J'étais un peu trop pensive ces derniers temps, entre le décès de Jane, la femme...enfin l'ex-femme de mon frère, son nouveau couple, ce mystérieux Centre dont je n'arrivais à trouver aucune information. Du coup, aujourd'hui je m'étais faite portée malade pour le bar et j'avais pris ma journée décidée de m'aérer l'esprit. Et les deux meilleurs moyens que je connaissais pour ça c'était le sexe et ma moto. Je décidai que je n'avais pas envie d'aller draguer, donc ce serait la balade en moto à l'extérieur de la ville. Voir du paysage et m'aérer pour de vrai, aussi loin de toutes ces distractions de cette ville, bien que ce soit là que je me sentais chez moi.

Un petit coup d'oeil pour vérifier l'huile, l'essence et compagnie, et me voilà partie sur la route avec veste en cuir, pantalon en cuir et mon casque aux couleurs LGBT et crâne de mort. Je passai plusieurs heures à arpenter les rues de campagne faisant une halte de temps en temps pour jeter un coup d'oeil et profiter du silence. En tant que citadine ça ne m'arrivait pas souvent, mais en tant que motarde j'avais besoin de ma dose régulière. Mais la chance avait décidé de me cracher dessus aujourd'hui pensais-je en entendant ma bécane crachoter avant de s'arrêter complètement. Je passai un long moment à regarder, sortir les quelques outils et le torchon de ma sacoche pour essayer de régler le problème.

Cela devait plusieurs minutes que je poussais des insultes n'arrivant pas à réparer ma pauvre Jody, oui je lui avais donné un nom. Et alors que j'étais couchée la tête plongée dans les tuyaux, j'entendis une douce voix féminine sans bien comprendre ce qu'elle disait. Sur le coup, persuadée que personne n'approcherait, je fus surprise, surprise qui me fit lever la tête pour la cogner sur un tuyau.

Aie! Bordel de merde!

Je glissai pour m'extirper de ma position et voir qui m'avait approché, et je m'attendais pas à cette jeune femme enceinte, même très enceinte, avec un sourire tellement adorable que je lui aurais donné le bon dieu sans confessions. Et pas que si elle était pas enceinte. Je chassai cette idée de mon esprit en réalisant qu'à ses yeux elle devait voir une bikeuse tatouée pleine de suie. Je tentai donc une petite présentation pour éviter de trop l'impressionner.

Bonjour, je suis désolée j'ai pas bien compris ce que vous avez dit avec la tête dans les entrailles de Jody. Et je vous serre pas la main, vous comprendrez, mais le coeur y est, parole de boyscout.

Je parlai de mes mains en agitant une d'elle alors que je les essuyais histoire de lui montrer. Et je réalisais que je m'étais pas présentée au final.

Moi c'est Vickki.

Je ne sors plus beaucoup du ranch depuis ce qui est arrivé à la fête. Je me repose mais j'ai quand même besoin de marcher un peu et surtout j'ai besoin d'aller voir mon cheval. J'aimerais pouvoir le monter mais Jason ne veut pas à cause des bébés. Ils prennent trop de place... Il a raison. Je l'écoute beaucoup. Quand je me balade, j'évite d'aller trop loin. J'ai peur... Peur que les gens du Centre me retrouvent... Une fille comme moi qui a deux bébés dans le ventre... C'est trop important pour eux. Je sais qu'on m'a vu... Je dois protéger mes enfants... Alors quand je sors, je marche sur la route du ranch mais je ne vais pas beaucoup plus loin que l'entrée principale.

Aujourd'hui, j'ai enfilé un haut à fleur et un pantalon assez large en jean. Direction le boxe d'Ouragan pour un câlin et des bisous. Je lui offre deux pommes. Il vient poser sa tête contre mon ventre et souffle dessus. Cela me fait rire. Je m'excuse de ne pas pouvoir aller me balader avec lui et je sors. Je marche un peu en me tenant le dos et fini par sortir du ranch. Je tourne à gauche et avance pendant quelques minutes. Moins de cinq je dirais. Quand soudain... Une moto avec... Une personne en dessous ? Je fronce les sourcils et m'approche. Je souris en voyant qu'il s'agit d'une femme. Mais elle est bizarre... Elle a plein de dessins sur le corps.

- Bonjour ? Vous faites quoi ici ?

Ce n'est pas souvent qu'on voit des gens passer par là, sauf ceux qui viennent au ranch. En tout cas personne ne s'arrête par là... Sauf... Le vilain pompier qui m'a fait du mal il y a quelques mois... Elle semble gentille. Mais grossière. Je souris un peu plus. Quand elle se redresse, je me rends compte qu'elle est très impressionnante... Pas le genre de personne que je côtoie... Mais je perds vite mon sourire. Les entrailles de Judy ? Hein ? Je penche ma tête sur le côté pour regarder la moto. Je ne vois pas de sang... Où est ma Judy ? Je... Elle est à la maison non ? J'avance de quelques pas et regarde mieux la moto.

- Les entrailles de Judy ? Comment ça ? Vous avez mis ses entrailles dans la moto ? Et le cœur est où ? C'est quoi une parole de boyscout ?

Je ne comprends pas du tout de quoi elle parle... Je n'aime pas trop ça... On ne parle pas des choses que Judy a dans son corps... Je pose une main sur mon ventre et recule de quelques pas. Je plisse les yeux. Je crois que je n'ai pas compris ce qu'elle voulait dire... Je dois surement me tromper... Raaa je me sens tellement idiote quand je fais ça...

- Je m'appelle Carla... Et je crois que j'ai pas compris de quoi vous parlez... Je suis désolée...

Petit sourire contrit pour montrer que je suis désolée et que je m'en veux.

La vue de cette jeune femme produisait en moi quelque chose d'inconscient et d'incompréhensible que je n'avais jamais exploré au préalable. Ou plutôt c'était son ventre proéminent qui créait cela en moi, ce ventre qui allait donner la vie. Cette réalité, ou possibilité de réalité m'était lointaine dû à mon orientation sexuelle, et j'avais toujours été persuadée d'aussi loin que je me souvenais ne jamais vouloir d'enfant de quelque manière que ce soit. Mais la vue de celui-ci créa une sorte de brèche, de doute sur cette conviction, une fêlure qui se produisait dans mon inconscient là où je n'avais pas de prise pour me convaincre du contraire.

Et cette demoiselle rayonnait de quelque chose d'innocent, de pure, mais pas que, de par mon expérience à cerner les gens, je crus déceler comme une tache dans cette pureté sans pouvoir en dire plus sur une simple vue de son regard. Et son innocence, ou même son absence de second degré ou compréhension de celui-ci me pris totalement au dépourvu. Elle croyait que Jody, ou Judy était une personne dans les entrailles étaient sous ma moto. Il me fallut une seconde pour comprendre l'incompréhension avant d'être prise d'un rire que je ne pus réfréner. Je me calmai en levant une main paume vers mon interlocutrice comme geste d'excuse pour ce rire. Et je tentai de m'expliquer, toujours un sourire amusé aux lèvres.

Désolée, non il n'y a pas d'entrailles de qui que ce soit. J'ai beau être différente, je ne mets pas des parties de gens sous ma moto. Dans le fond je suis une gentille fille, je te le promets.

Je me mis à côté de ma moto, une main posée sur le siège en cuir noir et faisant aller mon regard de la jeune femme à ma moto, je continuai d'essayer de clarifier mes dires. Et à la vue lointaine du ranch à l'horizon, une idée me vint. J'attendis cependant qu'elle se soit présentée afin de faire des présentations un peu plus...abordables.

Elle, c'est ma moto, et je l'ai appelé Jody, car je tiens à elle plus que tout. Un peu comme on donnerait un nom à un animal, comme....un cheval par exemple. Jody, je te présente Carla, Carla, je te présente Jody.

J'espérais que cela suffirait au moins à ce que cette innocente et naïve future maman ne me prenne pas pour une tueuse en série complètement folle. Je me foutais de l'opinion des gens en général, mais la manière dont elle avait de parler et de me regarder me prenait complètement au dépourvu. Tous ces mécanismes de comportement qui étaient les miens, je les avais développé à cause des moqueries, des insultes, des agressions ou tentatives d'agressions. Et s'il y avait bien une chose que cette femme de prairie ne m'inspirait pas, c'était la méfiance. Et je ne pouvais pas m'empêcher de vouloir mettre Carla à son aise, le fait de la voir désolée de ne pas m'avoir comprise me prenait au coeur.

