Les paroles de Sean résonnaient dans la tête de Kassandra qui avait été figée quelques secondes par l’horreur de ce qu’elle venait de voir. Une vie qui venait d’être ôtée, sauvagement qui plus est, une personne innocente qui n’était venue ici que pour s’amuser un peu et profiter de la vie, un peu comme elle. Pourquoi ? Pourquoi existait-il des personnes aussi mal intentionnées ? Les larmes aux yeux et jusqu’alors déconnectée au point de ne plus entendre ce qui se passait autour, Kassie se reprit, comme si le temps défilait à nouveau normalement, sauf que soudain, tout s’était accéléré. Les gens paniquaient et criaient, et certains, les plus calmes, semblaient bloquer les issues. Asher voulait partir, à raison, mais c’était visiblement trop tard. Le coeur de la caméléone était plus serré que jamais.

- Les issues sont surveillées Ash, balbutia-t-elle en bégayant presque. Et c’est une scène de crime maintenant, on ne peut pas sortir comme ça.

Elle se colla contre lui pour se rassurer, bien que cela ne soit pas suffisant. Elle n’avait aucune idée de ce à quoi ressemblait ce Novàk très dangereux évoqué par Sean, mais comme son ami le lui avait dit, lui savait à quoi les caméléons ressemblaient.

- Il faut qu’on se sépare ! déclara-t-elle soudain. Si ce Novàk me voit avec toi, tu seras en danger. On doit faire comme si on ne se connaissait pas, c’est plus prudent.

La brunette se détacha alors de son fiancé en le regardant une dernière fois dans les yeux, les siens brillants de larmes qui ne demandaient qu’à couler. Si Sean avait raison, elle ne pourrait faire confiance à personne dans cette maison, hormis à ceux qu’elle connaissait, mais comme il ne fallait pas rester avec eux pour les préserver, la solitude serait sa seule certitude le temps de pouvoir sortir d’ici. Au moins, avec déguisements et maquillage, les caméléons avaient une chance d’échapper au Centre et à la Division. Peut-être.

- Fais bien attention à toi, mon amour.

Il y avait un tueur qui rôdait, et Kassandra ne savait pas ce qui était le plus dangereux, un assassin ou la Division embauchée par le Centre… Pour elle, certainement la Division, mais pour Asher, c’était sûrement un meurtrier armé. Même s’il savait combattre et avait une solide formation militaire, en de telles circonstances on ne pouvait présumer de rien.

- Je t’aime, finit-elle par dire avant de reculer et se retourner pour se fondre dans la foule.

J’avais Jarod devant les yeux et pourtant, je ne voulais pas l’enfermer. J’étais en colère qu’il ait filé à l’anglaise lors de cette nuit de tempête, mais cette colère n’était-elle pas davantage dirigée contre moi qui m’étais laissée avoir ? Ouh là, en pensant cela, j’eus soudain l’impression que je traînais un peu trop avec Sydney. En tout cas, je n’avais pas évoqué à cette dernière la petite aventure dans le chalet pris dans la tempête. J’avais menti à Weather en disant que j’étais arrivée trop tard, que les pompiers étaient déjà passés… Et il avait fallu remorquer ma voiture.
Pour l’heure, il fallait subir une nouvelle crise de panique car une tête venait d’être découverte au sol. Ça commençait à courir dans tous les sens, mais moi, je voulais choper le meurtrier, non pas par esprit d’héroïsme, mais tout simplement parce que je préférais être le chasseur plutôt que la proie. Mais voilà que la voix de mon caméléon préféré s’insurgeait.

- Je suis pas gourde, je me doute qu’il est déguisé, Wonder Boy !

Je tournai mon regard vers la sortie quand Jarod signala qu’il avait sûrement fait en sorte que personne ne puisse sortir, et là je remarquais Alexis Novàk. S’il me voyait discuter tranquillement avec l’un des caméléons fugitifs, il allait en tirer des conclusions qui ne seraient pas bonnes pour mon matricule, alors sans attendre, je me précipitai à l’étage, sachant que Jay serait sur mes talons. J’avais discrètement sorti mon arme à feu et Jarod en avait profité pour me dépasser. Quel idiot ! Je soufflai bruyamment et courus après lui.

- Qu’est-ce que tu fous ?! Tu n’es pas armé, laisse-moi passer devant !

Arriver au palier supérieur, je le doublai en lui donnant un coup d’épaule.

- Et remets ton foutu masque ! Le chef de la Division est là ! J’ai pas envie de me retrouver avec une balle entre les deux yeux parce qu’on m’aura vue avec toi.

En réalité, je n’avais aucune idée du sort réservé aux « traîtres » du Centre, et je ne comptais pas le découvrir à mes dépens.
Visiblement nous étions pour l’heure les seuls à avoir eu l’idée de monter à l’étage. Je me tournai vers Jarod en lui faisant signe de se taire, et j’avançai ensuite à pas de loup le long du couloir où, d’un côté, la rambarde donnait sur la piste de danse.

