Le soir venu, Saoirse était dans sa chambre, allongée sur son lit où Brindille ronronnait depuis une quinzaine de minutes déjà. Il n’y a ni télévision en marche, ni même un poste de radio qui pourrait laisser planer une délicieuse et douce ambiance. Seuls le bruit des pages qu’elle tourne, et le ronronnement du Savannah sont audibles. Saoirse se sent bien de cette façon, à parcourir les lignes de cette encyclopédie scientifique. Elle n’a pas réalisé que le temps passait si vite, car lorsqu’elle a levé le nez de son ouvrage, Saoirse a découvert par la fenêtre que la nuit avait commencé à tomber. Le sommeil est important, alors, elle a fermé son ouvrage en y glissant un marque page, et l’a posé sur sa table de nuit pour enfin se lever du matelas et partir pour se mettre quelque chose sous la dent. Son horloge biologique est accompagnée de ses toques : elle respecte un planning précis.

“ - Vous êtes sûre que vous voulez sortir, mademoiselle Rowling ?” S’inquiète un des gardiens de l’institut, lorsqu’il la voit sortir pour s'engouffrer dans la rue. “ Il est tard, je peux vous accompagner.”
“ - Je dois seulement me rendre à l’épicerie,” Dit-elle d’une voix qui trahi déjà l’anxiété qu’elle éprouve à sortir de l’institut. “ je n’ai plus de jus de légumes, et je ne pourrais pas dormir sans.”

Le gardien l’a regardé d’un oeil étrange à cause de ce qu’elle vient de dire. Il aurait pu lui dépanner bien des choses, mais pas ça. Alors, il lui a dit d’attendre là, avant qu’il n’attrape son téléphone portable pour lui appeler un taxi. Saoirse serait sortie en suivant le gps de son téléphone, mais elle n’aurait pas eu l’idée d’appeler quelqu’un pour l’y emmener. Alors, elle fut ravie d’attendre qu’il arrive pour se garer devant l’institut, pour la prendre, et l’emmener là où elle veut. Au moins, Saoirse n’aura pas de problème sur la route, que ce soit pour y aller ou en revenir.

Enfermée à longueur de temps dans des salles de cours, ou les laboratoires de Raines, Saoirse ne connait pas grand chose du monde extérieur. Rien ne l’attire, rien ne lui donne envie. Alors, même si elle paraît froide avec ses expressions faciales, tous ceux qu’elle croise peuvent voir qu’elle regarde le monde comme un enfant le ferait. Elle regarde tout, et n’importe quoi, comme si elle découvrait un peu plus à chaque fois qu’elle sort. Mais rien n’attire assez son attention pour qu’elle s’y attarde.

L’épicerie est ouverte tard, il y a marqué le mot supérette, en grosses lettres lumineuses, avec des chiffres à côté pour montrer qu’elle est ouverte toute la nuit. Il n’y a pas beaucoup de monde à l’intérieur, Saoirse l’espère, elle s’en rend compte lorsqu’en entrant, il n’y a pas de bruits de conversation mise à part celle des employés au niveau de la caisse. La jeune femme tente de ne pas y faire attention et entre à l’intérieur, se faufile dans les rayons qu’elle ne connaît pas.

Ce n’est pas une femme qui a pour habitude de s’arrêter faire les courses elle-même. Les placards sont toujours remplis comme si des elfes de maison passaient avant elle. Mais toquée, Saoirse, elle affronte ce soir l’inconnu pour acheter ce jus de carotte qui lui est nécessaire pour aller dormir. Tous les étalages qui se dressent devant elle la bloquent, son coeur palpite à ses oreilles parce qu’elle est perdue dans toutes ces marchandises qu’elle ne connaît pas. Et c’est alors que Saoirse se détourne de ce mur de contemplation, et entre en collision légèrement avec une personne qu’elle n’avait pas vu. Ni-même reconnu de cette convention médicale où elles étaient assises l’une à côté de l’autre.

“ - Excusez-moi…” Dit-elle en se reculant légèrement, osant lever son regard vers l’inconnue pour s’adresser à elle. “ Allez s’y.”

Saoirse s’était déplacée pour laisser passer la personne, pour lui laisser de l’espace. Son visage se levant pour voir quel genre d’être humain elle croise, ses neurones n’ont pas besoin de plus d’une fraction de seconde pour reconnaître la brune dévoreuse de crayon, passionnée de médecin.

Ses courses tombent et la jeune femme se penche pour les récupérer. Saoirse n’a pas bougé, elle l’a regardé faire sans même avoir l’idée de lui donner un coup de main. Elle n’est pas à l’aise avec les gens, cette brune n’est pas faite pour sociabiliser. Elle ne sourit même pas lorsque l’autre fille la reconnaît, alors que ça aurait pu en faire réagir plus d’une. Elles doivent avoir des choses en communs pour s’être retrouvées ensemble à cette convention, et pourtant, Saoirse, elle est loin de cette idée. La fille parle, peut-être beaucoup comparé au nombre de mots qu’elle-même est capable de sortir. Mais avec ses années à l’institut, Saoirse, elle a prit l’habitude que les gens parlent beaucoup trop. Même si c’est quelque chose qu’elle n’apprécie, elle sait faire avec.