Ne sois pas désolée, c'est moi qui ait un style relativement....hors du commun. C'est moi qui m'excuse si je t'ai mise mal à l'aise. Et oublie cette histoire de boyscout, c'est pas très important. Mais dis moi, c'est dans tes habitudes d'approcher des inconnus en train d'essayer de redémarrer leur véhicule en panne?

Normalement je ne me serais pas inquiété d'une inconnue, mais elle dégageait cette "mignonnitude" qui réveillait en moi une sorte d'instinct protecteur et j'imaginais comment un grand nombre de situations similaires auraient pu mal se terminer pour elle.

Elle me fait peur mais elle m'intrigue aussi... Enfin surtout les marques sur son corps et puis... Sa moto... J'aime bien... Mais c'est si dangereux... Et pourquoi elle a marqué son corps ? Est-ce que cela signifie quelque chose ? J'ai vu quelques personnes tatouées depuis que je suis libre mais... Je n'ai jamais posé de questions. Ce serait déplacé je crois. Je ne comprends pas toutes les choses de la vie. Je n'ai pas grandi et vu les mêmes choses qu'eux...

Tellement que je ne comprend pas tout lorsqu'elle parle... Ma Judy serait dans la moto ? Ce n'est pas possible... Je l'ai vu à la maison. Donc cela montre qu'encore une fois je n'ai pas compris ce qu'on voulait me dire. Ça m'énerve quand cela m'arrive... Je me sens tellement idiote. En plus je la fais rire... Je baisse la tête, gênée et un peu honteuse. Ou alors... Elle rigole parce que j'ai vu juste ?

- Judy c'est ma maman adoptive... Et tu as parlé d'entrailles... Je suis désolée de ne pas avoir compris... Tu es différente de quoi ?

Je plisse les yeux et retrouve mon sourire. Je suis contente de m'être trompée enfin non... Mais je suis contente qu'elle n'ait rien fait à ma Judy... Je la regarde s'approcher de sa moto et la toucher avant de me présenter. Je rougis. Sa moto a un prénom... Je secoue la main pour dire bonjour.

- Bonjour Jody. Moi j'ai un cheval qui s'appelle Ouragan. Et un pick-up mais il n'a pas de prénom. Pourquoi elle a un prénom ? Et pourquoi celui là ? Désolée je suis curieuse...

J'aimerais juste mieux comprendre les choses, mieux m'intégrer... Pouvoir passer pour une fille normale... Mais je me rate à chaque fois... Je soupire et regarde mes pieds, enfin mon ventre quand elle me demande si j'ai l'habitude de le faire... La dernière fois c'était... Avec le pompier qui m'a fait du mal... Je sais que je ne devrais pas le refaire mais... Je n'aime pas voir les gens avoir des problèmes et puis elle est presque à côté de l'entrée du ranch...

- Cela m'arrive parfois... Mais je sais que je ne devrais pas... Mais là on n'est pas loin de la maison... Et tu ne vas pas m'enlever toi ? T'as pas l'air méchante...

Lui non plus... Et pourtant... C'est un monstre. Pas le pire homme que je connaisse... Non les pires sont au Centre... J'avance de deux pas et je touche la moto du bout des doigts avant de retirer ma main rapidement. Je sais qu'on peut aller vite et loin avec... Je me demande si c'est comme à cheval...

- Pourquoi tu t'es arrêtée ici ? Tu venais voir nos chevaux ? Je vis au ranch juste là.

Je me retourne doucement pour lui montrer d'où je viens. J'adore quand les gens viennent rendre visite aux chevaux pour prendre des cours ou pour nous laisser leurs chevaux en pension. Je tourne la tête vers elle et je regarde les tatouages qui sont apparents. Je n'ai pas envie d'en avoir moi. J'aurais peur de les regretter. Je baisse vite les yeux. On ne fixe pas les gens comme ça... C'est pas bien. Je n'aimerais pas qu'on me le fasse...

Cette rencontre réveillait en moi cette méfiance sous-jacente que j'avais adopté au fil des années en réaction aux blessures et déceptions que j'avais subies de par certaines rencontres et confrontations. Avec le temps cela s'était renforcé en devenant capable de sonder les coins les plus reculés et secret d'internet. Cela avait forgé en moi une conviction, tout le monde a quelque chose à cacher, absolument tout le monde. Et bien que je venais seulement de rencontrer Carla, je n'arrivais pas à imaginer cela avec elle, elle me renvoyait tellement cette sensation d'innocence de petit animal inoffensif sur laquelle ma méfiance instinctive n'arrivait pas à avoir de prise. Cette méfiance tournait sur elle-même tentant de me persuader que comme tout le monde elle devait avoir quelque chose à cacher. Et à chaque fois que cette pensée prenait place elle me désarçonnait avec ses remarques d'une naïveté à laquelle je ne savais juste pas comment répondre.

C'était un peu comme laisser un animal sauvage habitué à se défendre face à toute menace en compagnie d'un petit poussin qui venait d'éclore. Plus que ma méfiance, c'était mon instinct protecteur qui prenait le plus de place, n'imaginant pas une seule seconde comment qui que ce soit aurait pu faire le moindre mal à cette jeune femme, de surcroit enceinte jusqu'aux oreilles. Façon de parler bien sûr. Façon que j'avais compris qu'il me fallait éviter pour éviter tout malentendu.

Je comprends alors qu'elle croyait que je parlais de Judy qui est sa maman adoptive, et de la voir s'excuser me fend le cœur d'avoir l'impression de blesser cette innocente petit bout de jeune femme. Je me contraignis moi-même en excuse me sentant terriblement coupable.

Oh, c'est moi qui suis désolée. Je peux t'assurer que je ne connais pas ta maman et que je ne lui ferais aucun mal, je te le promets. Et pas besoin d'être désolée, ça arrive à tout le monde de comprendre...autre chose. Je crois même que c'est la base de tous les êtres humains d'avoir du mal à communiquer.

Je voulais tenter de toutes mes forces de la mettre à l'aise, comme si l'idée de l'embarrasser de quelque manière que ce soit m'était douloureuse. Et elle voulait connaître ma différence. Il fallait que j'explique ça aussi simplement que possible. Qui ne tente rien n'a rien comme on dit après tout.

Je suis différente de ce qu'on appelle la "norme", disons la manière qu'ont la majorité des gens de parler, de se comporter ou de comment aimer, entre autre.

C'était le plus proche que je pouvais aborder l'éventualité de ma sexualité avec une inconnue. Et je pense que dire plus que ça l'aurait plus perdue qu'autre chose. Je me sentis soulagée en voyant un sourire sur son visage, qui la rendait encore plus craquante qu'elle ne l'était déjà. Au moins elle semblait un peu plus à l'aise, c'était déjà ça.

Je lui présentai ma moto, et sa manière de la saluer était tellement chou que je crus que j'allais fondre sur place. Je n'arrivais pas à croire qu'elle était plus mignonne que le mot lui-même et ça me déstabilisait totalement à chaque fois.

Elle a un prénom parce que je tiens beaucoup à elle, et son nom vient d'une chanson et.....d'une....personne que j'ai connu. Et j'adore les personnes curieuses, c'est un signe d'intelligence tu sais.

J'aurais bien rajouté que je trouvais intéressantes les personnes curieuses, mais j'avais trop peur que malgré son inaptitude à percevoir le second degré, cela passe pour des avances. Et autant je pouvais être éffrénée dans ma recherche de plaisir charnel  à sauter sur tout ce qui bouge, autant une jeune femme naïve enceinte, c'était trop même pour moi. Je fus rassurée alors d'entendre qu'elle savait que ce n'était pas idéal d'accoster des inconnus au milieu de la route. Et quand j'entendis sa question, si je n'allais pas l'enlever, je restai immobile bouillonant de l'intérieur. L'idée hypothétique m'était complètement insupportable et me donnait envie de tuer quelqu'un de par ma sensibilité à l'injustice et ça c'était très haut dans ma liste. J'essaya de garder mon calme en fermant les yeux une seconde avant de les ouvrir avec le sourire le plus rassurant possible.

Je suis très gentille avec les personnes comme toi, mais pas avec les personnes qui enlèvent d'autres personnes, parce que je n'aime pas ça du tout. C'est ma manière à moi de protéger les autres, être méchante avec les méchants. Donc tu n'as rien à craindre de moi, je te le promets.

