C’était un fait, je n’avais pas beaucoup d’amis. Par conséquent, je me devais d’entretenir les liens avec le peu que j’avais. Lexa faisait partie des ces rares personnes. J’avais la chance inouïe d’avoir retrouvé une bonne copine de fac ici-même  Blue Cove, alors que nous nous étions rencontrées à New York. Le Destin réservait de drôles de surprises parfois.
Il y a peu, Lexa avait organisé une grande soirée pour la réouverture de son restaurant, j’avais voulu y faire honneur mais le boulot avait pris le pas sur le plaisir d’une dégustation de mets italiens. Jarod s’était trouvé là, et Kassandra aussi. La présence de Novàk m’avait inquiétée pour le premier caméléon, aussi avais-je tout fait pour qu’on oriente nos efforts sur la seconde. Et cela avait presque réussi ! Nous l’avions chopée, mais une course-poursuite s’était engagée en voiture et finalement, cette petite peste nous avait filé entre les doigts. J’étais énervée comme jamais.
Néanmoins, j’avais accepté l’invitation de mon amie. Cela ne pourrait pas me faire de mal, et vu que je m’étais éclipsée sans même lui dire au revoir à cause de la capture (foirée) de Kassandra, je devais au moins cela à Lexa.
J’arrivais donc à l’heure indiquée, après la fermeture. C’était bizarre de venir dans un restaurant fermé, mais ce ne serait pas la chose la plus étrange que j’aie eu à faire de ma vie. Suivant les directives de la maîtresse des lieux, je lui passai un petit coup de fil pour la prévenir que j’étais devant la porte, J’en profitai pour m’en griller une le temps qu’elle vienne m’ouvrir. J’écrasai ma cigarette dans un cendrier d’extérieur en la voyant arriver au travers de la porte vitrée.

- Bonsoir Lexa ! Merci pour l’invitation.

J’entrai en la laissant refermer, avant de lui tendre la boîte de chocolats que j'avais prise pour elle, pour la remercier et aussi un peu me faire pardonner.

- C’est une première pour moi de dîner dans un resto fermé. Ça a été ta journée ?

En effet, j’avais un emploi du temps plutôt chargé, Lexa n’avait pas tort. Seulement, elle était probablement loin de se douter de ce que je faisais pour gagner ma vie. Si, jusqu’à récemment, je pensais les demandes du Centre et de mon père légitimes, je commençais, depuis que Jarod et moi nous étions rapprochés de manière peu appropriée, à douter. Et le doute était un véritable poison.
Je comptais sur cette soirée pour me vider un peu la tête, avoir une vie normal et profiter d’un bon repas avec une amie, discuter avec insouciance autour d’un verre de vin, une chose qui ne m’était plus arrivée depuis des lustres.

- T’es pas mal occupée aussi avec tout ça et ça se comprend.

Elle me laissa entrer et j’entendis le verrou de la porte. Cela m’amusa car elle ignorait sans doute que si une personne tentait de nous braquer, je lui ferais la tête au carré. J’esquissai un sourire avant d’entendre la réponse de Lexa qui avait eu une grosse journée.

- ça ne m’étonne pas, je pense que tu as le resto le plus demandé de la ville. La grande classe. Moi, oh tu sais, la routine.

Je n’allais pas entrer dans les détails, de toute façon je n’en avais pas le droit. Ce n’était pas dit officiellement mais cela semblait logique. J’avançai avec elle vers la table qu’elle nous avait dressée à côté du piano, ce qui me fit penser à Aaron, son pianiste que j’avais rencontré au bar du Bellagio alors que j’espérais y voir Lexa. Mon amie s’éclipsa pour nous ramener des assiettes magnifiquement garnies tandis que l’ambiance sonore agréable habitait les lieux.

- Quoi, pour les chocolats ? m’étonnai-je alors qu’elle me remerciait. C’est la moindre des choses, et pour une fois tu pourras déguster un truc que tu n’as pas été obligée de faire toi-même.

Nous nous installâmes et je pris le verre de vin qu’elle venait de servir pour le lever vers elle.

- A cette soirée, et merci encore pour l’invitation.

J’en dégustai une gorgée, c’était un grand cru. Lexa connaissait son métier à la perfection, il n’y avait aucun doute là-dessus.

- C’est vrai que ça fait un bail. Depuis le temps qu’on doit se faire un repas juste toutes les deux… Tu sais, c’est devenu rare pour moi. Je n’ai plus tellement d’amies aujourd’hui, avec le travail et tout. Te retrouver m’a fait comme voyager dans le temps, me rappelant la fac, c’est dingue !

