U u jour de plus à savourer une liberté durement acquise. Adossé à l’une des tables érigées par le marchand de glace, Jarod observait au loin, les quelques gamins qui couraient après une balle de basket. Un téméraire, petit par la taille, mais grand par l’audace, se risqua à un panier à trois points et délivra son équipe d’une partie trop longue. Jarod, impressionné, résista non sans mal, à l’envie de les applaudir. Il se contente d’un « — Bien joué ! » qui emplit les gosses de fierté. Après tout, ça n’est pas tous les jours qu’un pompier vous congratule de la sorte.

Il était en « pause » depuis quelques minutes. Ainsi, il avait choisi de venir jusqu’ici pour se délecter d’une glace et accessoirement se rafraichir. Il est vrai que depuis peu la ville côtière de Blue Cove subissait bien, malgré elle, les intenses températures de la côte ouest. Si bien que tout à chacun résistait mal aux appels océaniques, à la fraicheur d’une climatisation ou d’une bonne glace.

Fouillant le fond de ses poches, le caméléon régla la note. Il était seul aujourd’hui, pas d’équipier, ni le bleu à baby-sitter. Mais un calme relatif, car avec les fortes chaleurs, les pompiers étaient presque constamment sollicités et n’avaient que peu de temps pour souffler. D’ailleurs, Jarod avait les yeux rivés sur son biper malgré le fait qu’il demeure silencieux depuis plus de trente minutes. C’était trop beau pour être vrai. Allait-il s’en plaindre ? Dès lors, il pouvait savourer comme il se doit, ce petit plaisir glacé qu’il tenait entre ses mains. À nouveau, il observa les gamins qui s’amusaient puis il réajusta ses lunettes de soleil, avança sa glace et prit sans attendre, la direction de la caserne qui se trouvait à quelques mètres de là. Ajoutons à ça, la fête foraine qui débutait le soir même.  

Forte heureusement, la journée fut calme, assez pour que les organismes ne soient pas trop atteints par la fatigue ; une chance, car la chaleur intense n’était pas un cadeau et rendait les recrues les plus jeunes un peu plus casse-pieds qu’à l’ordinaire ; assez pour que le nouveau capitaine se sente obligé de les recadrer. Jarod préférait se mettre à l’écart et ne pas contester la méthode de son supérieur, du moins pour le moment. Chacun se devait de faire ses preuves.

« Bien. Comme vous le savez, la fête foraine démarre ce soir. Nous serons donc mobilisés durant une bonne partie de la soirée. Pour plus d’efficacité, l’unité sera divisée en deux. Ainsi, la moitié de l’équipe s’occupera de ce qui a trait aux coups de chaud. On risque de ne pas en manquer ! »

Ce sont sur ces mots du capitaine que chacun regagna le groupe qui lui était attribué. Jarod, en tête, rejoignit l’imposant véhicule rouge. — Assurez-vous d’avoir tout pris les gars ! lança-t-il avec bienveillance en vérifiant de son côté qu’il ne manque rien dans les sacs prévus à cet effet. — Parés ? Tous acquiescèrent avant de grimper à l’intérieur du camion et de prendre la route, direction la plage.

Le regard rivé sur la grande roue, Jarod semblait fasciné. C’était la toute première fois qu’il assistait à ce genre d’évènement depuis son évasion. L’odeur des quelques confiseries présentées sur les étals, enivrant les sens du caméléon. L’immense sourire qui prenait vie sur son visage, trahissait son bonheur d’être là et malgré l’uniforme, il tombait peu à peu en enfance.

Comme tout le monde en ville, j’avais reçu les publicités concernant la fête foraine que la municipalité allait mettre en place. A la vérité, ce genre d’événement me faisait gentiment marrer et rouler des yeux. Mais Lexa m’avait dit vouloir y aller. Sans doute pour ses gamins, garder un œil sur eux, et j’avais compris qu’elle ne voulait pas être la seule adulte. Depuis la mort de son mari, je n’avais pas le coeur de lui refuser quoi que ce soit. C’était ma seule amie, et j’avais bien du mal à être à la hauteur. Alors, je m’étais rendue sur place, casquette vissée sur la tête et grosses lunettes de soleil sur le nez : je m’assurais ainsi de n’être pas reconnue par d’éventuelles connaissances du Centre… Il ne manquait plus qu’on me charrie avec ça ! Jeans bleu marine Levi's et débardeur noir, j'étais probablement méconnaissable par rapport aux tenues "de bureau" usuelle que j'avais l'habitude de porter quand je travaillais.