Je restais calme autant que possible mais rien que l'évocation de ce qui avait du lui arriver me rendait malade presque à me retourner l'estomac et me le brûler en même temps d'une pulsion de justice divine et punitive. A ce point là, cette méfiance qui tentait d'apparaître fut complètement évanouie. C'est pour ça que dès qu'elle changea de sujet, je lui répondis immédiatement pour passer à autre chose. Je ne voulais pas qu'elle voit cette colère que je pouvais avoir en moi.

Disons que Jody, ma moto, a décidé de s'arrêter ici et que je n'arrive pas à la convaincre de repartir, ou la réparer. Et quitte à être ici, aller voir tes chevaux m'a l'air une très bonne idée. Si tu es d'accord bien sûr, je ne veux pas m'imposer non plus.

En disant cela, je réalisais que je n'avais probablement jamais été aussi gentille, timide et diplomate avec personne d'aussi loin que je me souvienne. Et en regardant Carla, je réalisais que je n'avais jamais, non plus, rencontré quelqu'un comme elle.

Elle n'a pas l'air d'être une mauvaise personne et surtout, je sens ses émotions. Depuis que mon ventre grossi, j'ai de plus en plus de mal à placer les barrières pour éviter de ressentir les émotions des autres. Je ne vois rien de négatif dans ses émotions. Un peu de peur, de tristesse. Un je ne sais quoi aussi qui ressemble à du soulagement et... Encore ce sentiment que j'ai appris à découvrir, de la gentillesse, de la bienveillance.

- Pourtant nous sommes doués de la parole et avons une multitude de mots... Même les animaux arrivent à se comprendre sans parler...

Mais nos mots ont souvent plusieurs sens et je prends celui qui me vient directement à l'esprit car je n'ai pas appris l'humour, le second degré. Je ne sais pas faire la nuance, on ne m'en a jamais laissé l'opportunité. Sauf depuis que je suis libre... Mais ce n'est pas quelque chose de simple à apprendre. Ayant une bonne mémoire j'arrive à retenir les choses mais je me souviens mieux malgré tout avec de vraies images, quand je vois les choses.

Je l'écoute attentivement me parler d'elle. Et je souris. Je crois que je suis pareille.

- Moi aussi je n'agis pas pareille que les gens, je parle pas comme eux. J'ai même été muette très longtemps. Et je découvre seulement depuis un an comment aimer même si je crois que j'ignore encore beaucoup de choses sur ce sentiment.

Je me rends bien compte que j'ignore beaucoup de choses, que je découvre seulement maintenant la vie. Il y a plein d'aliments dont j'ignore le goût par exemple... Et les câlins, les bisous... Je ne connaissais pas cela...

Je fais coucou à la moto qui porte un nom et elle m'explique qu'elle lui en a donné un car elle l'aime. C'est un peu étrange je trouve. Je ne donne pas de noms aux objets que j'aime. Peut-être que je devrais ?

- Il faut que je donne un nom à mon lit ? Parce que je tiens beaucoup à lui... Et à la maison aussi ? Non hein... C'est pas pareil c'est ça ? J'aime bien le prénom de ta moto en tout cas. Et je sais que les gens curieux sont intelligents. Je le suis beaucoup.

Un simple constat. Je ne suis pas arrogante, je ne sais pas l'être. Encore une fois je parle au premier degré, un simple constat sans chercher à me mettre en avant ou la faire paraître idiote. Car ce n'est pas du tout le cas.

Je perds un peu de mon sourire quand je lui demande si elle ne va pas m'enlever car cela me fait revivre une scène qui me hante. Le problème avec ma mémoire, c'est que je n'oublie rien... Et que le film se refait bien trop souvent. Alors pour m'apaiser, je caresse mon ventre. Elle est méchante avec les méchants... Comme les héros des livres que je lis. Je me mord la lèvre et souris à nouveau.

- Je le sens que tu es gentille. Mais... Ne t'énerve pas... N'aies pas de colère en toi... Ce qui est passé est terminé... C'était avant, plus maintenant... Je pose ma main sur son bras doucement.

Je n'aime pas quand les gens ressentent des émotions négatives, cela me fait mal car je les ressens aussi. Et ce n'est pas bon pour les bébés... Alors je change de sujet... Pour l'apaiser. Et lui montrer que tout va bien. Je n'ai pas pu m'empêcher de lui faire comprendre que je ressens sa colère... Je ne sais hélas pas mentir...

- Elle a bien fait de s'arrêter là ! Mais je croyais qu'elle était en panne... Tu vas voir Ouragan alors ! Il va être content d'avoir de la visite. J'envoie juste un message à Jason pour le rassurer, lui dire où je suis et que je suis avec une nouvelle gentille amie.

Je caresse une dernière fois la moto que je trouve belle et impressionnante et je me mets à marcher lentement. C'est que j'ai de plus en plus de mal... Je sais que je ne pourrais pas la ramener jusqu'ici tout à l'heure... Je pose mes mains dans le bas de mon dos et je souris en marchant.

Je restais très troublée de cette rencontre avec cette jeune femme. Elle était si différente de tous les types de personnalités que j'avais fréquenté par le passé que je ne savais pas vraiment sur quel pied danser. Et en même temps son manque d'aptitude sociale comme sa difficulté à appréhender le second degré adoucissait ce trouble qu'elle générait en moi. Mais plus que ça son innocence touchante venait mettre à l'épreuve mes mécanismes de défense en vue de me protéger face à l'autre et ma difficulté à faire confiance.

C'est vrai, mais les mots peuvent être mal choisi ou avoir des significations différentes d'une personne à l'autre comme la vérité, le courage, ou l'amour. Parfois je pense que les animaux se comprennent mieux que nous.

Je pensais surtout à quel point les mots peuvent blesser bien plus profondément. Comme le disait un mec intelligent, je crois. Je me rappelais involontairement de tout ce dont on m'avait traité depuis que j'avais commencé à assumer mon homosexualité. Et pour se défendre de ce genre d'attaque, j'avais fini par me couper des autres et même à tomber par moment dans certains travers comme celui de généraliser négativement les personnes hétérosexuels.

Je l'écoutai attentivement, surprise d'apprendre qu'elle avait même été muette car rien n'aurait pu me le faire penser. Ce dont elle parla à propos de l'amour me troubla particulièrement et suscita une curiosité particulière que je préférai taire pour ne pas la mettre mal à l'aise.

Et bien que d'autre pensent le contraire, la différence est une richesse. Et de mon point de vue tu as l'air de plutôt t'y connaître en amour.

Je lui dis cela en fixant son ventre de manière ostentatoire. A mes yeux elle y connaissait au moins plus que moi, ce qui n'était pas spécialement difficile connaissant l'aspect chaotique et éphémère de ma vie amoureuse.

Carla n'arrêtait pas de me surprendre, en partie parce que sa logique était implacable et me prenait à défaut. Et de la voir comprendre qu'elle était un peu à côté de la plaque me fendait le coeur à chaque fois comme si j'étais face à un chiot blessé.

Tu as déjà tout compris, ce n'est pas vraiment pareil. Je crois que c'est une habitude propre aux motos, peut être pour faire un peu comme avec des chevaux. Et je suis contente que son nom te plaise.

Je ne pus que sourire face à ce qui me parut être une forme de confiance en elle sur sa curiosité et son intelligence et rien que la manière qu'elle avait de le dire me montrait qu'il n'y avait pas une seule trace d'orgueil ou d'arrogance en elle.

Le moment d'après, alors que je m'énervais intérieurement sur la mention de son enlèvement, fut le moment le plus spécial de cette rencontre et le plus bouleversant dans tous les sens du terme. Elle put voir en moi comme personne n'avais jamais réussi à me percer à jour et c'était très déstabilisant autant que la douceur bienveillante de ses mots et du contact de sa main sur mon bras. Ma méfiance voulait s'interposer mais j'étais bien trop touchée par Carla pour qu'elle prenne de la place.

Tu as raison, c'est ton histoire, pas la mienne. Désolée.

Si elle me disait que ça ne méritait pas ma colère, c'était sa décision, comme c'était son histoire et ce n'était pas ma place de lui imposer ma colère. Cependant, le fait qu'elle arrive à voir aussi facilement en moi alors qu'elle ait autant de difficulté avec le second degré vint nourrir un peu plus cette curiosité que j'avais eu plus tôt à son sujet.