Je n’en revenais toujours pas qu’elle ait déménagé à Blue Cove. Mon regard se posa sur le piano et j’esquissai un sourire.

- Tu sais que j’ai rencontré ton pianiste, un jour que j’espérais te voir ici. On a pris un verre au bar. Aaron, c’est ça ? Il est cool.

J’avais tenté de le cuisiné et j’avais imbriqué en lui l’idée que Kassandra était dangereuse et que, en tant que chasseuse de prime, je devais la choper. Peut-être que Lexa aurait des info sur le sujet, car Aaron avait eu l’air de la connaître mais n’avait rien voulu me dire.

J’étais ravie pour Lexa, elle me confirmait que les affaires roulaient bien pour elle, et cela se comprenait : son resto était chic, bau, bien entretenu, et la nourriture servie ainsi que les boissons y étaient divins, à l’instar de ce verre de vin qu’elle venait de me servir et que j’appréciai. Savoir qu’elle n’éprouvait pas de soucis professionnels me confortait dans l’idée que j’aurais peut-être une véritable amie ici, à Blue Cove. J’avais beau ne rien vouloir admettre, cela me manquait. Avoir quelqu’un avec qui partager des trucs, rire, faire des choses insouciantes, cela me manquait, oui. J’étais devenue un bourreau de travail et je n’avais pas vraiment de vie en dehors de cela, et je commençais à me rendre compte que je perdais beaucoup de temps.
Lexa était contente des chocolats et je ris avec elle quant au fait qu’au moins, elle pourrait profiter d’une chose qu’elle n’avait pas été obligée de cuisiner. Nous trinquâmes, ravies l’une comme l’autre de nous retrouver.

- Plaisir partagé.

J’aimais beaucoup ce qu’elle nous avait sélectionné comme vin, et il m tardait de goûter à tout ce qu’elle avait préparé. Un assortiment de toutes les entrées de la carte. Je reconnus certaines bouchées que je n’eus pas le temps de déguster lors de la fameuse soirée de réouverture vu que… j’avais dû travailler. J’espérais que Lexa ne s’était pas offusquée que nous nous soyions retrouvés dans sa cuisine ce soir-là quand j’essayais de traquer Kassandra sans que Jarod ne soit capturé.

- ça a l’air délicieux.

J’avais glissé un mot sur Aaron, Lexa avait l’air de beaucoup l’apprécier.

- Oui, il était au bar, et moi j’arrivais, espérant te voir, puis nous avons discuté. C’était avant la réouverture. A propos de ça, je suis désolée de m’être retrouvée dans ta cuisine… En fait j’ai dû travailler au pied-levé ce soir-là et il se trouvait que certaines personnes avaient des informations importantes… Je crains de m’être montré impolie envers toi. J’espère que la soirée s’est bien terminée, ajoutai-je poliment.

J’étais rarement aussi aimable mais je ne voulais pas vexer Lexa. Je me saisis de ma fourchette pour goûter à une sorte de petit flan aux légumes qui s’avéra succulent.

- Mon dieu, c’est délicieux ça ! Qu’est-ce que c’est ?

J'espérais ainsi noyer le poisson et ne pas m'appesantir sur la soirée de réouverture. Je ne voulais surtout pas qu'elle me pose des questions, je n'avais rien le droit de dire, surtout pour sa sécurité.

Lexa avait toujours été sympathique et douce, un peu le contraire de moi en somme, qui étais une vraie brute. Néanmoins, ma chère blondinette arrivait parfaitement à ses fins quand même. Et la voilà à me questionner sur ce qui s’était passé le soir de la réouverture de son restaurant et qui avait fait que je lui avais fait faux bond.

- Des gens mécontents ? Sérieux ? Qu’ils aillent au McDo ceux-là ! Ils ne comprennent rien à la gastronomie.

Je soupirai. Elle m’avait posé une question et je devais trouver comment y répondre sans trop en dire. J’allais lui livrer la même version qu’à Aaron, histoire d’être cohérente.

- Je suis chasseuse de primes, en quelques sortes. Mais pour une entreprise fixe. Et non rassure-toi, personne n’aurait pu être blessé. J’ai juste essayé d’attraper une fugitive qui pouvait s’avérer dangereuse. Ce n’était absolument pas prévu, j’avais juste l’intention de profiter de la soirée et discuter avec toi. Mais parfois, des imprévus arrivent, je ne t’apprends rien, tu dois sûrement y être confrontée aussi.

