elle a apprit à gérer depuis des années lors de ses recherches sur des embryons dans ces fioles du laboratoire. Être face à une personne qui connait ces termes la détend un peu, bien que le reste de sa phrase la mette mal à l’aise. Des bagarres, il y en a parfois au sein de l’Institut, et il est vrai que certains se font rapidement mal. Est-ce le fardeau des intellectuels ? Abîmer son corps pour aider le monde. Elle-même devrait prendre plus souvent douches de soleil, mais sa peau naturellement bronzée l’aide à cacher ce défaut. Après tout, combler les manques de son corps avec des pilules comme elle le fait ne fait pas tout ; la preuve, la fille face à elle semble être bien mieux dans son corps qu’elle-même.

“ - Je n’ai pas peur…” Avait-elle soufflé en souriant tendrement, lorsqu’elle a regardé la jeune femme goûter à son poisson. Bien sûr, elle avait menti, Saoirse. Mais ce n’est pas spécialement June qui l’effraie ; le monde entier s’en charge bien assez. “ Oh, ne vous inquiétez pas !” Elle reprend, la brune, lorsqu’elle récupère son assiette pour la poser devant elle. “ Mon estomac est fragile, il ne supportera deux nouveautés dans le même repas.”

Elle rit légèrement, de façon presque automatique mais c’est la nervosité qui la fait agir. Elle a même glissé ses doigts sur ses lèvres, Saoirse, pour cacher ses dents pendant ce rire. Elle vient d’avouer ne jamais avoir goûté la recette simple de pâtes que June est en train de manger comme si c’était de l’or en barre. N’est-il pas évident que Saoirse semble venir d’un tout autre monde, espace temps ? Et puisqu’elle ne semble pas être venue de la même planète, Saoirse, et qu’elle a l’habitude de faire abstraction des gens parlant dans son dos, elle ne fait même pas attention à ceux qui le font dans le dos de June. Elle devrait réellement faire plus attention à ce qui l’entoure.

“ - D’accord, June…” Elle a dit, Saoirse, en rougissant légèrement. Tout le monde semble se tutoyer à l’extérieur, et elle a beaucoup de mal à le faire. Mais, tout comme pour Lexie, l’effort ne sera pas long ni pénible. “ Ne t’inquiète pas… on dira que ma douceur contre-balancera lors de ce repas !”

C’est vrai qu’elle est douce, Saoirse. Elle ne ressemble pas à toutes les jeunes femmes de sa génération ; comme venue d’une autre époque. Peut-être est-ce parce qu’elle a principalement été élevé par le Docteur Raines ; connu pour être froid et sans âme. Il reste un homme posé et réfléchi ; il n’y a que le sourire et la bienveillance naturelle chez elle qu’elle n’a pas hérité de cette personnalité vil et sévère. Saoirse n’imagine pas à quel point elle voudrait être différente.

“ - J’étudie à l’Institut Parker,” Dit-elle sans même vouloir se cacher. Être étudiante là-bas n’est peut-être pas mal vu par tout le monde, mais dire qu’elle est un membre clé du Centre est autre chose. Ce côté de sa personnalité reste bien caché aux yeux des autres. “ la science, pour être exacte. Et je n’ai aucun temps pour moi, alors… j’apprend à découvrir ma ville natale.”

N’est-ce pas honteux, pour une jeune femme de son âge, de faire ce genre de découvertes aujourd’hui ? Que dirait June, si elle savait que la première fois qu’elle a goûté un nouveau goût de son jus de fruits et de légumes, remonte à seulement quelques semaines ? Saoirse, elle est conditionnée depuis des années. Conditionnée à aimer les mêmes choses, à faire les mêmes choses, jours après jours. La gourmandise, l’envie de découvrir, la curiosité ; tout ça est nouveau pour elle.

“ - Et vous... et toi, désolée.” Dit-elle avec un sourire, alors qu’elle essuie le coin de ses lèvres avec sa serviette en tissu -alors qu’elle n’en a pas besoin au vue des petites bouchées qu’elle prend. “ Tu viens souviens ici ? Vue l’heure… j’imagine que tu travailles dans la zone environnante.”