J'en fus sortie par son invitation à aller voir son cheval Ouragan et je me sentais extrêmement touchée de l'entendre parler de moi comme une "gentille nouvelle amie". J'aurais dû résister mais c'était impossible de rester insensible à autant de bienveillance recouverte de mignonnitude, tellement que c'en était contagieux.

Je serai au moins aussi contente de le voir, et je compte sur toi pour me dire quoi faire et quoi ne pas faire, j'ai jamais vu de cheval de près. Mais avec une gentille amie comme toi, je suis sûre que ça va bien se passer.

J'attendis qu'elle finit son message pour lui demander si ce Jason était bien celui qu'il me semblait être et je vis en même temps qu'elle se tenait le dos. je lui demande donc en levant mon bras pour lui offrir en soutien.

Prends mon bras si tu veux, et Jason je suppose que c'est ton amoureux, c'est ça?

Je rigole à ce qu'elle dit. Je suis assez d'accord avec elle... Les animaux se comprennent mieux que nous et ils nous comprennent mieux que nous-même... Ouragan a su bien avant moi que le pompier était méchant alors que rien ne le laissait paraître...  

- Tu as tout à fait raison. Et les animaux nous comprennent aussi. Ils sentent qui sont les gens qu'ils ont en face d'eux. Enfin je crois... C'est le cas d'Ouragan mon cheval...

Mais je ne connais pas tous les animaux donc... Et bien souvent je n'ai pas la bonne signification du mot qu'emploie la personne en face de moi... Comme lorsqu'un jour, Jason a dit que j'étais mignonne à croquer... J'ai vraiment cru qu'il voulait me mordre... Et puis, parfois, il y a des gens assez méchants dans les magasins... On m'a déjà trouvé idiote car j'ignorais certaines choses... Mais je viens d'un endroit reclus de tout... Je n'étais pas libre et je n'avais pas accès à tout ce dont j'ai accès aujourd'hui...

Je continue de discuter mais je n'entre pas trop dans les détails. Je ne les ai pas... Je ne sais pas pourquoi j'étais muette à une époque... Et je ne sais plus combien de temps cela a duré exactement... Je me confie sur l'amour aussi. En toute simplicité. Je ne connais pas les choses tabous... Je me met à rougir en croyant qu'elle dit que je m'y connais en amour car je suis enceinte et que pour cela il faut faire l'amour. Je regarde mon ventre un peu mal à l'aise.  

- Oh non... Je ne m'y connais pas vraiment même si je vais avoir deux bébés... Je... L'amour c'est compliqué je trouve comme sentiment...

Cela se confond avec l'amitié. Et y a de l'amour familial, de l'amour avec une personne, l'acte sexuel aussi... Non décidément ce n'est pas si simple... Et cela fait ressentir tellement de choses que je ne connaissais pas. Comme la boule au ventre, le cœur qui bat vite, l'envie de voir la personne... J'ai mis un peu de temps avant qu'on m'explique tout cela... Et puis... C'est la première fois de ma vie que je tombe amoureuse...

Donc je n'ai pas faux ! On ne nomme pas tous les objets avec un prénom. Ouf... Un nouveau sourire se dessine sur mes lèvres.

- C'est juste les moyens de transport alors. Moto et cheval avec les voitures aussi.

C'est à la fois bizarre et très intéressant je trouve. Je découvre encore de nouvelles choses grâce à elle. Soudain je sens que ses émotions changent encore. Elle semble un peu perdue et je ne sais pas trop quoi. Je n'aurais peut-être pas du dire que j'ai senti sa colère... Et... Je crois que je l'ai vexée... Mince... Je ne suis vraiment pas douée...

- Non non... Ce n'est pas ça... C'est juste que... Je ne veux pas que tu ressentes de la colère... Pas parce que c'est mon histoire, juste parce que... C'est fini tout ça... Il ne me fera plus de mal... Et... La police fera son travail, il sera puni...

C'est juste que... Je n'aime pas que les gens ressentent de mauvaises émotions par ma faute... Qu'ils se sentent impuissant ou en colère pour quelque chose dont ils ne sont pas responsables... Je m'en veux... Mais je peux me rattraper surement...

Je lui propose donc d'aller rendre visite à Ouragan qui adore voir les gens. Enfin... Il est assez sauvage et n'aime pas qu'on l'approche mais il adore malgré tout avoir de la visite. Je sais que Jason a beaucoup de mal avec lui... Ouragan est assez farouche, assez sauvage...

- Je te donnerais une pomme ! Tu lui donneras et ensuite tu pourras le caresser. Avec moi tu ne risques rien. Il est un peu difficile... Il a beaucoup de caractère mais quand je suis là.. Il est tout mignon tout gentil. Et il a compris que j'ai des bébés qui grandissent en moi. Il adore les sentir en posant sa tête contre mon ventre. Je me demande s'il leur parle...

Petit message envoyé à Jason et je me mets en route, tout en réfléchissant encore à comment me faire pardonner... Je viens prendre appui sur son bras, soulagée d'avoir un peu d'aide. Je ne vois pas où je mets les pieds avec cet énorme ventre.

- Merci beaucoup pour ton aide. C'est bien mon amoureux oui, le premier et le seul. Et c'est le papa des petits êtres qui sont bien au chaud dans mon ventre.

Un merveilleux amoureux... Un garçon si gentil et attentionné... J'ai beaucoup de chance de l'avoir rencontré. Il a changé ma vie... Il m'a donné une famille... Bon je connaissais Jody et son mari avant lui mais... C'est réellement depuis son arrivée que je me suis sentie comme en famille. Je n'ai pas de point de comparaison mais je crois que nous en sommes une... Une merveilleuse famille qui va bientôt s'agrandir.

Plus que de communiquer, il y avait quelque chose chez les animaux qui m'avaient toujours fascinée, c'était leur aptitude à ne pas juger les autres. Bien que j'avais déjà entendu qu'il existait des contre-exemples comme un membre d'un troupeau d'une couleur différente qui était repoussé par le reste. Je n'avais pas eu beaucoup d'animaux, juste un chien quand je vivais avec mes parents et je gardais un souvenir très chaleureux de cette boule de poils.

Plus que communiquer ou comprendre, eux au moins ne jugent pas.

Je ne pus soutenir le regard, la fuyant instinctivement du regard ne voulant pas approfondir le sujet. Autant Carla était une personne que je trouvais formidable du peu que je la connaissais, autant elle me poussait dans certains de mes retranchements les plus profonds, celui d'oser faire confiance. C'était quelque chose de très difficile pour moi, car certaines blessures du passé m'avait convaincu que faire confiance signifiait forcément souffrir comme une relation de cause et conséquence.

Elle me dit qu'elle ne s'y connaissait pas, et elle semblait sincère. Mais je ne pouvais pas m'ôter de la tête qu'elle devait au moins s'y connaitre plus que moi. La plus longue des relations que j'ai jamais eu se comptait en mois et sur les doigts d'une main.

Je suis d'accord avec toi, c'est compliqué. Mais si ça peut te rassurer, je peux affirmer sans aucun doute que tu t'y connais plus que moi. Tu peux me croire là-dessus.

Une certaine lassitude et un certain regret se dissimulait dans ma voix en prononçant ces mots. Un peu comme un aveu d'échec, car bien qu'encore jeune je ne croyais plus vraiment à l'amour, juste au sexe brut et éphémère. Sans amour, c'est tout ce qu'il reste au final.

Les sourires qui régulièrement arboraient son visage était aussi apaisant qu'un paysage rougeoyant sous la lumière d'un coucher de soleil, et ils avaient le don d'abaisser mes défenses contre mon gré. La satisfaction qu'elle éprouvait à avoir compris qu'on ne donnait pas un nom à tous les objets qu'on apprécie me réchauffa le coeur.

C'est ça, tu comprends vite.

Elle me demandait de ne pas être en colère, ce qui était plutôt mignon, même si ça ne fonctionnait pas vraiment comme ça. Sa naïveté avait quelque chose de rafraichissante comparé à toute la haine et le rejet que j'avais connu durant ma vie. Cela m'inquiéta aussi pour elle car ce genre d'attitude pourrait l'amener à éprouver plus de difficultés que la plupart des gens qui nient leurs émotions ou font comme si elles n'existent pas.

Je suis rassurée de savoir que c'est fini, c'est juste que j'ai connu des situations...similaires. On m'a fait du mal aussi par le passé pour des raisons...stupides. Juste pour ce que je suis... C'est pour ça que ce genre de choses me met en colère. Mais c'est passé maintenant, grâce à toi.