J’étais là depuis cinq minutes à regarder autour de moi. Les gens semblaient heureux. Il leur en fallait peu. Je soupirai, je m’ennuyais déjà. Et j’étais à peu près sure de ne pas trouver de whisky ici. Mon regard se baladait, voyant ces familles, ces gamins insupportables et capricieux, ces adultes qui retombaient en enfance, ces attractions, ces sucreries colorées, la musique beaucoup trop forte émanant de chacun des stand et qui, de loin, s’apparentaient à une joyeuse cacophonie qui n’avait rien de joyeuse pour moi… Quand soudain mon regard fut happé par les pompiers. Je savais Jarod faisant partie des leurs… un secret que je gardais précieusement, ne voulant pas mettre à mal trop vite sa liberté. Notre relation avait évolué dans un sens dangereux, je devais le reconnaître, mais à présent, je voulais le préserver.

Comme Lexa n’arrivait pas, sûrement en retard à cause de l’un de ses marmots, voire des deux, je décidai d’envoyer un message à Jarod. Le caméléon avait réussi à bidouiller quelque chose sur nos téléphones, empêchant ceux-ci d’être tracés, même par mon super informaticien, l’insupportable Weather.

  Salut. Je vois des pompiers à la fête foraine… Me dis pas que tu en es ? 

Message envoyé. Je continuai à scruter, à la recherche de sa bouille.

M algré la chaleur, les pompiers se mobilisèrent pour que les tentes blanches soient installées avant l’affut de visiteurs. Conscients de l’utilité du dispositif et parce qu’ils voulaient que tout se passe bien, certains forains vinrent apporter de l’aide et quelques bouteilles d’eau supplémentaires aux secouristes. J’avoue que cela faisait plaisir à voir, mais ne m’empêchait pas de lorgner de temps à autre sur le stand de confiseries non loin de là. Aurais-je le temps de m’octroyer un petit délice sucré ? Sûrement pas, car avec les températures et l’inconscience de certains, il était fort à parier que les pompiers soient fortement sollicités aujourd’hui.

Les grilles s’ouvrirent enfin, permettant à toute une foule de personnes de pénétrer l’univers fabuleux de la fête foraine. Les enfants par dizaine riaient aux éclats, courant partout juste pour attirer l’attention de leurs parents. Les plus vaillants se précipitèrent vers les attractions à sensations, tandis que les plus jeunes convoitaient des manèges plus calmes. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il y en avait pour tous les goûts.

Talkie en main, j’observais les environs. Il ne fallut pas attendre longtemps avant de devoir mener une première intervention. En effet, une jeune demoiselle incapable de poser le pied à terre, dut être transporté. Elle riait aux éclats tout en hurlant de douleur, ce qui fit sourire le bleu à mes côtés.

— À première vue, ça n’a pas l’air méchant. Mais vous allez être contrainte de renoncer à la fête foraine pour aujourd’hui.  D’autres adolescents firent leur arrivée, visiblement inquiets pour leur amie et quelque peu échaudés à mon grand dam.  — Je croyais que l’alcool était interdit ici ?  Le bleu, un peu plus informé, me fit savoir qu’il était fort probable que ces jeunes aient consciemment outrepassé cet interdit en amenant leur propre boisson. « Les ados, tu sais ce que c’est ! » Malheureusement non, je n’étais pas au fait de toutes les bêtises commises par une bande de gamins bien décidés à s’amuser au détriment des règles.

« Pour vous, je veux bien me casser la cheville tous les jours. » De toute évidence, le bleu avait une touche, ce qui me fit gentiment sourire ravivant un semblant de légèreté qui me permettait de demeurer patient malgré l’inconscience de ces gosses.

 — Le prestige de l’uniforme ! Fais en sorte qu’elle s’hydrate pour le moment et que toutes les bouteilles contenant de l’alcool soient vidées.  À peine avais-je dispensé mes ordres, que mon portable se mit à vibrer. J’en profitais dès lors pour m’éloigner afin de découvrir le SMS qui venait de m’être délivré. Le sourire qui prenait vie sur mon visage en disait long, assez pour que certains le remarquent à coup sûr. N’y tenant plus, je me lançais presque à corps perdu dans la rédaction de ma réponse.

