Mon réveil avait été un peu compliqué ce matin-là. Je m’étais levée en mode zombie et j’avais réussi à me traîner jusqu’à ma salle de bain sans me cogner dans le moindre meuble. Ca relevait de l’exploit, car sans mes lunettes, j’étais aussi myope qu’une taupe en plein soleil. Je n’avais pas la chance d’habiter un appartement qui était très bien isolé. Je ne gagnais pas un salaire de fou et ma mère était trop instable pour ramener une paie régulière. On vivait donc sur mon petit salaire le quatre vingt pour cent du temps. Je m’y étais malheureusement fait.

Une fois ma douche prise, je n’avais pas envie de prendre mon petit déjeuner ici. C’était beaucoup trop déprimant, et si c’était pour entendre encore les voisins se prendre la tête, ça ne m’intéressait pas. J’entendais le voisin du dessus quand il allait aux toilettes. Je terminais donc de me sécher et de me préparer. Une fois prête, j’allais quand même préparer le petit déjeuner de ma mère. Je ne savais pas quand elle allait se lever, il y avait des fois où elle dormait toute la journée. Mais je ne voulais pas qu’elle mette le feu à l’appartement, alors dans le doute.

J’allais ensuite enfiler mon manteau, mes chaussures et je prenais mon sac à main dans lequel je déposais mon livre de chevet et je me mettais en route. Une fois arrivée au Starbucks, j’entrais dans le bâtiment. Comme il était tôt, le lieu était encore relativement vide, ce qui faisait mon affaire. J’allais donc au comptoir pour passer ma commande et je me prenais un bon petit déjeuner. J’allais ensuite m’asseoir sur une banquette et je sortais mon livre. Il s’agissait d’orgueil et préjugé. J’adorais ce livre. Je me plongeais dedans tout en savourant un jus d’orange fraîchement pressé. Tout était calme, personne pour me crier dessus ni pour me rabaisser. J’aimais beaucoup ce genre de moment où je pouvais m’évader de ma petite vie monotone sans que personne ne vienne interférer.

J’étais plongée dans ma lecture, lorsqu’une voix familière me fit lever la tête. Il s’agissait d’un de mes très nombreux collègues de travail. Ou plutôt, l’un des rares à qui j’adressais la parole. Après tout, j’étais le petit rat du sous sol, je me faisais toujours discrète et la plupart des personnes ne connaissaient même pas mon existence. Depuis toujours, j’étais la fille timide aux lunettes que personne ne regardait. A l’école, tout le monde se moquait de moi, ce qui ne m’a pas vraiment aidé à m’ouvrir aux autres au final. « Oui, c’est dommage qu’il n’existe que dans mon imagination. »

Je n’avais rien le temps de rajouter que ce dernier prenait place devant moi comme si de rien n’était. Coincée dans mon coin ? Il avait vraiment dit ça ? Je retirai mes lunettes et je buvais une gorgée de mon jus d’orange. « Eh bien, peut-être que c’est uniquement parce que j’aime la solitude que je suis coincée dans mon coin. » Je n’avais pas du tout étais agressive dans la remarque que je venais de faire. J’avais juste constaté un fait. En plus de mon livre, j’épluchais les petites annonces des appartements. Il était temps pour moi de vivre toute seule.

« Mais assied toi, je t’en prie… Tu as aussi besoin d’une bonne dose de café pour commencer ta journée ? » Sans ça, je ne pouvais pas avoir les idées claires et vu la personne a qui je devais rendre des comptes, je n’avais clairement pas intérêt à me planter dans mon travail. Miss Parker ne laisser rien passer et ça avait toujours été comme ça. « C’est la première fois que je te vois ici, tu avais envie de changer tes habitudes ? » Je n’étais pas vraiment le genre de fille à débuter une conversation, mais Russel était une personne que j’appréciais et il avait de la conversation. Mais le plus important, il ne faisait pas comme si je n’existais pas et ça, c’était quelque chose que j’appréciais grandement. Même si je ne le lui dirai pas directement. Je prenais soin de mettre le marque pages dans mon livre et de le remettre dans mon sac. Je n’allais pas continuer ma lecture devant lui. Ce ne serait pas très poli et j’avais quand même un minimum d’éducation. J’avais aussi prit mon petit déjeuner à l’extérieur car je devais trouver comment annoncer à ma mère que je voulais partir.