J'essayais de lui offrir un sourire pour soutenir ce doux mensonge qui n'avait pour but que de la rassurer. Mon esprit de hackeuse faisait comme une note mentale pour voir une fois que je serai chez moi à quel point il serait possible que la malchance alourdisse le cas de cet enfoiré. Totalement indépendamment de moi bien entendu. Ce genre de personne méritait la perpétuité et rien de moins et si je pouvais y faire quelque chose, j'aurais été heureuse de mettre mes aptitudes au service de ce genre de cause. C'était pour ça que je faisais ce que je faisais.

Son enthousiasme à parler d'Ouragan était vraiment communicatif et je n'avais aucune raison de refuser un tel enthousiasme innocent. Et comme je m'étais dis, sa description me semblait correspondre à un cheval qu'on appelait Ouragan.

Je promets de faire tout ce que tu diras, j'ai pas envie de risquer le courroux d'Ouragan après tout. Et ça ne m'étonne pas qu'il ait compris, les animaux sont bien plus intelligents qu'on ne veut bien l'admettre. J'imagine que c'est possible qu'il leur parle, personnellement j'ai envie d'y croire, pas toi?

Elle ne se fait pas prier pour saisir mon bras, ce qui me fait un peu bizarre, sans être déplaisant. Ca me fait surtout plaisir de pouvoir l'aider, un peu comme pour la remercier de sa gentillesse et son enthousiasme naturels.

Avec plaisir. Et l'accouchement est pour bientôt je suppose?

En un coup, je me met un peu à la place de ce Jason et je me dis que la situation pourrait peut-être créer un malentendu que je préfère éviter. Surtout étant bras dessus bras dessous avec la future maman de leurs deux enfants. Et je ne veux pas mettre Carla encore plus mal à l'aise que ce que j'avais déjà fait.

Tu penses que Jason pourrait mal prendre de te voir arriver avec toi accrochée à mon bras. Je ne veux pas te mettre dans une situation qui te mettrait dans l'embarras après toute la gentillesse dont tu as fait preuve.

Juger... Ce mot je le comprends parfaitement... Je suis souvent jugée... On pense que je suis idiote ou simplette... On se moque souvent de moi. Mais je m'en fiche. Je sais que je ne le suis pas. Je suis une fille très intelligente. Je me souviens de tout ce que j'ai vu... J'ai des images des films et des photos qu'on me forçait à regarder. Je sais aussi ressentir des émotions... Celles des autres. Et je sais que cela n'est pas donné à tout le monde. Mais il est vrai que je ne comprends pas tout... Que j'ai beaucoup de mal à m'intégrer dans ce monde qui est totalement nouveau pour moi...

On se met à parler d'amour. Quelque chose dont j'ignore presque tout. Je sais que je suis amoureuse seulement parce qu'on me l'a expliqué... Et je sais que c'est aussi quelque chose qu'on fait dans l'intimité avec son amoureux mais là aussi... Je n'y connais rien... Enfin pas vraiment. Heureusement que cela ne dérange pas Jason... Il est doux et patient avec moi. Je plisse les yeux. Je ne comprends pas ce qu'elle veut dire... Et ce qu'elle ressent...  

- Je n'aime pas contredire les gens mais... Je crois que tu te trompes... Tu t'y connais surement plus que moi... L'amour d'une famille, l'amour d'une personne, l'amour amitié... Enfin, je crois... Mais on ne peut pas savoir... On le vit différemment...

Ce que je sais c'est que j'ai vingt sept ans et que cela ne fait qu'environ un an que je connais l'amour d'une famille et d'un homme... Même si ils ne sont pas ma vraie famille... Mais je n'ai pas d'ami, je ne sais pas si je peux compter le docteure Kassandra...

Nous discutons encore un peu avant de parler de ce qui m'est arrivé... Je n'aime pas qu'elle ressente de la colère par ma faute. Ce sentiment est terrible et peut provoquer de grandes catastrophes. Je le sais... Je l'ai vu en images... La colère pousse au meurtre bien trop souvent... Oh mon dieu !  

- Toi aussi un pompier t'a enlevé et fait de vilaines choses pendant très longtemps ? Qui t'a fait mal et fait l'amour ? Je suis désolée... Je ne savais pas... Je comprends mieux ta colère... J'ai du te le rappeler... Mais... Vraiment... La colère... Ce n'est pas bon... Et hein ? Comment ça s'est passé grâce à moi ? Qu'est ce qui est passé maintenant ?

Je cligne plusieurs fois les yeux avant de faire une petite moue interrogative. Oui j'ai parlé de cela naturellement à cause de l'effet de surprise. C'est juste qu'elle a dit qu'elle a vécu comme moi... Et puis, pourquoi ce serait du passé grâce à moi ? Je suis totalement perdue. Est-ce qu'elle parle juste de la colère qu'elle ressentait là ? Et qu'elle est partie parce que je lui ai dit de l'oublier ? Non... Ce n'est pas aussi facile de faire taire certaines émotions...

Je fini par changer de sujet et je parle de mon Ouragan. Il n'est pas à moi mais je sais que j'ai le droit de dire ça car c'est moi qui le monte. C'est mon cheval chéri. Celui qui connait tous mes secrets. Mais il est pas toujours gentil avec les autres. Il est assez sauvage. Pourtant, avec moi, il a toujours été tout gentil, même la première fois que je l'ai vu. C'était comme si... Comme si on se reconnaissait... Comme si on se connaissait depuis toujours.

- Tu vas l'adorer ! Et il va t'adorer aussi je suis sure. Je le crois moi aussi. C'est très certain qu'il leurs parle.

Au centre, il y avait des télépathes. Cela doit exister chez les chevaux. Pour moi c'est totalement logique. Par contre, je ne sais pas si mes bébés peuvent lui répondre... Je souris encore et toujours et lui prend le bras pour m'appuyer dessus. L'autre restant dans le bas de mon dos durant un instant avant de venir se poser sous mon ventre pour le tenir un peu.

- Les bébés pourraient arriver n'importe quand désormais... Même s'ils doivent rester logiquement encore un mois et demi au chaud...

On m'a dit que pour les grossesses gémellaires on n'atteignait rarement le terme... J'aimerais les garder au chaud le plus longtemps possible... En sécurité dans mon ventre... Mais j'ai aussi tellement hâte de les rencontrer, de pouvoir les serrer contre moi et leurs faire tellement de bisous... J'éclate de rire à ce qu'elle dit.  

- Pourquoi il le prendrait mal ? Il va être plutôt... Soulagé ? Il sait que je viens avec toi, j'ai envoyé un message. Et il n'aime pas que je marche toute seule donc il sera content. Je ne comprends pas pourquoi tu penses ça...

Je ne vois pas ce qu'il y a de mal... Oh mince ! Cela veut dire que c'est mal ce que je fais là ? Je dois lui lâcher son bras ? Je n'aurais pas du l'inviter à venir voir Ouragan ? Mais on a des visites parfois... Mince... Je ne veux pas que mon Jason soit en colère...

Cette rencontre était une de celles qui ne ressemblait à aucune autre, que je n'arrivais à raccrocher à aucun point de comparaison. Cependant elle venait réveiller cet instinct protecteur qui était resté dormant depuis pas mal d'années, la manière de Carla de douter d'elle-même et de manquer d'assurance me donnait juste envie de lui passer suffisamment de pommade pour l'apaiser. J'avais toutefois du mal à imaginer qu'une femme en couple attendant des jumeaux puissent s'y connaître moins que moi en amour mais je ne voulais pas me lancer dans une bataille de qui s'y connait le moins, préférant couper court sur une note positive.

Ou alors on se sous-estime toutes les deux, je crois que ce n'est pas très utile de savoir qui est la moins expérimentée de nous deux.

Je tente de passer à autre chose, la mention que quelqu'un avait pu lui faire du mal avait suscité cette colère de l'injustice qui était très caractérisée dans ma personnalité et alors que j'arrivais à me calmer un petit peu à son contact, elle me sortir une description plus détaillée. Autant ce genre de comportement parasite était au delà de ma compréhension de l'être humain, autant je ne pouvais que m'indigner intérieurement et subir cette rage de nuire et neutraliser ce genre d'individu. C'était ça qui m'avait poussé dans les tréfonds de la toile, repérer et annihiler ces rebuts prétendant faire partie de cette espèce, l'humanité. J'espérais ne pas laisser paraître cela, sans arriver à empêcher mon sang de bouillir et mon estomac de se retourner à la simple écoute de son récit.