Salut. Tu es perspicace « aujourd’hui » ; peut-être un peu trop d’ailleurs.
Si tu vois une tente blanche avec des types en uniforme, il est fort probable que tu aies une réponse à ta question  

Je suis enceinte de sept mois et demi... Déjà 7 mois et demi et mon ventre est juste énorme... Je ne devrais pas sortir mais aujourd'hui j'en ai envie... Je ne veux pas rater cet événement... Je suis souvent restée enfermée avec mon amoureux... J'ai eu du mal à contrôler mes émotions, j'étais une véritable éponge...Heureusement que j'avais son soutien et surtout le soutien de Kass et de Lexie. J'ai fait jurer à mon chéri que je serais sage et que je ne partirais pas longtemps. Il ne peut hélas pas m'accompagner... Il doit travailler... Il s'en veut de ne pas être avec moi. Mais je le rassure comme je peux et je lui fais un grand sourire. Je viens me blottir contre lui, enfin, blottir mon ventre contre lui. Il le caresse tendrement et vient déposer un baiser dessus puis sur mes lèvres. J'enfile un pantalon confortable et un petit tee-shirt. Impossible de cacher ce ventre... Il me reste environ un mois avant que je n'accouche. On pense que je ne vais pas atteindre le terme, qu'il faudra déclencher l'accouchement. On a mis longtemps avant de me faire comprendre ce que cela voulait dire... Mais j'aimerais moi que l'accouchement il se déclenche tout seul...

Une fois prête, je prends mon sac et le futur papa m'emmène en voiture jusqu'à la fête foraine. Il m'embrasse et je descend difficilement en éclatant de rire. Je me balade un peu, m'assois souvent sur les bancs quand soudain je sens une bonne odeur... Hummm ça sent la pomme d'amour... Je vais m'en acheter bien vite une. L'avantage c'es que ce stand n'est pas loin de celui des pompiers. Je me sens en sécurité ainsi. Et je sais que mes bébés le sont aussi. Je m'assois et je scrute autour de moi, espérant voir un visage connu. Grâce au bruit ambiants je ne suis pas envahie par les émotions des autres. C'est tellement agréable... Je caresse doucement mon ventre et je cligne rapidement des yeux. Crotte de bique... Je connais une des femmes que je vois au loin... Comment oublier son visage... Elle fait partie du camp ennemi... Je dois me faire discrète... Il ne faut pas que je me fasse prendre, je ne veux pas y retourner... Je dois trouver un endroit où me cacher pour être en sécurité. Je pourrais peut être aller voir les pompiers mais, je ne veux pas les déranger, ils ont tellement de travail... Je me mets debout et avance malgré tout dans leur direction. Je jette le bâton de la pomme d'amour car je l'ai terminé et je pose mes mains dans le creux de mes reins. C'est qu'ils sont lourds mes mini moi... Je guète autour de moi, je n'arrive pas à voir où elle est...

Lexa n'était toujours pas dans mon champs de vision... Sans doute était-elle sur la route, ou encore chez elle a secouer ses mois du bulbe de gamins... Néanmoins, à voir avec quel entrain les adolescents entraient dans cette fête foraine, j'aurais été surprise que ce soit à elle de les bouger plutôt que l'inverse. Cependant, j'étais moins inquiète pour la sécurité de Lexa que pour celle de Jarod. Mon amie n'était pas recherchée, elle avait une vie normale. Grand Dieu, je ne savais même pas ce que c'était, moi non plus.

Je reçus une réponse à mon SMS, et d'ailleurs, la rapidité du délai me surprit. La réponse, quant à elle, ne me rassurait pas. Il était donc là. Je soupirai. Mon regard parcourut alors ce que je pouvais voir des lieux. J'avais vu la tente des pompiers. C'était donc là son quartier général. Pourvu qu'il n'en bouge pas. Si quelqu'un du Centre venait, il y avait peu de chance qu'il ou elle se retrouve à avoir besoin des pompiers. Et Lexa qui n'arrivait pas... Je trépignais, ne sachant que faire. Téléphone portable en main, après avoir vu une certaine attraction, je me décidai à lui répondre.

Tu devrais pas être aussi visible lors d'un événement comme celui-là.

J'effaçai mon message. À quoi bon ? Il avait beau être un caméléon et donc doté d'une intelligence supranormale, il n'en restait pas moins un gamin. Quoi dire à un gamin pour le mettre à l'abri ? Peut-être lui trouver un intérêt pour l éloigner du danger ? Je soupirai une nouvelle fois.

Prends -toi une barbe à papa et va faire un tour de grande roue.

L'attraction semblait à quelques pas de la tente des pompiers dans laquelle je voyais déjà des jeunes entrer.
Des jeunes, Parker, pas des nettoyeurs.
Je me sentais stupide à autant m'inquiéter. Je n'avais pas l'habitude de m'inquiéter pour d'autres personnes, je ne comprenais pas ce qui m'arrivait.

