Allison ne se reconnaissait plus. Elle était prête à tout pour sauver la vie de sa fille, mais son salaire de flic, bien qu'enquêtrice, ne suffisait pas. Le divorce avait coûté un bras et elle et son ex n'avaient, ensemble, pas assez pour s'assurer que leur petite ait les meilleurs soins. Alors Ally avait fait ce que n'importe quelle mère aurait fait si c'était la seule solution : vendre son âme au diable. Andrew Washington, le maire de la ville, était le meilleur ami du frère Frey. Or, ayant su que la petite soeur de son pote était devenue enquêtrice, il avait toujours souligné le fait qu'ils pourraient s'entraider. Mais Ally avait toujours eu en horreur la politique alors elle avait toujours gentiment refusé d'en parler ou d'envisager une éventualité quelconque, d'autant qu'elle savait très bien que ce que Washington lui proposerait ne serait pas légal. Mais là, la sonnette d'alarme avait été tirée quand elle avait entendu de la bouche du médecin de sa fille les mots "pronostic vital" et "Le Centre est sa meilleure chance". Ni une ni deux, Ally avait pris ton téléphone pour parler à Andrew. Un accord avait été passé, elle aurait un téléphone prépayé sur lequel on lui enverrait des missions, elle devrait y aller incognito et faire ce qu'on lui demandait. En échange de quoi, sa fille serait transférée au Centre pour avoir de meilleurs soins.

Première mission : une grange, d'autres agents de terrain qui avaient l'allure de tueurs, et une traque. Un dangereux crinimel ? Non, une jeune femme enceinte. Que se passait-il ? Pourquoi ? Tant de question qu'Allison n'avait pas le luxe de se poser. Elle avait participé et aidé comme on le lui avait demandé, mais avait réussi à se soustraire à l'échange de tirs contre la CIA (et heureusement ! Quoi de pire que de tirer sur son propre camp ?) en faisant mine de poursuivre les fugitifs.

La voilà en ce jour à l'hôpital d'où sa fille était partie voilà quelques jours. Le Centre lui avait demandé de récupérer un dossier médical qui, visiblement, n'avait pas suivi. Ally avait alors dit à Lisa qu'elle prenait quelques heures et qu'elle la laissait potasser leur enquête encours. Avoir une coéquipière, une vraie plaie pour elle.

- Vérifiez mieux s'il vous plaît, soupira-t-elle auprès de l'interne qui lui faisait face. La secrétaire m'a dit que vous étiez le dernier à avoir eu ce dossier en main. Le Centre en a besoin pour ma fille, et j'ai vraiment pas de temps à perdre, continua-t-elle en poussant un pan de sa veste pour qu'il voit sa plaque de policière, des fois qu'il ait oublié la profession de la mère de son ancienne patiente.

Allison n'avait pas encore remarqué la présence de la soeur de sa coéquipière.

D'ordinaire, Allison avait une patience à rude épreuve. Il en fallait pour arriver au grade d'enquêtrice, et doublement pour être une maman, d'autant plus d'un enfant handicapé. Mais ce jour-là, la policière sentait qu'elle pouvait exploser à tout instant. Sa fille venait d'être transférée au Centre, comme Andrew Washington l'avait promis. Mais le plus important ou presque n'avait pas suivi : le dossier médical. Un peu plus de quarante-huit heures maintenant que la fillette avait rejoint sa chambre équipée de toutes sortes de machines en cas de besoin. Le matériel était incroyablement performant et Ally le savait, la petite serait entre de bonnes mains, sans doute meilleures que celles de médecins lambda de l'hôpital. Mais pour travailler efficacement, il leur fallait ce dossier.