Je....n'ai pas vécu ça....

Je voulais en dire plus mais ce mélange de colère et de tristesse par empathie pour elle me nouait la gorge et rendait la parole difficile. Comme souvent, je me sentais submergée par ces émotions, bien plus émotive que j'avais à coeur de l'admettre. Alors qu'elle se demandait qu'est ce qu'elle avait pu faire pour m'aider à me calmer comme je lui avais prétendu, je lui pris juste les mains dans les miennes. Mon coeur aurait voulu l'étreindre dan mes bras, mais j'avais peur d'une maladresse avec son ventre rempli de vie. Et je la regardai, les yeux légèrement brillants et se remplissant de l'eau de larmes naissantes que je retenais, empreints de ce mélange de colère et tristesse.

Je suis désolée que tu aies eu à traverser ça, sincèrement, personne ne devrait avoir à vivre ça.

Sachant de notre brève rencontre qu'elle n'aimerait pas que je traverse ces émotions négatives, j'essayai du mieux que je pouvais de dessiner un sourire sur mes lèvres qui fut timide et léger. Avant qu'elle put répondre je me retournai en lâchant ses mains, me sécha les yeux rapidement, et lui refit face avec les pouces en l'air et un faux sourire aussi étiré que possible feignant que tout allait bien.

Heureusement, elle avait rapidement changé de sujet pour me parler de son cheval, le fameux Ouragan. Sa description pouvait être légèrement intimidante mais la manière dont elle semblait convaincue que lui et moi allions s'adorer était trop contagieuse pour émettre le moindre doute à ce sujet. Contrairement à quelques minutes plus tôt, son enthousiasme décrocha un sourire sincère sur mon visage cette fois ci.

On va vite le découvrir de toute façon.

En voyant que son dos semblait douloureux sous le poids de son ventre, je n'avais pas hésité à lui proposer mon bras qu'elle avait accepté à mon soulagement. Elle me partagea que ses deux nouveaux né pourraient arriver à tout instant, j'eus une petite transpiration le long de la tempe à l'idée que cela arrive maintenant. Je chassai cette éventualité de mon esprit préférant ne pas m'inquiéter d'un risque purement hypothétique pour profiter de cette rencontre. Cette goutte de transpiration continua tout de même à perler le long de mon visage.

Ca ne dépend que d'eux je suppose et à quel point ils sont pressés de sortir ou s'ils préfèrent rester au chaud avec toi comme tu dis. Tu es pressée toi de les voir sortir?

Je me disais qu'elle pourrait au vu de la difficulté qu'elle avait déjà à se déplacer, à sa place de devoir faire attention au moindre mouvement et de ne pas pouvoir faire grand chose ça m'aurait rendu folle. J'aurais été prête à faire une danse mystique si ça avait pu les faire sortir.

Elle me surprit à rire à ma question de savoir si son amoureux pourrait mal prendre que je lui offre son bras. Apparemment, de comment elle en parle, il ne semble pas à être du genre jaloux maladif, ce qui me rassure. Je me rends compte que j'ai peut être projeté certaines de mes expériences passées sur son couple à elle et je préfère ne pas forcément lui expliquer cela.

Il a l'air très affectueux et aux petits soins pour toi ton amoureux. Ca a l'air de quelqu'un de bien, tout comme toi d'ailleurs. Il n'y a pas de raison qu'il le prenne mal comme tu le dis, vu comment tu en parles. C'est juste moi qui imagines des choses.

Nous nous rapprochons de ce fameux ranch sur lequel je peux désormais poser mon regard plus en détail que depuis la route et la sensation de liberté qui me semble s'en dégager m'inspire. Je me prends même à m'imaginer un jour vivre dans quelque chose de similaire, l'idée est loin de me déplaire de se retrouver ainsi dans le calme et entouré presque de nature, loin des foules, du bruit et des hautes tours urbaines. Tout cet endroit ne m'inspire que sérénité et un certain apaisement loin de tous les regards hostiles des gens de la ville.

Il est magnifique cet endroit, vous ne vivez qu'à vous deux ici?

Cela me parait tellement grand que je ne serais pas étonné qu'ils soient entouré de toute une famille ou belle famille. Je continue d'observer les différentes parties de la bâtisse, curieuse de découvrir où loge ce fameux Ouragan dont elle m'a tant parlé et qu'il me tarde de découvrir.

Je souris à ce qu'elle me dit. Elle est si gentille de penser comme ça. Et puis dans le fond Viccki a raison. Ce n'est pas important de savoir qui a le moins d'expérience...

- Tu as raison. Et puis je crois que chacun à sa propre vision des choses... Cela ne nous apporte rien d'avoir la réponse à cette question.

Raaa ! Cette colère qu'elle ressent... Elle se glisse en moi et me donne la chaire de poule. Son émotion se mélange aux miennes... Elle dit alors qu'elle a vécu la même chose que moi. Je suis si surprise que je lui raconte en résumé. Les émotions qu'elle ressent augmentent en intensité. C'est trop... Trop de colère et de chagrin... J'ai envie de la prendre dans mes bras pour la rassurer... Je vais bien... Enfin... Je fais moins de cauchemars... Et Jason arrive à me toucher... Et... Elle aussi... Très peu de gens peuvent me toucher depuis le pompier... Je fais une petite moue gênée.

- Oh... Mais... Tu as dit avoir connu quelque chose de similaire... Je suis désolée... J'ai mal compris.

Je ne veux plus qu'elle ressente tout cela... Je n'aime pas... Mais je ne sais pas comment cela a pu passer grâce à moi... Elle me prend les mains et je la regarde en souriant. Mais j'arrête de sourire en voyant et sentant son chagrin Je caresse sa joue doucement une fois qu'elle a essuyé ses yeux. Je me mord la lèvre et répond en murmurant presque.

- Non personne ne doit vivre ça.. C'est trop horrible... Mais regarde, je suis vivante... Je vais bien... Je fais juste des cauchemars et je n'aime pas trop que certaines personnes me touchent... Mais ça va... Alors ne sois pas triste et en colère... S'il te plait... Vois le positif...

J'aurais pu mourir... Et mes bébés aussi car j'étais déjà enceinte sans le savoir... Et je n'aurais pas rencontré Viccki aujourd'hui... On ne doit pas se laisser envahir par du négatif... Je sais que ce n'est pas toujours simple mais bon... Je lève doucement les yeux au ciel et me mord encore la lèvre avant de grimacer.

- Eh... Avec moi tu ne peux pas faire semblant...

Je dépose un baiser rapide sur sa joue avant de changer de sujet. Mon cheval que j'aime d'amour ! Lui il va lui donner le sourire et un vrai j'en suis sure ! Et rien que de lui parler de lui, cela fonctionne déjà sur son humeur. Je suis contente.
Vite vite... C'est vite dit... Faut le temps qu'on arrive encore... Je suis un peu lente avec les bébés désormais.

C'est vrai que je marche moins vite. Je n'aurais pas un aussi gros ventre, je l'aurais entrainée en courant vers les boxes. Mais là... Je dois prendre appui sur elle et la ralentir. J'adore parler de mes bébés. Elle a peur ? Je réfléchis en expirant bruyamment. Je ne sais pas ce que je préfère...

- Je ne sais pas trop... J'ai envie de les rencontrer, de voir s'ils vont bien... Mais... Je me dis que dans mon ventre ils sont en sécurité...

Le monde est bien trop dangereux... Je sais qu'on me cherche et ils savent que j'attend un bébé... Peut-être même qu'ils savent que je vais en avoir deux... J'ai peur qu'ils me les prennent... Je préfèrerais prendre leurs places mais je sais qu'ils feront tout pour nous avoir tous les trois... Je ne veux pas que cela arrive... Et je ne veux pas penser à cela... Alors autant les garder un maximum en moi. Mais ici je suis en sécurité, le ranch est une parfaite cachette. Et tout ira à merveille. Mais c'est vrai aussi que j'aimerais bien qu'ils sortent de mon ventre pour les voir, les toucher et leur faire mille et un baisers...

Je dois me tenir le ventre quand elle me demande si mon amoureux ne va pas être content de me voir avec elle. Je ne comprends pas du tout ce qu'elle veut dire par là. Je ne vois pas le sens de sa phrase. Je lui explique donc que non, il va juste être soulagé que je ne rentre pas toute seule.