J' aurais dû les sermonner comme il se doit. Après tout, il est aussi idiot qu’inconscient de consommer de l’alcool avec une telle chaleur. Mais une part de moi louait leur inconscience et cette envie presque irrépressible de s’amuser sans avoir à se soucier des conséquences. Aurais-je été ainsi à leur place, si ma vie avait été normale ? Peut-être, en attendant, je ne pouvais leur en vouloir d’avoir profité de leur jeunesse l'espace d'un instant. Cependant, je me devais de les affubler d'un petit topo, histoire de les faire culpabiliser tout en jouant de ma bienveillance. Mais pour se faire, je me devais de me détacher de mon portable. Parker allait me répondre, c’était une évidence. Curieux, je la cherchais du regard avant de retourner auprès du groupe d’adolescents inconscients.

— Ecouter, s’amuser c’est bien, mais le faire prudemment, c’est encore mieux. Par de fortes chaleurs, la consommation d’alcool peut entrainer bien des désagréments. Évidemment, ils se défendirent (du moins ceux qui étaient en état de le faire) et contestèrent le fait d’avoir consommé de l’alcool, ce qui m’obligea à apposer un implacable diagnostic. — Voilà pourquoi il est préférable pour vous, de vous contenter de l’eau. J’avoue, j’avais exagéré et peut-être extrapolé certains détails rendant mon explication un tantinet alarmiste. Mais de toute évidence, cela avait fonctionné à en juger par leur mine déconfite. Le bleu pouvait dès lors prendre le relais sans avoir à sévir. — Je te laisse terminer Buck.

Mon regard se posa ensuite sur une jeune femme enceinte, qui se déplaçait non sans mal vers nous. Mon portable se mit alors à vibrer. Je ne pouvais me résoudre à répondre, même à Parker.

— Excusez-moi ! lançais-je à la demoiselle en m’approchant. — Tout va bien ? Rassurez-moi, vous n’avez pas perdu les eaux ? tentais-je en arborant une fausse légèreté. — Venez à l’intérieur, vous serez à l’ombre et nous avons tout un stock de bouteilles d'eau. Mon regard balaya à nouveau l’horizon sans parvenir à se poser sur celle qu’il aurait été préférable que j’occulte de mes pensées à présent.

— Moi c’est Jarod ! lançais-je gaiment à la femme enceinte tout en la guidant à l’intérieur du chapiteau médicalisé et donc à l’ombre. — A en juger par la taille de votre ventre, vous avez dépassé les deux trimestres, je me trompe ?

Je m'avance lentement, en tentant de fuir cette horrible femme... Ma mémoire est incroyable... Un peu trop parfois... Et son visage est gravé à jamais en moi... Et ce visage est en lien avec l'endroit où j'étais retenue... Je vois alors un pompier s'approcher de moi. Je suis tellement perturbée que je le regarde en le dévisageant. Son visage aussi je le connais mais pour le coup... Impossible de retrouver d'où il vient... Trop de stress, trop d'émotions différentes dans ce chapiteau... Même l'homme qui me parle ressent plusieurs choses... J'inspire profondément et je me concentre sur ses mots. Cela me calme et je lui souris. Je rigole même un peu. Je suis contente de pouvoir lui répondre. Il y a peu de temps je ne savais pas ce que voulais dire perdre les eaux. Je croyais que j'allais perdre mes os moi... Et cela m'avait beaucoup inquiété... Mais non ce n'est pas du tout ça en fait.

- Rien à signaler de ce côté je vous promet. Même s'il est vrai que je pourrais accoucher à tout moment...

On m'a prévenu que lors des grossesses gémellaires on arrive rarement au terme... Mais moi, je compte bien y arriver, même si ce n'est pas moi qui choisi...

- Je ne dirais pas non pour un peu d'eau, c'est très gentil de votre part.

Je suis un peu gênée d'abuser de son temps... Je vois bien le monde présent sous le chapiteau. Il y a plusieurs jeunes qui semblent dans un sale état. Mais j'avance avec lui jusqu'en dessous. Je regarde derrière moi. La femme n'est toujours pas revenue dans mon champ de vision et cela me va parfaitement. Je me concentre de nouveau sur le gentil pompier.

- Et moi c'est Carla. J'en suis à sept mois et demi. J'attends des jumeaux...

Je souris en caressant mon ventre. Ils peuvent prendre toute la place qu'ils veulent, tant qu'ils sont en bonne santé. Sentant que les émotions des autres reviennent vers moi, je chante dans ma tête une petite chanson, tout en inspirant et expirant lentement. Calme... On bloque tout ça et tout ira bien. Je souris un peu plus en voyant que cela fonctionne à merveille.

