_ Mayer, ça vient de ton mois de naissance. C'est pas comme ça que tu t'appelais à la naissance, mais c'est le prix à payer pour ta liberté après la balle que tu as malencontreusement coller dans la gorge de ton géniteur.
_ Ta mère te manque. Elle n'était pas parfaite, certes, mais elle t'aimais, tu n'en as jamais douté. Elle t'as offert une bonne éducation, et tu estimes que c'est grâce à elle que tu es ce que tu es maintenant. Ou à cause d'elle, au choix, ça dépends du point de vue.
_ Tu bois des litres, des litres et encore des litres de café à la semaine. C'est dingue. Tu ne bois quasiment que ça, chaud, ou froid, le matin, aux repas et entre les repas. Du coup, t'es une vraie pile électrique. En à force, et bah tu sens le café.
_ Tu fumes. Tu t'es mis à fumer pour frimer, t'arrives plus à t'arrêter alors en plus de sentir le café, tu sens le tabac aussi.
_ Tu ne manges aucun légumes, encore moins ceux qui sont verts - tu détestes cette couleur, ça aurait pu faire une autre anecdote mais bon - et tu ne manges pas non plus de poisson. T'es difficile en ce qui concerne la viande, t'aimes les fruits mais tu penses jamais à en acheter, résultat : tu ne manges rien qui pourrait être qualifié de sain.
_ On en parle des boissons énergisantes que tu adores t'enfiler le soir en regardant des séries ? Nan. Ouais, c'est vrai, vaut mieux éviter.
_ Tu as peur de l'orage. Oui alors, c'est un truc que tu gardes pour toi, et quand t'es pas seul et qu'il fait de l'orage, tu fais le bonhomme, enfin t'essaies. Par contre, quand tu es dans ta solitude, tu te planques sous ta couette avec des écouteurs et la musique à fond.
_ Ah et t'as peur des chats, aussi. Sans commentaire, d'accord ?
_ Les escaliers. Terrible invention. Toi et les marches c'est … c'est pas compatible. Deux ou trois, ça passe, mais alors quand y'en a plus, tu rales, tu pestes, et généralement, tu te casses la gueule.
_ Tes chaussettes, c'est jamais les même.
_ Les olives, c'est dégueulasse.
_ Ne jamais, jamais, JAMAIS te laisser t'asseoir sur une chaise qui tourne ET qui roule. (Non, vraiment, ne le faites pas.)(C'est pas une blague.)(Arrête de rire.)
_ T'aimes bien draguer. Mais tu sais pas faire.
_ Par contre t'es super romantique comme mec. A ta façon. Et avec les moyens du bord. (Tu cuisines.)(Des pâtes.)
_ Tes tatouages c'est … T'en sais rien. Après toute cette histoire avec ton père, t'as juste claquer tout ton fric là-dedans. T'en as fais un, t'adorais ça, t'as recommencer, plein de fois, maintenant, t'en as partout.

Ils ne s'aimaient pas, c'est comme ça. Tu sais, on ne peut pas tout avoir et à l'époque, ton père en l'occurrence n'avait pas grand chose, mis à part du charme, peut-être. C'est probablement comme ça qu'il avait réussi à la séduire en si peu de temps, ou peut-être était-ce parce que de son côté, la timide Nancy était perdue entre sa timidité presque maladive, et les remarques parfois bien désobligeantes de ses amies. Elle sortait à peine de ses années lycées, jamais il n'y avait eu le moindre petit-ami à l'horizon et si pour elle, ce n'était pas si dramatique, elle avait tout de même sauter sur l'occasion lorsque lui, il s'était mis à lui faire les yeux doux. Elle avait mis de côté les quelques années qu'il avait de plus qu'elle. Elle avait mis de côté sa tendance à boire, à faire la fête, cette manie qu'il avait de lui demander de l'argent, celle qu'il possédait de débarquer tard le soir, complètement éméché pour profiter de son lit ainsi que de son corps. Des concessions, toujours des concessions, tout ça pour un amour qui n'existait même.