- Il est affectueux oui ! Mais il ne me fait pas de soins... Je n'en ai pas malade... Je ne suis pas blessée... C'est quelqu'un de très bien. Tu imagines quoi ? Tu peux m'expliquer s'il te plait ?

Parce que je crois que je n'ai sans doute pas compris quelque chose... Pourtant sa question était simple. Mais est-ce qu'elle n'avait pas un double sens ? J'éclate à nouveau de rire en me tenant le bas du ventre. Mon dieu je vais me faire pipi dessus si cela continue... Oulala... Je tiens bien son bras en me pliant en deux. Oups... Une petite contraction. Je fronce le nez et souffle par la bouche.

- Non non. C'est Judy et son mari qui ont tout ça. Outch... Et Jason c'est leur neveu. Il vit ici maintenant. Et moi je vis ici depuis un peu plus d'un an.

J'ai tenté de parler normalement, en cessant de rire mais c'était si drôle qu'elle pense que je vis seule avec Jason ici. Je ne saurais pas du tout gérer seule... Je suis incapable de gérer un tel endroit et de prendre soin de moi. La contraction disparaît et nous nous retrouvons face aux boxes. J'entre et avance vers le dernier.

- Mon bébé ? Je suis là ! Coucou mon Ouragan d'amour ! Je t'ai ramené une amie ! T'es gentille avec elle sinon pas de pomme et plus de câlins d'amour...

Je souris en parlant. Je me baisse un peu pour prendre trois pommes et j'en tend deux à Viccki puis j'ouvre le boxe et m'approche de mon gros doudou qui vient immédiatement poser son museau sur mon ventre et souffle dessus. Je souris tendrement en le caressant. Soudain, il relève la tête et la lève vers Vickki.

- Viccki voici Ouragan. Ouragan Viccki. Regarde ce qu'on a pris pour toi. Et toi Viccki, regarde comment je fais.

Je pose la pomme dans ma main que je déplie bien et je la présente à Ouragan qui croque vite la pomme avant de reposer son nez sur mon ventre puis se concentre à nouveau sur Viccki.

Je me sens soulagée d'arriver à couper court à cette escalade de savoir qui de nous deux serait la moins douée en amour. Et je savais pertinemment que ma vie sentimentale chaotique ne m'aidait pas à avoir confiance en moi à ce sujet.

Exactement.

Après ça, Carla m'avait parlé d'un attouchement ou en tout cas d'une histoire de ce genre avec un pompier. Ca m'avait complètement retournée et mis en colère de savoir qu'une personne aussi gentille, douce et bienveillante ait pu subir quelque chose d'aussi horrible. Je commençais à comprendre qu'elle n'aimait pas que les autres éprouvent des émotions négatives à "cause" d'elle. Ce n'était pas vraiment à cause d'elle, mais son histoire avait provoqué ça en moi, mon intolérance à l'injustice avait démarré au quart de tour, mais j'essayais de la calmer pour apaiser Carla. J'essayai de faire en sorte qu'on passe toutes les deux à autre chose. C'était moi qui m'était mal exprimée, pas elle.

Oui Carla, c'est moi qui me suis mal exprimée. Tu n'as pas à être désolée. C'est moi qui m'excuse.

Dans mon émotivité que j'essaye souvent de cacher, son récit m'avait émue au point de prendre ses mains pour lui exprimer mon empathie. Le contact de sa main sur ma joue m'apaise d'une force presque troublante. Sa douceur n'en finit pas de m'étonner. Elle m'encourage à voir le positif et entre sa main, sa voix, ses yeux et ses mots, je ne peux que laisser retomber tout cet élan émotionnel.

Tu as raison, c'est important de rester positif. Et quand on te regarde, c'est difficile de voir quoi que ce soit d'autre. Tu es vraiment une personne exceptionnelle Carla.

Elle m'impressionnait sincèrement, derrière cette naïveté et insouciance, elle débordait d'un amour et d'une tolérance qui me faisait sentir une sorte de sécurité comme rarement. Elle me confirma une suspicion qui s'était installée en moi, je ne pouvais pas faire semblant avec elle. Et bien que j'aurais pu trouver ça désagrable, ça avait aussi quelque chose de rassurant, ne pas avoir la possibilité de faire semblant, une injonction à l'authenticité.

Je commence à te croire, et ce n'est pas une si mauvaise chose au final. Ton authenticité est déroutante bien que plaisante.

Un autre baiser sur la joue, et comme chaque marque d'affection de sa part, j'ai l'impression de fondre comme un marshmallow au dessus d'un feu de bois. On s'était alors mis en chemin du ranch, entre autre pour que je rencontre Ouragan dont elle avait avec un enthousiasme contagieux. Je n'avais encore jamais rencontré de cheval face à face. En marchant je lui avait offert mon bras en soutien de son dos apparemment douloureux sous le poids de son ventre. On avait commencé à parler de ses deux bébés qui ne tarderaient probablement pas à se montrer.

J'imagine qu'ils doivent être bien là dedans, et le jour où ils arriveront sera probablement un très beau jour pour vous quatre.

Cette discussion me ramenait à ma situation de célibataire et le fait que j'avais beaucoup de mal à m'imaginer un jour avec des enfants. Je ne savais pas si je n'en voulais juste pas ou si j'avais juste l'impression que ce n'était pas pour moi, par volonté ou capacité à m'en occuper. Et soudainement, je dois réfléchir quand un nouvel malentendu se présente, je fais souvent des métaphores et cela semble ne pas fonctionner avec elle me forçant à lui expliquer.

C'est une image, être aux petits soins ça veut juste dire qu'il t'aime beaucoup et qu'il fait attention à ce que tu ne manques de rien. Ca veut juste dire comme tu le dis que c'est une bonne personne et un bon amoureux.

Cette aptitude à ne pas comprendre le second degré n'était pas la première fois que je le rencontrais. Comme si ces derniers temps, j'avais l'étrange habitude de rencontrer des personnes partageant ce trait. On continuait à se rapprocher du ranch au rythme de Carla. Je m'étais alors intéressé à combien ils vivaient dans ce ranch, apprenant que ce Jason était le neveu de celle à qui appartenait la bâtisse, Judy ainsi que son mari, qu'elle avait déjà mentionnée plus tôt. Apparemment ma question l'avait fait rire, et je souris en l'entendant.

Hey, je suis une fille de la ville moi, je connais pas ce genre d'endroit ou juste en photo sur une carte postale. Après à vous quatre, je trouve que ça fait pas beaucoup, même si vous serez bientôt deux de plus.

On arrive au ranch peu de temps après cela, et rapidement nous voilà dans le boxe du fameux Ouragan. Carla s'emballe et c'est un spectacle qui me fait largement sourire d'innocence et de gaieté. Je lève lentement la main comme pour faire un signe amical envers l'animal.

Bonjour Ouragan.

Je ne suis pas sûre qu'il m'ait écouté ou remarqué, il me semblait accaparer par Carla et ça m'allait très bien ainsi, je n'étais pas encore totalement rassurée. Elle me tend alors deux pommes que je prend, attendant de la voir faire. Voir l'animal poser son museau sur le ventre de cette future maman m'émeut plus que je ne l'aurais cru. Alors qu'il relève la tête vers moi, Carla fait les présentations et m'invite à la regarder lui donner à manger. J'acquiesce calemement de la tête en la regardant attentivement faire. Après avoir englouti la pomme, il fait un passage par le ventre de Carla avant de me regarder. J'essaye de reproduire le même geste au moins aussi lentement lui présentant la pomme. Il ne la prend pas tout de suite, plantant son regard dans le mien et reniflant la pomme, ma main ou les deux. Et après un bref silence engouffre la pomme.

Enchantée, Ouragan, tu es très beau et très gentil. J'ai bien fait comme toi Carla?

Je lui parle en essayant de rester face au cheval, ayant peur de lui présenter mon dos instinctivement. Mais plus que l'appréhension, je suis admirative de sa stature et d'une certaine élégance que j'ai l'impression qui émane de lui.

J'étais tellement surprise qu'elle dise avoir vécu la même chose que moi que j'en ai parlé. Mais je n'aurais pas dû. Maintenant elle se sent encore plus mal qu'avant... Je suis tellement désolée. Mais c'est elle qui s'excuse... Si cela arrive c'est parce que je prends tout au premier degré... Mais pour le coup, je ne sais pas du tout ce qu'elle voulait dire... Je n'aime pas qu'elle souffre, qu'elle soit en colère, qu'elle soit triste... Je tente de l'apaiser en caressant sa joue délicatement après qu'elle ait pris mes mains. Je lui souris doucement. Je la rassure et lui rappelle qu'il y a toujours de jolies choses, toujours du positif. Je sens que cela fonctionne. Je rigole timidement.