M algré la présence de Parker et tout ce que cela produisait, je me devais d’être disponible pour les autres. Cependant, je n’omettais pas le fait d’être encore plus vigilant qu’à l’ordinaire, car à n’en pas douter, ce genre de festivités peut même attirer celles et ceux qui d’ordinaire arpentent les couloirs du Centre. Ainsi, je reprenais mes esprits et la vigilance qui allaient de pair pour mieux me focaliser sur les personnes à risque comme cette demoiselle enceinte qui, incertaine et légèrement angoissée, s’approchait de nous. Avec légèreté, je cherchais d’abord à la détendre, sans la certitude d’y parvenir tant je n’étais pas encore au fait du second degré. Le sourire qui prenait vie sur son visage m’indiquait que j’étais sur la bonne voie.

— Détendez-vous pour commencer d’accord ?  J’observais à nouveau la rondeur de son ventre, sans me montrer trop insistant pour ne pas la gêner davantage, puis je me saisis d’une bouteille d’eau pour la lui tendre. — Il faut bien s’hydrater en de telles circonstances.  Puis pour achever de la mettre un peu plus à l’aise, je me risque à une présentation, constatant au passage qu’elle observe à plusieurs reprises l’extérieur, comme si elle s’attendait à voir quelqu’un débarquer à tout moment. Peut-être était ce pour cela qu’elle faisait montre d’une certaine anxiété. Je fus surpris d’apprendre par la suite qu’elle était enceinte de jumeaux.

— Et bah dis donc, toutes mes félicitations. C’est un sacré changement qui s’annonce n’est-ce pas ?  Malgré la légèreté, je tâchais de ne pas trop me montrer curieux, histoire de ne pas la mettre à nouveau mal à l’aise.   — Sept mois pour des jumeaux c’est presque un terme, vous savez. Donc rassurez moi, vous n’aviez pas l’intention de faire des manèges n’est-ce pas ? 

Mine de rien, je suis assez soulagée que ce gentil pompier soit venu à ma rencontre et ait décidé de me faire entrer sous la tente. Je serais sans doute en sécurité. Je dois vraiment me cacher de cette vilaine femme… Et surtout il faut que je me calme pour cesser de ressentir les émotions des gens présents à côté de moi. Je souris quand il me dit de me détendre. Ce n’est pas vraiment facile quand je sais que non loin de moi se trouve une femme du Centre… Une femme qui vient de cet endroit que je déteste tant et qui m’a fait vivre d’horribles choses. Et puis quelle idée j’ai eu dans le fond de venir ici toute seule alors que je peux accoucher à tout moment ? J’avais juste envie de profiter un peu, de prendre l’air et de voir du monde. Il y a tant de choses à découvrir dans cet endroit, tant de choses que je ne connais pas… J’ai vu des sucreries de tout genre et puis ces attractions… Si je n’étais pas enceinte je me laisserais tenter, mais je dois faire attention à mes bébés. Je me dois d’être sage.

- Je vais me détendre oui… C’est juste que… Je me cache de quelqu’un… Mais ce n’est rien.

Surtout que je sais qu’elle ne me cherche pas. Donc je suis en quelque sorte en sécurité… Je e risque rien. Il faut juste que j’évite de me mettre en face d’elle. Et puis qui dit qu’elle me reconnaîtra, surtout au vu de mon état. J’ai beaucoup changé depuis que je me suis échappée… Je prends la bouteille d’eau, l’ouvre et bois directement quelques gorgées. Cela fait tellement de bien.

- Oh que oui, je n’oublie pas de m’hydrater. Je fais bien attention à cela mais euh vous parlez de quelles circonstances ?



Je suis un peu gênée d'abuser de son temps... Je vois bien le monde présent sous le chapiteau. Il y a plusieurs jeunes qui semblent dans un sale état. Mais j'avance avec lui jusqu'en dessous. Je regarde derrière moi. La femme n'est toujours pas revenue dans mon champ de vision et cela me va parfaitement. Je me concentre de nouveau sur le gentil pompier.

- Et moi c'est Carla. J'en suis à sept mois et demi. J'attends des jumeaux...

Je ne comprends pas ce qu’il veut dire par là. Il y a des circonstances particulières ? Ou alors est-ce encore une expression que je ne connais pas ? Je n’aime pas le second degré… Je souris quand on parle des bébés et encore plus quand il me félicite. Cela m’amuse toujours autant qu’on me dise cela parce que je n’ai rien fait pour les avoir, enfin si mais… Je ne sais pas comment expliquer…

- Oh ça oui un sacré changement, je n’étais pas aussi énorme ! Et avant j’étais seule et maintenant on est trois avec deux minis moi dans mon ventre. On va passer de deux à quatre bientôt… Je ne réalise toujours pas…

Et je ne sais toujours pas si je serais prête, si je vais être une bonne maman, si je vais m’en sortir… Mais bon, j’aurais mon amoureux avec moi, cela devrait donc bien se passer… Je baisse la tête honteuse quand il me rappelle que je suis presque à terme. Et un peu vexée aussi qu’il puisse penser que je vais faire des attractions. Je fais attention…