Je ne parlais pas beaucoup aux gens d’habitudes. C’est drôle, mais j’avais l’impression que c’était parce qu’ils ne me voyaient pas. Comme si j’étais un fantôme. Alors, lorsque Russel vint prendre place en face de moi, j’étais plus surprise qu’autre chose. Il était entré dans ma bulle d’intimité sans que je ne m’y attende vraiment. Je lui faisais un petit sourire. Au final, ça me faisait du bien d’avoir une personne en face de moi qui voyait que j’existais. Que je n’étais pas juste une plante verte qui faisait simplement partie du décor. Et rien que ça, ça me faisait du bien.

Je secouais négativement la tête. « Non, c’et mal poli de lire quand une personne est en face de toi et non, je ne viens jamais dans ce genre d‘endroit d’habitude. Je ne suis pas vraiment le genre à casser ma routine. Mais je ne sais pas, ce matin j’en avais envie. Je.. Je crois que j’ai envie de déménager et de prendre ma vie en main, mais quelque part, ça me fait un peu peur… » Je me sentais ridicule. J’étais une vieille fille et je le savais. Mais faire un tel changement quand on est seule, ce n’est pas facile.

Je levais mon regard vers lui. Lui aussi essayer de changer. J’étais heureuse de constater que je n’étais pas la seule. « C’est drôle, les grands esprits se rencontrent comme on dit, toi aussi tu as envie de changer apparemment. » Je n’osais pas lui dire que je vivais toujours chez ma mère et que, même si je l’aimais plus que tout, notre relation est un peu compliquée. Peut-être que le fait que je m’en aille, ça va nous aider toutes les deux ? Ou peut-être pas. Je ne savais pas trop quoi penser. Pour tout dire.

Mais j’avais prit la lourde décision de penser à moi. Enfin, c’était peut-être juste de la théorie, car en pratique, ça allait être beaucoup plus compliqué. « Est-ce que toi aussi le changement est quelque chose qui e fait peur ? Je n’ai pas vraiment l’habitude de briser ma routine. Après, ça me fait drôle mais ce n’est pas si terrible que ça quand j’y réfléchis. Tout se bouscule dans ma tête… » Je buvais une gorgée de jus d’orange. Il devait vraiment me prendre pour une folle en fait. Je ne l’étais pas, j’étais juste trop timide et je sentais que j’étais rouge.

Je remettais nerveusement une de mes mèches derrière mon oreille. Russel avait raison et au fond de moi je le savais. Peut-être que j’avais besoin de l’entendre de la bouche de quelqu’un. Oui, j’avais peur, et j’avais peur du changement. Mais je savais que ça pouvait très bien être bénéfique. Je ne faisais pas exprès d’avoir peur. A mon avis, ma mère devait avoir tellement peur de finir seule, qu’elle avait tout fait pour me garder avec elle et me faire croire que la vie à l’extérieur était bien trop dangereuse sans elle. Ca avait sans doute été un lavage de cerveau.

J’étais heureuse qu’il soit là et qu’il ait prit la peine de s’asseoir à ma table. D’habitude, les gens m’évitaient plus qu’autre chose ou ils faisaient tout simplement comme si je n’existais pas. Ce genre de comportement ne m’aidait vraiment pas à avoir confiance en moi, bien au contraire. « Je sais que tu as raison. Mais tu vois, j’ai l’impression que la théorie et la pratique sont vraiment deux choses complètement différentes. » Je terminais mon jus d’orange et je commençais à manger mon petit déjeuner en prenant soin de ne pas m’en mettre partout. Je n’étais pas seul après tout.

Je levais mon regard vers lui. « Je crois que je fais partie de ces gens qui ont peur du changement. Peur de ne pas y arriver seul. Si tu veux la vérité, je vis avec ma mère depuis que je suis née. Je n’ai rien connu d’autre ni personne. J’ai toujours été mise à l’écart. J’ai l’impression que si tu ne rentres pas dans le même moule que tout le monde, les personnes autour de toi t’ignore et ne prenne même pas la peine d’essayer de te connaître. J’ai 30 ans et je vis encore chez ma mère tu imagines ? »

Mon Dieu, je n’avais encore jamais dit tout ce que je ressentais à quelqu’un et encore moins à un collègue de travail, mais ça me faisait vraiment du bien. « Non, j’ai commencé uniquement à regarder les appartements car clairement, ce n’est pas avec ce que je gagne que je pourrais m’en payer une. » Une maison, c’était un rêve, mais pour ça, je devrais soit mieux gagner soit trouver l’homme de ma vie, l’épouser et là, je pourrais avoir une maison et peut-être aussi une vie normal. Mais il ne fallait pas rêver, j’étais plus une femme à chats qu’autre chose.