La brunette venait d'alpaguer l'interne désigné par la réceptionniste. Elle lui laissait le bénéfice du doute mais le jeune médecin semblait se décharger de toute responsabilité quant à ce dossier dont il ignorait l'emplacement. Il sembla cependant quelque peu impressionné par la plaque de police et balbutia qu'il allait se renseigner. Allison soupira en croisant les bras, le laissant passer. Elle le suivit d'un regard sévère jusqu'à ce qu'il sorte de son champ de vision. C'est alors qu'une demoiselle y apparut. Cette jeune femme lui disait quelque chose. Son regard s'attarda alors sur elle. Elle la scanna en quelques secondes, comme elle l'avait appris à l'école de police. À présent, c'était devenu un réflexe. Cette fille était près mais pourtant ne parlait à personne. Elle lui faisait penser à quelqu'un, pourtant Allison savait qu'elle ne l'avait jamais vue. Peut-être ressemblait-elle à quelqu'un ? À qui alors ?

La brunette s'apprêtait à aller lui parler, sa bouche s'était même entrouverte avec une inspiration pour sortir une parole quand soudain, l'interne revint avec le dossier.

"- Voilà, Mme Frey, je l'ai trouvé, toutes nos excuses."

- Merci, lâcha-t-elle en prenant l'épais dossier que lui confiait l'interne. Bonne continuation.

Elle ne vit plus la mystérieuse créature mais n'y prêta pas plus attention, elle se dirigea alors vers la porte de la sortie.

Le dossier enfin dans ses mains, la policière quitta au plus vite les lieux dans le but de se rendre à son véhicule garée sur le parking de l'hôpital. Il n'y avait pas une minute à perdre. Mais soudain, elle se fit interpeler doucement par une blondinette, sur le pas de la porte du centre hospitalier. Surprise par ces façons de faire, Allison haussa un sourcil avant de les froncer. Elle écoutait attentivement cette femme qui était donc la soeur de sa coéquipière. Visiblement insupportable, Ally comprenait que les deux soeurs soient restées en froid. Mais soudain, elle sentit comme des menaces dans les propos de son interlocutrice, ce qui la fit écarquiller les yeux avant de les cligner et de finalement éclater d'un rire ironique.

- Êtes-vous réellement en train de proférer des menaces à l'encontre d'un agent de police ? De quel droit parlez-vous de mon couple, pour commencer ? Ensuite, d'où vous permettez-vous un quelconque jugement, vous ne nous connaissez pas. Et... quoi ?! Je crois que vous êtes complètement folle, allez donc consulter, vous êtes au bon endroit !

La belle brune se faufila pour essayer de distancer cette Ivy qui se permettait un peu trop de choses pour que ce soit net. Pourquoi pensait-elle qu'elle allait mêler sa soeur à quoi que ce soit ? Ally secoua la tête, les gens devenaient complètement fous ces derniers temps. Ce qui l'inquiétait cependant, c'était que cette journaliste se doutait de quelque chose. Soudain, elle réalisa que c'était l'une des personnes présentes lors de cette sordide soirée au ranch. Mais Ally était masquée sous un foulard autour du visage et il faisait nuit. Il était impossible qu'elle l'ait reconnue. Le coeur serré, Allison sortit la clé de son véhicule et appuya sur le bouton pour la déverrouiller mais elle la fit tomber au sol sur le stationnement. Elle se baissa pour ramasser les clés et enfin ouvrir son véhicule. Tout ce qu'elle voulait, c'était livrer le dossier au bon médecin le plus vite possible et retourner travailler. Mais quelque chose lui disait que la soeur folle n'allait pas lui foutre la paix aussi facilement. Cependant, heureusement qu'elle s'était éloignée, inutile de faire un esclandre au beau milieu de l'entrée de l'hôpital de Blue Cove.

Allison Frey se tenait droite, la main toujours posée sur la valise récupérée. Son esprit était en ébullition, analysant chaque détail de la situation. La journaliste Ivy Lov, qu'elle avait confrontée quelques instants auparavant, était maintenant témoin de son intervention. Frey ne pouvait s'empêcher de ressentir une légère frustration. Elle savait que Lov serait tentée d'exploiter chaque faiblesse, chaque erreur qu'elle pourrait commettre. Pourquoi cette journaliste en avait après elle ? Ally n'avait jamais cherché à avoir Lisa, la soeur d'Ivy, comme coéquipière.