- Non non ! Je ne compte pas en faire. C’est juste que… Je… Je voulais voir cet endroit. j’avais jamais vu ce genre de fête encore… Même si je sais que ce n’est pas très sérieux. Je fais attention…

Et puis je ne comptais pas rester trop longtemps. C’est nouveau pour moi tout cela. Et… Je ne sais pas, je pensais que c’était une bonne idée. Et pour l’instant, je ne regrette pas du tout. Je découvre un lieu magique, des odeurs incroyables et je ressens tellement d’émotions positives ici, avec une pointe de peur et de chagrin. Mais j’arrive à gérer ce que je reçois comme émotion, sauf depuis que j’ai vu cette femme ignoble… Cependant, au côté du pompier, je me calme et arrive donc à bloquer un peu tout cela.  

C
ette journée allait être tout sauf reposante, j'en avais le pressentiment. Lexa n'arrivait pad, et Jarod était là, ce qui attisait mon état de mal-être. J'étais inquiète pour lui et cela m'agaçait profondément. Je ne comprenais pas ce sentiment que j'éprouvais, et en pas comprendre était une chose difficile à accepter pour moi. J'en avais ma claque d'être plantée là à attendre mon amie, plus encore en sachant Jarod présent, potentiellement la proie d'autres nettoyeurs du Centre. En même temps, combien de chance y avait-il pour que d'autre soient là ? J'étais nulle en probabilités, c'était Weather en geek bob en math... Moi je savais tirer. Je soupirai. J'avais perdu le caméléon de vue. Je plissai les yeux derrière mes lunettes de soleil avant de le revoir paraître, se penchant pour donner une bouteille d'eau à quelqu'un. Une femme enceinte. Fronçant un peu plus le regard, j'avais l'impression que cette petite dinde avait un air familier.

Se pourrait-il que...

Je m'empressai de consulter via mon téléphone portable les dossiers du Centre. J'étais affairée à chercher Jarod et Kassandra, officiellement, mais il y avait ej deux autres disparitions, et... Mon intuition ne m'avait pas trompée. Cette baudruche était l'une des deux. Jarod était avec elle... Que faire ? Si je parvenais à la capturer, peut-être que je serais libérée du Centre et que je pourrais mieux aider Jarod à se cacher. Mais s'il apprenait que javajs fait ça, il m'en voudrait... Néanmoins, je devais le protéger. Et ilf allait quje j'agisse seule, car alerter les autres nettoyeurs mettrait irrémédiablement Jarod en danger.

Après quelques secondes de réflexion, je décidai de m'approcher. J'étais assez méconnaissable avec mes jeans, bottines, casquette et lunettes de soleil, ce qui pouvait être un avantage. J'ignorais si Carla avait déjà vue, mais moi, j'avais son dossier.

- Quelle chaleur! lança-je une fois à leur hauteur.

J e ne voulais pas me montrer trop intrusif et encore moins la sermonner ; bien que je peine à comprendre ce qu’elle fait là. À ce stade de la grossesse, il aurait été préférable pour elle, de rester aliter, plus encore avec des jumeaux. Je savais par expérience que les gestations gémellaires n’arrivent que rarement à terme. Et les pourcentages, quant aux risques encourus en de telles circonstances, n’allaient pas dans le sens de ma jeune interlocutrice. Sa présence en ces lieux constituait donc une menace pour ces bébés ; un risque que le stress pouvait accroître. Je devais donc me montrer attentif à ses besoins et prévenant à son égard, plus encore avec de telles températures.

Les autres avaient fort à faire avec la bande de jeunes. Je m’en voulais un peu de les laisser devoir gérer, mais vu l’état de stress de mon interlocutrice, il aurait été irresponsable de la laisser seule. — Installez-vous bien avant !  Je la vis observer le groupe de jeunes avec intérêt avant de ressentir comme une légère gêne que j’interprétais comme de la culpabilité. — Ne vous en faites pas, mes collègues gèrent la situation et n’ont de ce fait, pas besoin d’une paire de bras supplémentaires. 

Elle me fit savoir qu’elle était prête à se détendre tout en livrant entre ses lèvres, une confession qui me surprit ; assez pour que je la relève. — Comment ça, vous devez-vous cachez de quelqu’un ?  J’aurais presque pu trouver cela drôle, si Parker n’avait pas été dans les parages. Cependant, tout me parut clair, presque trop. Kassandra m’avait parlé d’autres caméléons, plus jeunes que nous. Et si Carla était une des nôtres ? Cela expliquerait pourquoi elle cherchait à se cacher.