- La tête a été balancée d’ici, murmurai-je en montrant des traces de sang.

Jarod trouvait encore le moyen de plaisanter, mais moi, je ne trouvais pas ça drôle… Bien sûr que je m’inquiétais, mais je n’allais certainement pas le reconnaître, il n’aurait manqué plus que ça ! Je restais extrêmement vigilante et sur mes gardes, prête à allumer le tueur s’il lui prenait l’envie de nous bondir dessus.
Le caméléon commenta ma remarque sur la Division et la présence de leur chef. Si lui était là, ses hommes aussi potentiellement, et là, ce serait dangereux.

- Tu devrais la craindre aussi ! La Division recrute des tueurs implacables, on ne négocie pas avec eux !

Jarod me parla de sa théorie concernant le décès de la pauvre fille.

- C’est pas vraiment le moment de jouer les profilers si tu veux mon avis…

Mon binôme d’un soir (ou deux si on comptait la nuit dans la cabane lors de la tempête… eh merde), commenta la présence de Novàk et je soufflai en l’agrippant par le col de ma main libre.

- Ecoute-moi bien. La Division bosse pour le Centre, OK ? Les intérêt du Centre sont donc ceux de la Division. Une partie de leurs hommes sont aussi à votre recherche, je le sais parce que c’est moi qui ai parlé Novàk il y a quelques semaines.

Putain, j’en avais trop dit !

- Bref, qu’ils soient là ou non pour vous, s’ils vous trouvent, ils vous cueillent, c’est aussi simple que …

Je n’eus pas le temps de finir ma phrase que des coups de feu retentirent… provenant de l’extérieur. Machinalement, je tournais la tête en direction du bruit et entraînai Jarod avec moi dans une pièce qui donnait sur une fenêtre. Là, j’aperçus des corps inanimés au sol et une personne prendre la fuite dans les bois, certainement le tueur. J’ouvris rapidement la fenêtre et ajustai ma position pour tenter sur le fuyard avant de me raviser. Il n’y avait pas 100 % de chances que ce soit le tueur, et je ne voulais pas avoir de compte à rendre à la police.

- On va sortir par la fenêtre ! soufflai-je avant de m’y engouffrer.

Il y avait comme une terrasse formée par le toit juste en-dessous. Je rangeai mon arme momentanément pour me rapprocher du bord, me baissant pour prendre appui sur mes mains et finalement sauter pour atterrir en bas. J’attendis que Jarod me suive, et rapidement, avant que la maison ne se vide de ses fêtard apeurés, je me mis la poursuite du présumé tueur.

Kassandra était terrifiée, non pas par le fait qu’une tête coupée jonchait le sol de la piste de danse désormais maculée de sang par les pas empressés des convives voulant sortir car pris de panique, ou encore par la présence plus que certaine en ces lieux d’un tueur, bien que ce ne soit guère rassurant, mais bel et bien par la probabilité de se voir capturée par ce fameux Novàk dont elle ignorait le visage ou par ses hommes. Prostrée contre un mur à observer tout ce fourmillement d’humains, la caméléone calculait les probabilités de se faire attraper. Il manquait des paramètres importants comme le nombre de l’effectif de la Division, ceux du Centre… Combien pouvaient-ils être à cette soirée comparativement aux citoyens lambda de la ville ? Kassie estimait ses chances de rentrer à la maison retrouver Asher à 43 %. C’était peu, c’était moins que la moitié, mais c’était réaliste. Il n’y avait visiblement que deux issues à cette maison, les deux étant gardées. Si les personnes gardant l’entrée faisaient partie du Centre ou de la Division, et si ces personnes étaient avisés des visages des caméléons échappés, elle risquait de se faire prendre. Mais, toutefois, il subsistait des chances qu’elle ne soit pas reconnue grâce au maquillage et au costume, qu’elle parvienne malgré tout à s’enfuir même si on essayait de l’attraper, car l’agitation était grande… Bref, ce n’était pas une science exacte, mais Kassandra restait prudente.

Ce fut le bruit de coups de feu provenant de l’extérieur qui la sortit de ses réflexions scientifiques. Elle fut quelque part rassurée de savoir que personne n’était sorti, cela voulait dire que ni Asher, ni Jarod, ni Sean n’était potentiellement blessé par ces coups de feu, mais la personne qui avait tiré l’avait forcément fait sur quelqu’un, ce qui voulait dire que potentiellement, une ou plusieurs personnes avaient besoin de soins médicaux. N’écoutant alors que son altruisme et le serment qu’elle avait fait en devenant officiellement docteur en médecine, elle se précipita vers l’une des sorties, celle gardée par une femme.

- Madame, j’ai entendu des coups de feu dehors et…

Soudain, elle reconnut cette femme qu’elle n’avait pas identifié la première fois qu’elles s’étaient croisées. C’était la maman de la petite Sarah qu’elle gardait parfois en alternance avec Lexie.

- Madame Howlett, si quelqu’un est blessé, je dois lui venir en aide, je suis médecin, pouvez-vous me laisser sortir s’il vous plaît ?