Le type louche qu'elle avait appréhendé semblait se résigner, mais Allison restait sur ses gardes. Elle avait déjà vu ce genre d'interpellé agir de manière imprévisible, et elle n'avait aucune intention de baisser sa vigilance. Après avoir sécurisé la valise et menotté l'homme, elle prit un moment pour évaluer la situation. Elle remarqua Ivy, appuyée contre sa voiture, absorbée par son téléphone. Probablement en train de rédiger un article ou d'envoyer un message à son rédacteur en chef.

Allison s'approcha d'Ivy, bien consciente que leur altercation précédente n'était pas encore résolue. Elle avait des choses à dire, et ce nouvel événement lui donnait l'occasion parfaite de le faire.

Ally l'avait interpellée  et Ivy leva les yeux de son téléphone, un sourcil arqué en signe d'interrogation. Allison continua sans attendre sa réaction.

- Je sais que vous voulez protéger ta sœur, et je respecte ça. Vous devez comprendre que je fais mon travail. Ce type-là, - elle désigna l'homme menotté d'un mouvement de tête,- est lié à quelque chose de bien plus grand. Cette valise, ces documents... c'est sérieux.

Elle prit une profonde inspiration avant de poursuivre.

- Je ne suis pas l'ennemie ici. On veut toutes les deux la même chose : la vérité et la justice.

Allison attendit, espérant que ses paroles atteindraient leur but. Elle savait qu'il faudrait plus que quelques mots pour gagner la confiance de la journaliste, mais c'était un début. Elle jeta un coup d'œil à l'homme menotté, qui commençait à s'agiter, puis revint à Ivy, déterminée à faire passer son message.

- Écoutez, ajouta-t-elle, plus doucement cette fois. Je ne vous demande pas de m'aimer, juste de me laisser faire mon travail. On est du même côté, même si vous ne le voyez pas.

Elle recula d'un pas, attendant la réaction d'Ivy, prête à répondre à toutes les objections qu'elle pourrait avoir. Pour Allison, cette confrontation n'était qu'une bataille de plus dans une guerre bien plus vaste. Mais une bataille qu'elle devait gagner, pour pouvoir continuer sa journée. Entre temps, les renforts arrivèrent avec une voiture de patrouille. Ally s'approcha pour donner un compte rendu à ses collègues qui embarquèrent l'individu ainsi que la mallette.

La tension entre Ivy et moi était palpable, mais j’étais déterminée à calmer les esprits. Chaque mot que je prononçais était pesé avec soin, sachant qu’Ivy ne me ferait aucun cadeau, surtout après notre altercation précédente. Je n’étais pas naïve, je savais que la méfiance de la journaliste était en partie alimentée par son désir de protéger sa sœur, Lisa. Mais je devais faire comprendre à Ivy que la situation n’était pas aussi simple qu’elle le pensait.

- Écoutez, Ivy, je comprends vos préoccupations pour Lisa, et je vous assure que ce n’est pas un jeu pour moi non plus. Vous parlez de magouilles avec le Centre, mais il se trouve que ma propre fille est actuellement hospitalisée là-bas. Croyez-le ou non, je n’ai aucune intention de mêler Lisa ou quiconque à des histoires d’arrière-cour ou de jeux de pouvoir. Ce que nous faisons ici est sérieux, et je vous assure que chaque décision est guidée par des preuves concrètes, pas par des agendas personnels.

Je marquai une pause, jetant un regard vers le suspect qui continuait à s'agiter, agacé par le déroulement de la situation. Les renforts arrivaient avec la voiture de patrouille, et je savais que ce serait un soulagement de remettre ce dossier entre les mains de collègues de confiance.

- Vous me demandez une promesse d’un avenir serein pour Lisa. Honnêtement, je ne peux pas vous la faire. Lisa est elle-même une flic, ce qui signifie qu’elle est inévitablement impliquée dans des affaires complexes et parfois dangereuses. Dans notre milieu, il est impossible de garantir un avenir serein. Ce que je peux vous promettre, c'est que je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour qu’elle ne soit pas inutilement exposée à des dangers supplémentaires. C'est ma coéquipière.