— Donc c’est la première fois que vous voyez une fête foraine ?  Je ne voulais rien laisser paraître de ma découverte ; le faire pourrait aisément la mettre en position de stress et hypothétiquement déclencher son accouchement et donc attirer toutes les attentions. Par précaution, je préférais envoyer un message à Kassandra. Je n’étais sûr de rien (surtout pas de sa présence) mais dans le doute, je me devais d’essayer.

« Salut. J’ai une Carla qui cherche à se cacher. Caméléon ? Attention, MP est dans le coin. »

Une fois le SMS délivré, je pouvais me concentrer sur Carla. — C’est bien si vous faites attention. Et je ne vais pas vous sermonner. Je sais ce que c’est que de découvrir quelque chose dont on vous a privé durant toute votre vie.  J’esquissais un sourire malgré mes paroles ; un sourire qui disparut lorsqu’une voix ô combien familière me remonta jusqu’aux oreilles.

— Je reviens, ne bougez pas ! Tout va bien se passer.  Sans attendre, je me précipitais vers Parker en priant tout ce qui pouvait l’être, pour que Carla n’ait rien remarqué. Arrivé à sa hauteur, je l’entrainais gentiment à l’abri des regards.

— Je te connais assez pour savoir que tu n’es pas là pour moi. Elle est enceinte Parker et sur le point d’accoucher à la moindre contrariété. Je t’en prie, ne lui fais pas de mal.

Le pompier est si gentil... J'aime bien ce genre de personnes. Ils aident les autres au risque de perdre la vie. Je les respecte beaucoup. Et pour être honnête, j'aime beaucoup les regarder travailler. Sans le savoir il m'aide à fuir la femme que j'ai reconnu. Son visage est ancré a jamais dans mon cerveau... Je ne peux pas l'oublier même si j'aimerais. Tout ce qui est concerne le Centre est dans ma tête... Je me souviens de tout à cause de ma mémoire eidétique. Je m'installe confortablement et je bois vite l'eau qu'il me donne. Mais je reste gênée. Je n'aime pas déranger surtout quand d'autres personnes ont besoin d'aide et le pompier semble le comprendre et me rassure. Je lui souris timidement.

- Vous avez raison... Je n'aime pas juste pas déranger...

Je fini par lui avouer que si je suis dans cet état c'est parce que je cherche à fuir quelqu'un... Mais je ne peux pas rentrer dans les détails... Ma nature doit rester secrète, tout comme d'où je viens... Surtout qu'il s'agit d'un étranger en face de moi... Très peu de personnes sont au courant de ce que j'ai vécu...

- Je... J'essaie d'éviter quelqu'un que je n'ai pas du tout envie de voir...

En parlant je caresse mon ventre. Les bébés bougent... Eux aussi doivent vouloir la fuir. Eux aussi ont senti qu'elle est une menace. Ils savent que j'ai peur. Je ne veux pas retourner dans cet endroit horrible. Et je ne veux surtout pas que mes bébés y aillent... J'ai si peur qu'on me les enlève... Je ne veux pas... Je ne le supporterai pas... Le pompier arrive malgré tout à me calmer un peu. Je ressens ses émotions malgré moi. Il semble inquiet, attentionné et... Il ressent pas mal d'émotions différentes... Je souris quand elle parle de la fête foraine. C'est bien la première fois oui... Il y a tellement de choses à voir... Et tellement de bonnes odeurs... Il y fait bon vivre ici. On se sent bien même si je ressens un peu de peur également. Certaines personnes ont peur...

- Oui, je ne connaissais pas du tout. C'est vraiment très beau et puis toutes ces odeurs... C'est incroyable ! Je ne voulais pas rater cela même si je sais que ce n'est pas raisonnable...

Je caresse toujours mon ventre. Je suis soulagée qu'il ne me sermonne pas. Par contre... Il dit quelque chose d'étrange mais je n'en fais pas cas. Ses parents ne voulaient peut-être pas qu'il fasse quelque chose et qu'il n'a pu le faire qu'une fois adulte... En tout cas je sais que pour moi, on m'a privé de beaucoup trop de choses, des choses que je n'ai pas encore découvertes pour certaines...

- J'ai encore beaucoup de choses à découvrir et je voulais le faire avant l'arrivée des bébés... Mais cela ne va pas être possible...