Tout le monde était surprit sur le fait que je sois timide et toujours à l’écart. Mais j’avais été élevée comme ça.  Ma mère savait très bien qu’elle avait un problème et comme elle ne voulait pas que je l’abandonne, elle m’avait fait un lavage de cerveau en me disant que j’étais en sécurité uniquement avec elle et que les autres personnes qui se trouvaient autour de moi étaient dangereuses. Je n’avais donc cessé de me répéter ça durant toute mon enfance. Mais je ne sais pas, quelque chose avait changé en moi en grandissant. Une petite voix qui me disait que le monde extérieur n’était pas si dangereux que ça au final.

Il était donc tant pour moi de me bouger. On ne dit pas mieux vaut tard que jamais ? Mais Russell prononça une phrase qui attira toute mon attention. Je posais ce que j’avais dans les mains et je plongeais mon regard dans le sien. « Une augmentation ? Enfin Russell, ce n’est pas sérieux… Je n’ai aucune raison d’en demander une. Tu sais que quand on demande ce genre de chose, il faut argumenter et clairement, je n’ai rien à dire. A part le fait que je suis la seule à faire ça. »

Foncer dans le tas ? Mais comment ? Attendre de repérer un groupe de personne et arriver sur une comme une boule de pétanque sur eux en leur disant : eh bonjour ! On ne se connaît pas mais je cherche des amis ça vous dit ? Je baissais les yeux comme je le faisais à chaque fois que je sentais le malaise monter en moi. « Foncer dans le tas ? Et tu fais ça comment toi ? Parce que personnellement, je n’en ai aucune idée. » Je levais le regard vers lui.

« Oui, je devrais oser, mais je ne sais pas, quand je suis seule j’ai vraiment du mal. Après, c’est vrai que te parler ça me fait du bien et ça prouve que je peux avoir une conversation avec quelqu’un sans que l’on se moque de moi. Je sais que j’ai un très grand travail à faire sur moi-même et j’essaie de faire déjà un pas en prenant l’initiative de déménager. Tu n’imagines pas à quel point c’est déjà énorme pour moi. » Pour une personne normal, ça pouvait paraître ridicule, mais pas pour moi. Pour moi, c’était immense.

Je réalisais que parler avec Russell me faisait vraiment le plus grand bien. Non, je n’étais pas en train de tomber amoureuse de lui. Je constatais simplement qu’il avait très certainement traversé un peu les mêmes choses que moi et il était donc bien placer pour me conseiller. Il fallait vraiment que je me mette un coup de pied aux fesses, mais je ne pouvais pas tout faire en même temps. C’est comme quand on apprend à marcher, on fait un pas après l’autre. J’allais donc commencer par déménager, me trouver un petit appartement sympa. Car je ne me sentais pas encore prête pour demander une augmentation.

« Oui tu as raison. Mais je pense que je vais d’abord commencer par déménager. Car affronter mes supérieurs, dont mademoiselle Parker, je ne m’en sens pas encore capable. Alors, à la limite, pourquoi ne pas commencer par un petit appartement et voir plus grand ensuite ? Après tout, Rome ne s’est pas construite en un jour. » Je lui faisais un petit sourire en coin et je terminais mon petit déjeuner. En sa compagnie, je n’avais pas vu du tout le temps passer. Il était vraiment de bon conseil.

« Pas réfléchir, ce n’est pas quelque chose que j’arrive à faire. Je sais que je réfléchis beaucoup trop. » Je n’oserai jamais parler à des personnes que je ne connais pas. Ils me demanderont ce que je leur veux et franchement, mon comportement ferait vraiment peine à voir. Nous sommes dans une époque où même demander un simple renseignement dans la rue devient compliqué. Je me souviens, j’ai eu la chance d’aller à Paris avec l’école. On a voulu demander où se trouvait le bureau de change le plus proche avec une amie à un couple de passants. On leur à juste dit bonjour, ils ont fuit en nous disant qu’ils n’étaient pas intéressé.