Le fait que les renforts soient arrivés apportait une certaine sécurité à la situation, et je commençai à sentir la pression de la journée s'atténuer.

- Si vous avez des informations pertinentes ou si vous voyez quelque chose que nous pourrions avoir raté, n’hésitez pas à les partager. Nous sommes tous dans le même bateau ici, même si nos rôles sont différents.

Ivy resta silencieuse un moment, scrutant ma réaction avec une intensité qui traduisait son scepticisme. Je savais qu'il me faudrait plus qu'un échange pour gagner entièrement sa confiance, mais je savais aussi que chaque petit pas vers la compréhension mutuelle pouvait aider à avancer dans l'enquête. Les renforts prenaient le suspect en charge, et je me tournai vers Ivy avec une lueur de détermination dans les yeux.

- Vous pouvez rester ici jusqu’à ce que tout soit réglé, mais j'espère que nous pourrons trouver un moyen de coopérer malgré nos différends. La vérité et la justice n'ont pas besoin de conflits internes pour être servies. En attendant, arrêtez de proférer des accusations à tort et à travers, ce serait gentil.

Je lançai un dernier regard vers le suspect, puis je revins vers Ivy. Les tensions n'étaient pas complètement dissipées, mais au moins, nous avions ouvert une porte vers une meilleure communication. L’enquête était loin d’être terminée, et chaque allié était précieux, même ceux qui étaient réticents. Je savais que je devais continuer à avancer, à faire mon travail. Néanmoins, j'avais le dossier médical de ma petite à rapporter au Centre.

Ivy en savait sûrement trop sur le Centre, et cela risquait de la compromettre elle. Allison secoua la tête en la regardant avec un air incrédule.

- Je ne sais pas ce que vous imaginez, mais le Centre est un centre de recherche médicale. Ma fille est atteinte d'une maladie rare et ils la prennent en charge dans leurs recherches pour un essai clinique. Arrêtez d'imaginer des théories du complot, votre soeur n'a rien à voir avec tout ça, il s'agit de ma vie privée, de mon enfant.

La policière jeta un oeil à ses collègues qui embarquaient le suspect ainsi que sa mallette. Quelles chances y avait-il pour qu'en sortant du parking de l'hôpital, après une première altercation avec la soeur de sa coéquipière, Ally se retrouve à arrêter un suspect ? Cette journée était décidément des plus surprenantes.

- Il n'y a aucune autre implication que ce que je viens de vous dire. Et cela ne regarde personne, alors laissez ma gamine en dehors de vos délires de reporters. Je commence à perdre patience et je suis déjà en retard pour apporter son dossier. Laissez votre soeur faire son travail, c'est une bonne flic et elle n'a pas besoin d'être couvée et maternée par sa soeur. Croyez-moi, j'ai un frère qui aimait un peu trop faire ça aussi, et à part causer des embrouilles, ça n'a rien fait de bon dans notre relation.

Son regard chocolaté ne quittait pas le sien, Allison avait réellement perdu patience, sûrement la fatigue et le stress causés par le changement  pour sa fille.

- Maintenant que la situation est sous contrôle, je vous souhaite une bonne journée Ivy.

La policière tourna les talons, secouant la tête. Elle venait d'avoir la plus absurde des conversations, mais dans le fond, le fait qu'Ivy sache que le Centre était impliqué dans bien plus que de la simple recherche médicale était dangereux. Si elle parlait à tort et à travers, elle risquait sa propre vie mais aussi celle des gens dont elle citerait les noms. Finalement, le comportement de la journaliste était plus dangereux que celui de la flic.

Ally échangea encore quelques mots avec ses collègues avant que ceux-ci ne quittent les lieux, l'un d'eux récupérant la voiture du suspect. À son tour, la grande brune rentra dans son véhicule et, après avoir bouclé sa ceinture, se dirigea vers le Centre pour retrouver le médecin à qui elle devait donner le dossier médical de sa fille.