Soudain j'entends une voix... Une voix de femme... La peur revient au triple galop. Je tente de me cacher un peu mieux en me recroquevillant mais c'est compliqué avec mon ventre... Je ne sais pas s'il s'agit de la femme que je fuis mais je ne dois prendre aucun risque. Hélas, je ne peux pas me lever pour partir... Je tente de respirer calmement par la bouche. Je ne dois pas avoir peur... Je dois rester calme pour les bébés... Je grimace légèrement en sentant un pic de douleur dans le ventre. Une contraction... J'en ai de temps en temps. Je ne suis pas inquiète, Kassandra m'a dit que c'était normal... Je regarde autour de moi, je dois disparaître, même si je ne sais toujours pas si la voix que j'ai entendu appartient à la femme du Centre. La seule sortie possible se trouve du mauvais côté... Il faudrait que je passe devant elle. Est-ce que le pompier pourrait m'aider ?  

La patience n'avait jamais été mon fort. Et quand je m’ennuyais, mon sens de l’observation se mettait en marche. J’avais d’abord repéré Jarod, ce qui éveilla mon inquiétude pour lui. Puis, j’avais vu cette fille… une autre évadée du Centre. Plus discrète que Jarod et Kassandra, mais tout aussi utile pour le Centre. Je me disais alors que repérer cette fille pourrait m’aider et aussi aider Jarod… Sauf qu’ils étaient là tous les deux. Je décidai de mettre carrément les pieds dans le plat et d’y aller. Mais à peine à la hauteur de la tente, Jarod m’attrapa pour me prendre à part. Bras croisé, mes lunettes de soleil sur le bout du nez, mon regard bleuté se planta dans le sien.

- Qu’est-ce que tu fous ?

Personne ne pouvait nous entendre avec le bruit qu’il y avait dehors.

- Je ne suis pas là pour faire du mal à qui que ce soit. Mais ne joue pas les héros. Tu sais bien que j’ai pas le choix. Je serais toi, je ficherais le camp.

Je voulais être libérée de l’emprise du Centre, et pour cela, je devais obtenir des résultats. Mais Jarod, c’était exclus. Je ne pouvais me résoudre à le livrer. Je voulais le protéger. Les autres caméléons, je n’en avais cure.
Si seulement Lexa était arrivée… Cela aurait tout changé. Mais les choses avaient tourné différemment. Le retard de ma grande (et seule) amie avait fait en sorte que j’avais repéré Jarod, et par extension Carla. Enceinte. Mon dieu, avec un caméléon, j’en apporterais potentiellement deux au Centre… voilà une bonne raison de me laisser partir après, non ? Voyais-je enfin le bout du tunnel ?

- Les renforts sont en route, je veux que tu t’en ailles, sifflai-je entre mes dents.

Je mentais, mais c’était la seule solution pour éloigner Jarod de ce lieu.

L e prospectus affiché sur le frigo était alléchant et attrayant par ses couleurs vives inhérentes à un univers enfantin. Bien sûr, Asher se sentait éloigné de ces considérations. Du moins, il le pensait jusqu’à ce qu’un flashback l’arrache à sa réalité. Il s’agissait de deux petits garçons ivres d'insouciances qui s’amusaient à courir dans les allées. L’un des deux semblait plus âgé et menait la course. Puis ils se retrouvèrent face à une grande roue. Ash’ eut à peine le temps de contempler d’édifice, car déjà il revenait à lui, toujours le prospectus en main. Par le plus grand des hasards, l’évènement débutait le jour même.

« — Kassandra ! » Il quitta la cuisine pour retrouver la chambre qu’ils partageaient à nouveau depuis son retour. « — Et si l’on sortait aujourd’hui ? Je sais que je n’ai pas encore terminé le programme de rééducation, mais j’ai l’impression qu’une sortie me ferait le plus grand bien. » Pour accompagner sa demande, il lui tendit le flyer de la fête foraine. « — Ça pourrait peut-être débloquer des choses non ? » Il avait omis de lui parler du flashback, pas certain d’en comprendre la signification. Cependant, il était empli d’une si grande motivation, qu’il était difficile de lui dire non.

C’est ainsi que le « jeune » couple délaissa son environnement protecteur, pour rejoindre la ville et plus précisément l’endroit où se trouvait la fête foraine. Une fois n’est pas coutume, Kassy était derrière le volant, l’ancien militaire se refusant à conduire pour l’instant. Ce n’était pas faute d’avoir essayé, mais les tremblements et cette sensation de malaise qui l’avait assailli l’avaient de toute évidence dissuadé de se mettre derrière un volant avant un bon moment.

Arrivé sur les lieux, l’amnésique se laissa bercer par les odeurs sucrées émanant de plusieurs stands. « — C’est agréable ! » Tellement qu’il se demandait s’il parviendrait à résister à l’envie de gouter à tout. Et alors qu’il se demandait par quoi commencer, son attention se porta sur Kassy qui, portable en main, semblait préoccupée.

« — Qu’est-ce qui se passe ? » se risquait-il à demander.