Il proposait de m’aider à argumenter pour mon éventuelle augmentation et j’aimais beaucoup cette idée. « Oui je veux bien, on peut en parler en route si tu veux et non, je ne possède pas de voiture, je suis venue en transport. » Je rangeais mes affaires et je débarrassais mon plateau. Je l’attendais ensuite.

La conversation que j’avais avec Russell me faisait vraiment du bien au fond. Je ne parlais à personne d’habitude. Sauf quand on m’adressait la parole. Et au niveau de mes proches, je n’avais que ma mère donc, ça ne me laissait pas grand choix. Mais je remarquais qu’avoir des amis serait vraiment une bonne chose dans le fond. Après tout, être entouré de personnes qui sont toutes différentes, ça peut-être intéressant non ? Je n’étais pas fermée à cette idée et je savais que ce dernier me conseillerai au mieux dans cette démarche. Il me proposait ensuite gentiment de marcher avec lui pour continuer cette conversation.

« Oh non, tu ne m’embêtes pas du tout au contraire ! Je trouve vraiment très intéressant de parler avec toi . Et je sais que tu as raison dans tout ce que tu me dis. Il faut vraiment que j’essaie de me donner un bon coup de pied aux fesses. Je vais donc faire mon maximum pour essayer de mettre tes conseils en pratique. Mais une chose à la fois si tu veux bien. Ce sont de très grands changements pour ma personne. »

On arrivait à l’arrêt du bus et ce dernier me demandait si j’avais un ou une meilleure amie. Je ne trouvais pas sa question choquante. Si je voulais qu’il m’aide, j’allais devoir lui répondre avec sincérité et je comptais bien le faire. « Euh, non je n’ai personne. » J’avais honte de cette réponse, mais elle était sincère. Non, je n’avais personne, mais j’étais vraiment prête à tout faire pour que ça change. « Et toi ? Tu en as un ou une ? »


Il avait entièrement raison dans ce qu’il me disait. Mais parfois, la théorie est plus facile que la pratique. On arrivait à l’arrêt du bus et je m’asseyais sur le banc en attendant que ce dernier arrive. Il n’y avais pas beaucoup de personne à l’arrêt et c’était tant mieux. Je n’avais pas envie que des inconnus soit au courants de tous les détails de ma triste vie.

Je me demandais si Russell pouvait devenir mon meilleur ami. Mais je ne savais pas comment je devais m’y prendre. Il avait du arriver quelque chose à son meilleur ami. Car pendant quelques secondes, Russell changea de tête. Il y avait certainement du se passer quelque chose, mais je n’osais pas lui demander quoi. Si Russell en avait envie, il m’en parlerait. Je faisais un joli sourire à son discours et je remettais une mèche derrière mon oreille. « Merci beaucoup Russell. J’apprécie vraiment ton aide et je te promets que je vais faire tout ce que tu me diras. »

Il avait raison, il fallait que je choisisse bien le quartier où j’allais vivre. Il fallait que j’évite les quartiers qui craignaient trop. Même si là bas, le seul avantage, c’était le prix du loyer. Mais comme il m’arrivait parfois de rentrer tard chez moi, je préférais éviter. J’avais déjà repéré quelques appartements à prix raisonnable qui se trouvaient dans des résidences sympas et sécurisée. Mais comme il avait de l’expérience, le mieux serait qu’il vienne avec moi s’il était d’accord. C’était mieux de faire une visite avec un homme et avec une personne qui s’y connaît un peu.

« Oui en effet, c’est un excellent conseil. Est-ce que tu serais d’accord de venir visiter les appartements que j’ai trouvé avec moi ? Je sais qu’une fille seule à plus de chance de se faire arnaquer que si elle est accompagnée. »

Je lui faisais un petit sourire. Le bus arrivait au loin, je me levais en même temps que lui. Je commençais à jouer avec une mèche de mes cheveux. Je faisais tout le temps ça quand j’étais nerveuse. Je ne voulais pas lui rappeler de mauvais souvenir. Le bus s’arrêta et je montais la première. Je validais mon titre de transport et j’attendais que ce dernier vienne s’assoir à côté de moi.