J’espérais qu’elle n’insiste pas, je ne savais pas ce que je pouvais lui dire sans la mettre en danger. Je repris mes couverts pour continuer à manger.

- Un flan aux légumes ? Je connaissais pas, bravo, c’est divin.

Je reposai mes couverts pour reprendre une gorgée de vin. Tout était raffiné et succulent et ça faisait du bien.

- Est-ce que tu m’en veux d’avoir disparu pendant la soirée ? me risquai-je à lui demander.

Je ne voulais pas qu’elle m’en veuille, et la pauvre, elle ne se doutait pas de l’intensité de mon travail, et sa dangerosité aussi. Je n’avais pas droit à l’erreur, plus depuis plusieurs mois en tout cas, et encore une fois les caméléons m’avait filé entre les doigts. Enfin… l’une. Parce que pour Jarod, c’était différent, les sentiments qui nous liaient étaient particuliers et je trahissais mon entreprise en voulant désormais le protéger.

Je me sentais un peu mal de devoir mentir à la seule amie que j’avais. Néanmoins, d’une part il en allait de sa sécurité, mais également de la mienne. Et le mensonge n’était pas si grand parce que même si sur mes fiches de paie j’étais une salariée du Centre, dans les faits, mon travail de terrain était le même que celui d’un chasseur de prime. Je souris en la voyant rire à ma réflexion, cela faisait du bien de voir quelqu’un rire.

- Non, hélas. Je l’avais, mais elle a été aidée par des complices et elle a réussi à filer. Mais je n’ai pas dit mon dernier mot, je l’aurai un jour ou l’autre.

Lexa me proposait de m’aider, je trouvais cela adorable de sa part.

- Eh bien si tu croises cette fille, appelle-moi.

Je lui montrai une photo de Kassandra sur mon téléphone à l’époque où elle était au Centre, vêtu d’un combinaison beige, ses cheveux étaient plus longs aussi.

- Elle s’appelle Kassandra, elle utilise sûrement un pseudo. Elle est très intelligente et tout aussi dangereuse. C’est une très bonne menteuse qui te ferait lui donner le bon dieu sans confession, mais tu peux me croire, elle est vraiment dangereuse.

Mon histoire était cohérente, la même que j'avais servie à Aaron, et quelque part elle était vraie : Kassandra avait les connaissances suffisantes pour être un danger, et elle avait, voilà des années, brûlé avec des composés chimiques le visage d’une scientifique du Centre, bien que la caméléone ait nié. J’ignorais alors, en contant cela à Lexa, que mon amie l’avait déjà rencontrée chez Jarod.
Je continuai à manger tranquillement, profitant de l’incroyable assiette qu’avait confectionné ma chère Lexa. J’étais loin d’avoir ses talents en cuisine.

- Promis, ce soir je ne bouge pas de là. Après tout, ça m’étonnerait que la petite garce dont je t’ai parlé débarque ici, ou un autre de ceux que je cherche. Donc oui, on va pouvoir un peu rattraper le temps perdu.

Je repris une gorgée de vin, manquant de m’étouffer quand elle me parla d’avoir un homme dans ma vie. Je toussai un peu avant de reposer le verre.

- C’est pas que j’ai pas le droit. Je pourrais… C’est juste que… c’est compliqué, tu sais, les sentiments c’est pas trop mon truc… et puis… j’ai revu un ami depuis quelques semaines… on s’était… disons perdus de vue.

Mon dieu, des confidences de filles, je n'avais pas l'habitude. J’ignorais aussi que Lexa connaissait Jarod et qu’ils étaient amis.

- Mais toi alors ? Mariée, des enfants, waow, ça change de la fac !

Je restai fidèle à la version que j’avais servie à Aaron concernant Kassandra, et puis après tout, ce n’était pas si éloigné de la vérité… et je fus surprise d’entendre Lexa me dire qu’elle l’avait déjà vue. Mes yeux bleu acier s’écarquillèrent et j’écoutai attentivement les dires de mon amie de fac.

- Intéressant, je note… Et tu peux me donner les coordonnées de ton pote ?