- C'est bien si tu ne vois que le positif alors. Mais il faut le voir aussi quand je ne suis pas là... Il faut tout le temps le trouver ce positif...

Parce que si elle ne reste que positive avec moi il faudrait qu'on ne se quitte plus jamais... Et ce n'est pas possible ça. Je ne peux pas rester avec quelqu'un tout le temps... Je l'embrasse encore une fois après lui avoir dit qu'elle ne peut pas faire semblant avec moi. Je ne peux pas lui dire que je ressens ses émotions mais je ne pouvais pas non plus lui mentir...

- Non c'est une très bonne chose je trouve. Je n'aime pas les gens qui font semblant... Je n'aime que les gens honnêtes et qui disent les choses...

Je préfère savoir les choses... Et sans m'introduire involontairement dans les émotions des gens... Je n'aime pas faire cela. Je viole leur intimité... Mais c'est la grossesse qui a brisé mes barrières... Trop d'hormones en moi si j'ai bien compris. J'attendrais le temps qu'il faut... Je ne veux pas que les bébés sortent trop tôt. Je peux encore attendre un petit peu... Ils sont mieux dans mon ventre pour l'instant... Mais je serais tellement heureuse de les rencontrer quand ils arriveront. Et soulagée aussi de pouvoir remettre mes barrières protectrices en place.

- J'espère qu'il fera beau oui ! Mais ce n'est pas grave s'il pleut ! Je serais la fille la plus heureuse du monde ce jour là. Han... Oui oui ce sera le plus beau de notre vie... Oups...

J'ai compris juste deux ou trois secondes trop tard ce qu'elle voulait dire. Cela me fait sourire. J'ai envie de rire à ce qu'elle me dit ensuite. Mais je suis un peu perdue, sachant pertinemment que je n'ai pas tout compris...

- Oh que oui il fait attention à tout et même un petit peu trop parfois mais je trouve cela très mignon. Il est le deux oui. Une bonne personne et un bon amoureux.

Et je sais qu'elle ne parle pas de nourriture ! C'est une des premières choses que m'a expliqué Jason. Bonne personne ce n'est pas une personne qu'on a gouté, seulement quelqu'un de bien. La conversation dérive sur le ranch et là, j'éclate vraiment de rire en me tenant le ventre. C'est beaucoup trop grand pour deux personnes... On ne pourrait pas s'occuper de tous les chevaux et de tout ce qu'il faut faire ici...

- Et bien maintenant tu vas connaître ! Le ranch est parfait pour nous quatre et parfois des gens viennent nous aider pour les chevaux.

Et nous voici arrivées aux côtés d'Ouragan. Forcément j'entre directement pour avoir mon câlin d'Ouragan sans oublier de faire les présentations. Je suis si contente de l'avoir tout contre moi et de lui présenter ma nouvelle amie. Une fois que c'est fait je donne des pommes à Vickki et m'occupe de mon cheval. Je montre comment on donne à manger à un cheval. Ouragan vient à nouveau parler aux bébés et j'irradie de plaisir. Je souris et tape dans mes mains quand je vois qu'elle arrive à lui donner la pomme. J'ai bien vérifié qu'elle mettait bien ses doigts tendus pour ne pas qu'il en croque un par inadvertance. Et Ouragan a pas mal hésité mais il a finalement pris et j'en suis soulagée.

- C'était parfait !! Il t'aime bien ! Et t'es super douée, tu as bien tendu les doigts. Tu peux lui donner la seconde si tu veux, ou tout à l'heure.

Parce qu'il est aussi gourmand que moi. Je vois qu'il continue de la regarder. Je viens flatter son encolure. Il baisse un peu la tête.

- Sois gentille avec la jolie dame... C'est une copine à moi.

Je me blottie contre sa tête et le serre fort. J'inspire profondément et rigole quand il renifle mes mains.

- Il a tout le temps faim de pommes... Parfois, je dors ici, sur la botte de foin. C'est mon endroit préféré.

Je sais qu'ici je suis en sécurité. Il est mon meilleur ami, il est celui qui m'a aidé à guérir un petit peu... Il est la cause de mon premier sourire et mon premier rire... Ce n'est pas rien... Et depuis, on ne se quitte plus... Je passe tous les jours le voir.

Je reste ébahie de toute la douceur, la tendresse, la naïveté et la générosité dont Carla fait preuve à mon égard. Et cette culpabilité d'avoir cru avoir vécu quelque chose comme elle alors qu'elle avait vécu bien pire s'estompa par son simple geste de sa main sur ma joue. Je n'avais jamais rencontré qui que ce soit ayant la même aptitude qu'elle à me calmer presque instantanément comme elle le faisait et c'en était presque troublant de l'impuissance que cela me créait autant que j'en étais fascinée. C'était comme si elle m'entraînait dans sa bulle magique de positivité et qu'il m'était impossible de résister même si je l'aurais voulu. Et j'avais bon espoir de garder une trace de cette bulle même sans être à ses côtés, de par son simple souvenir.

Je le trouverai Carla, même quand tu ne seras pas là.

Tout au long de notre rencontre je n'arrive malgré ma méfiance naturelle à ne découvrir aucune once de réserve, aucun signe de ceux que je finis habituellement par trouver qui me donne une raison de garder une certaine distance avec une personne. Que du contraire, tout ce que je découvre de sa personnalité ne fait que nourrir la possible confiance que je peux avoir à son égard, presque trop. Comme ce baiser amical sur la joue. Et je me dis que son authenticité est un des traits que je partage avec elle même si nos authenticités sont très différentes dans la forme qu'elles peuvent prendre.

Et je ne peux qu'approuver, il n'y a rien de mieux que l'authenticité et l'honnêteté.

Je la vois alors une fois de plus passer outre un second degré que j'ai formulé sans faire attention, une habitude tellement ancrée que je n'en ai même plus conscience. Et alors que je m'amuse un peu de cela avec un sourire, je me fais la remarque que ce n'est pas la première personne ces derniers temps que je rencontre qui a cette caractéristique et je m'amuse également à m'imaginer ce que donnerait un club de ce genre de personnes. Mais je suis surprise et arrachée de mon imagination quand je remarque qu'elle a réussi à voir le second degré de ma formulation. Je préfère ne rien dire et simplement lui sourire chaleureusement pour ne pas appuyer sur sa maladresse et l'encourager à ne pas se sentir gênée de cela.

Je l'écoute me parler de Jason et me confirmer que c'est une bonne personne et un bon amoureux. Je suis juste contente pour elle qu'elle ait pu trouver quelqu'un qui semble l'aimer et surtout la respecter et prendre soin d'elle. Ce n'est pas si courant que cela malheureusement, je n'en étais que bien trop consciente. Je me demande aussi brièvement s'il m'arrivera un jour de trouver quelqu'un comme cela même si je garde le sentiment que ça ne fonctionnerait pas avec moi. Je rigole avec elle quand elle rigole de moi sur ma naïveté à propos du nombre de personnes pouvant vivre dans le ranch, son rire est à la fois léger, spontané et rafraichissant.

J'imagine que ça peut être beaucoup de travail de s'occuper des chevaux et du ranch, même si je n'y connais rien.

Je devais bien avouer que la manière dont la vie peut se dérouler dans un endroit pareil m'était totalement étranger. En remarquant cela, je me sentais renvoyée dans mon identité de citadine et je me rendais compte du décalage que ça pouvait créer en termes d'habitudes de vie et de quotidien. Le temps d'y réfléchir et nous arrivions auprès du fameux Ouragan, leur cheval dont elle m'avait tant parlé. J'avais fait mon maximum pour bien respecter ses instructions et je réussis à le nourrir sans encombre avec une pointe de satisfaction. Elle me félicite pour cela et ça me fait sourire, car au final ce n'était pas si sorcier que cela. J'avais eu une appréhension à l'idée mais il n'y avait pas de raison au final. Je décidai de lui donner la seconde pomme alors qu'elle l'encourageait à être gentil avec moi. Sa formulation me gêna légèrement, je ne m'attendais pas à l'entendre parler de moi ainsi. Mais je fus surtout choquer de l'imaginer dormir dans la paille proche d'Ouragan, ouvrant de grands yeux de surprise.

Et ce n'est pas trop désagréable de dormir là-dessus?