Parce que non, elle ne l'aimait pas. Elle avait bien essayé, et pourtant, elle n'avait jamais réussi à s'y attacher vraiment. De son côté à lui, il était évident qu'elle n'était rien de plus qu'un morceau de viande. Pourtant, ils demeuraient un couple aux yeux de tous. Probablement parce que chacun de leur côté, ça les arrangeaient. Et ça aurait pu continuer, des semaines, des mois, des années même peut-être si elle n'était pas tombée enceinte. Cette grossesse, elle avait signé le stop définitif de cette relation, et elle avait été le début d'une certaine descente aux enfers pour Nancy. Elle, elle avait tout essayer pour le convaincre de rester, de s'installer avec elle pour élever cet enfant. En vain. Il ne voulait pas d'un marmot dans les pattes. Il ne voulait pas d'une telle attache. Elle pouvait bien en fait ce qu'elle voulait, il disparaîtrait. Elle n'avait pas son mot à dire. Lorsqu'elle s'était tournée vers ses parents, la première démarche de sa mère avait été de lui prendre rendez-vous dans un hôpital pour la débarrasser de cet enfant qui n'avait pour elle pas lieu d'être et contre toute attente, malgré son jeune âge, Nancy avait refusé.

C'est pour toutes ses raisons qu'elle avait finalement dû arrêter ses études. Abandonner l'université. Enceinte, elle s'était mise à travailler, des boulots parfois douteux mais pour elle, tout ce qui pouvait lui rapporter un peu d'argent était bon à prendre. A la naissance de son fils, elle était parvenu à se louer un appartement. Tu l'auras compris, May, c'est là que ta vie à toi commence.

Ah, ta mère. Il n'y avait pas à dire, c'était un sacré bout de femme. Des difficultés, elle en avait, et pourtant, elle persévérait, encore et toujours, pour toi. Elle qui avait complètement foirer ses études, elle voulait te voir réussir. Elle te pousse, elle te répète sans cesse que tu dois trouver ta voie, qu'il faut que toi, tu deviennes quelqu'un. Et tu sais quoi, garçon ? T'étais si bien parti. Tu te donnais à fond pour la rendre fière. Chaque jour. Jusqu'à ce qu'il débarque.

Du jour au lendemain, il s'était installé à la maison et personne n'avait eu son mot à dire. Au début, quand il t'a dit qu'il était ton père, toi, t'étais naïvement heureux. C'est vrai, tu l'avais jamais vu, jamais connu, quel gamin ne voudrait pas de son père dans sa vie ? Sauf que les semaines avaient défilées, et toi, t'avais juste appris à le détester. Violent. Alcoolique. Un bon rien comme on en voit rarement dans une vie. Les coups pleuvaient sur ta pauvre mère chaque jour que le bon dieu vous offrait, il frappait si fort, à lui en faire perdre la raison. Définitivement, il avait fini par la détruire, pour de bon. Alors un jour, c'est lui que tu avais eu envie de détruire. Un jour, tu avais attrapé cette arme, et tu avais tiré avant qu'un coup de plus n'atteigne ta mère.

C'est pas bien difficile d'imaginer la suite, en fait. Tu l'as tué. On t'as mis aux mains de la justice tandis que ta mère, elle finissait internée en psychiatrie dans un état déplorable. Toi. Il n'y avait plus que toi. Livré à toi-même, sans personne pour te défendre, pour prendre la parole à ta place. Douze ans, May. T'avais que douze ans quand on a fait cette offre que tu ne pouvais pas refuser.

C'est le Centre qui t'as tiré de là. Tu changes de nom. L'enfant de personne, voilà ce que tu deviens. Le gamin né au mois de Mai. May. Mayer. Tu consens à laisser ta mère où elle est, à faire quelque chose de ton existence, comme elle le voulait.

C'est là que tu la rencontre. June.
D'une certaine façon, elle te ressemble. Tu trouves en elle une alliée, une amie, peut-être, t'en sais rien. Tout ce que tu sais, c'est que t'as jamais dit que tout ça avait été facile alors ouais, t'aimais bien l'avoir dans ton sillage tout comme t'aimais être dans le sien. Elle était forte et tu te sentais fort, avec elle. C'était la belle époque. Ca a durer des semaines, des mois peut-être, et toi, naïvement, tu te disais que vous pourriez être amis, que ça pourrait durer, que vous pourriez aller jusqu'au bout ensemble. C'est ce que t'aurais aimé, vraiment, mais elle … elle en avait décidé autrement et ça, t'étais pas prêt à l'accepter.

Il y a une chose à savoir à ton sujet, May. Tu ne lâches rien. Tu ne le fais plus. T'as dis au revoir à ton passé, mais tu n'as plus envie de laisser les choses auxquelles tu réussis à t'attacher derrière toi alors tu t'es dis, le plus naturellement du monde que si elle ne voulait pas de toi comme ami, c'était finalement pas bien grave, parce que de ton côté, tu ne renoncerais pas à l'idée de rester là, dans son sillage, et de la conserver dans le tien. Elle pouvait bien te détester autant qu'elle le voulait. Tu l'avais décidé, c'était comme ça, pas autrement, et il allait falloir qu'elle fasse avec.

L'équipe municipale de Blue Cove