Je ne devais négliger aucune piste et si Kassandra était là-bas en même temps que Lexa, c’était que l’ami en question connaissait soit la caméléone, soit l’homme en question qui l’accompagnait. J’ignorais encore que le fameux ami de Lexa n’était autre que Jarod… Jarod qui ne m’avait plus donné signe de vie depuis cette fameuse soirée de réouverture du Bellagio. Je faisais de mon mieux pour essayer de faire abstraction de l’inquiétude que je ressentais pour lui, tout comme le manque de sa personne d’ailleurs. Je pris donc en note les info de mon amie, et décidai de rester concentrée sur cette soirée de retrouvailles. La pauvre, elle avait travaillé si dur pour nous servir un repas magnifique et délicieux, je ne voulais pas gâcher encore une fois l’opportunité de discuter avec mon amie.

- Merci Lexa, me contentai-je de lui répondre.

La belle restauratrice me parla alors de sentiments, de vie de couple… Des choses que je n’avais pas l’habitude d’expérimenter. Je ne pus m’empêcher d’avoir un petit rire sarcastique.

- La personne qui me convient ? Faudrait un mec sacrément masochiste !

J’écarquillai les yeux en entendant Lexa déclarer qu’elle avait eu des jumeaux.

- T’es pas sérieuse ?! Et t’es encore foutue comme un mannequin, le tout en bossant en cuisine ? T’es une alien ou quelque chose du genre ? Et ça va les mouflets, c’est pas trop dur à gérer ?

Quelle patience elle devait avoir ! Pour ma part, les gamins, je les avais en horreur.

- Je bouge pas mal parfois, ça dépend, mais j’ai une maison à Blue Cove, sur Mountain Spring Drive. Et toi, tu habites où ?

Non pas que je comptais faire une descente chez elle, et encore moins si ses gosses étaient là.

Par tous les putains de dieux de toutes les putains de religions, était-ce possible ? Allais-je enfin avoir les coordonnées de quelqu’un qui me permettrait de coincer cette blatte de Kassandra ? Le sourire carnassier que j’affichai et qui trahissait ma joie s’estompa tout aussi vite lorsque Lexa prononça le prénom de Jarod tandis qu’elle écrivait.

- Jarod ?… répétai-je un peu hébétée.

Je jetai un œil à l’adresse, et plus de doute, c’était bien de mon Wonder boy dont il était question. La piste tombait à l’eau, évidemment qu’il ne me balancerait aucun indice sur sa complice.

- Merci Lexa, me contentai-je de dire en rangeant le papier et me faisant une note mentale pour le détruire. Ça reste entre nous, bien sûr. Ne parle pas de notre conversation à ton ami s’il te plaît.

Il ne fallait surtout pas qu’on trouve sur moi l’adresse d’un caméléon sans que j ne m’en serve officiellement, je serais alors grillée et Dieu seul sait ce qui pourrait m’arriver en de telles circonstances.
Heureusement, Lexa nous resservit du vin, j’en avais bien besoin. Dire qu’elle connaissait Jarod, ils étaient amis… Il s’était bien gardé de me le dire !
Malgré cette révélation, ça me faisait beaucoup de bien de passer une soirée avec une amie. Je n’en avais pour ainsi dire aucun, principalement des relations professionnelles comme Sydney ou Weather, rien de plus. Alors, me sentir un peu normale était plutôt bénéfique.

- Laisse tomber, un homme comme ça n’existe pas, dis-je avec un sourire en coin en secouant la tête.

Je repris un gorgée de vin avant de me pencher pour regarder le fond d’écran du téléphone de Lexa avec la photo d sa famille.

- Waow, si je m’attendais à ça… et vous avez aussi le chien et la barrière blanche devant la maison ? En tout cas il sont beaux tes gamins et ils ont ps l’air trop chiants, et ton mari pas mal aussi. Bravo.

Je n’avais aucune idée de ce qu’on pouvait dire quand on nous montrait une photo de famille alors j’avais dit ce qui me passait par la tête.
Je soulignai ensuite le corps de rêve de Lex malgré ses deux grossesses et un travail en cuisine. Elle m’expliqua qu’elle tenait ça de sa mère.

- Je vois, une chance en effet. La maison ? Oh ça doit bien faire un dizaine d’années. Tu pourras passer si tu veux.

Il me faudrait juste mettre sous clé mon armes et mes munitions, et tout ce qui se rapportait au Centre, évidemment.

- Tu pourrais même m’apprendre à cuisiner quelque chose, ce serait drôle. Enfin, si tu en as l’envie et la patience.

Je m’imaginais déjà préparer à Jarod un truc sophistiqué de dingue que m’aurait appris Lexa, avant de me gifler mentalement. Y avait quoi dans ce vin ?