“ - Oui,” Dit-elle simplement alors que la fille se rapproche d’elle. Saoirse aurait envie de reculer si elle ne sentait déjà pas le rayon et ses différents produits dans son dos. “ ça me ressemble beaucoup.”

Discrète, et silencieuse, c’est comme ça qu’on la caractérise habituellement. Si certain prennent ça à la rigolade, comme l’autre jeune femme semble le faire, d’autres en sont contents. Comme le Docteur Raines, d’ailleurs, et même si cet homme n’est pas à ses côtés, Saoirse se rend presque plus détendue, mieux, à la pensée du chauve. Elle se sent presque plus légère.

“ - [...] Toi aussi tu as fait la fête ? Non tu n'as pas l'air saoule comme moi !”

D’une réponse négative à l’aide de son visage, Saoirse répond. Elle n’a pas d’images précise sur ce que signifie ‘’faire la fête’’, et elle finit par se dire que c’est ça, l’étrange odeur que porte la jeune femme. Ce n’est pas un parfum trop fort qui lui pique le nez, c’est l’odeur de l’alcool qu’elle a ingéré. Au moins, ça réconforte Saoirse qui se dit qu’elle est bien heureuse de ne pas toucher à ces choses. Elle sait ce que fait l’alcool au corps humain, et ne s’en servirait certainement que comme désinfectant en cas de besoin. Mais ce qui la fait réagir un peu plus, c’est ce qu’elle dit après.

La façon dont elle écarquille les yeux montre bien qu’elle est choquée, peut-être intimidée. L’inconnue fait un pas dans sa bulle personnelle, et ça la gêne. Particulièrement parce que la notion de sexualité que l’autre femme laisse entendre, lui est complètement inconnue. Elle en connaît le principe et le déroulement, mais pas les sensations. Saoirse n’a jamais été attiré par un homme. Sa façon de faire les bébés est bien différente de celle des gens. Elle n’utilise pas de préservatif, mais des éprouvettes.

“ - Du jus de fruits…” Répondit-elle avec précipitation. “ Non, de légumes. C’est ce que je suis venu chercher.” Subitement, elle se retourne pour voir les produits qui sont dans son dos, et bien qu’elle n’en connaisse aucun, elle mime de chercher quelque chose. “ Mais ce n’est vraisemblablement pas ici.” Quelle sens du détail, se dit-elle lorsqu’elle voit des paquets de couches et de petits pots au contenu colorés. Elle mime un sourire qui se veut gêné en tournant son visage vers l’inconnue. “ Vous n’avez pu manger, aujourd’hui ? Vu de la quantité de ce que vous avez en main, je mangerais pour une semaine..”Elle ment, Saoirse, car elle ne connaît pas le goût de bonbons en tous genres

La femme avait reculé du rayon, un peu plus, pour même tenter de sortir de l’allée en question. Elle pourrait vouloir s’éloigner, parti même sans avoir acheté ce dont elle a besoin. Mais Saoirse sait d’avance qu’elle n’arrivera pas à fermer l’oeil sans son habituelle jus de légume. Puisqu’elle est incapable de retrouver son chemin dans ces différents étalages (bien trop nombreux à son goût), elle repose doucement son regard sur la jeune femme qui a les bras occupés.

“ - Sauriez-vous m’indiquer où aller ?” Elle demande, Saoirse, parce qu’elle est mieux à la place de soumise que de dominante. Elle suit, plus qu’elle ne pourra jamais leader. “ Je cesserais de vous importuner par la suite. Encore désolée, pour vos courses…”

La fille lui donne envie de rire, alors, elle se le permet légèrement lorsque la brune parle de végétarisme. Dieu seul sait à quel point elle ne pourrait pas rechigner devant un morceau de viande. Saoirse peut-être étrange, surtout si elle avoue qu’elle aimerait manger un morceau de chaque animal qui vit sur la planète. Mais ce n’est pas pour autant qu’elle n’aime pas les animaux. La jeune femme est juste distante avec tout ce qui est en vie, tout ce qui bouge et qui respire. Elle a du respect pour la vie, mais ne voit pas le mal à la prendre, tant que les choses sont faites correctement.

“ - Non, loin de là !” Répondit-elle avec un sourire franc, pour une fois.“ Mettez moi devant un steak, et vous n’en aurez plus une miette.” Doucement, son sourire se dissipe, peut-être pour laisser place à sa neutralité habituelle pourtant, elle reste attentive à ce que l’autre peut faire. “ Mais j’aime le goût de ce jus avant de me glisser sous mes draps. C’est une vieille habitude à laquelle je ne peux manquer.”

Saoirse ne réagit même pas à l’allusion que l’autre fille a fait, sur les saucisses. Pauvre petit esprit pur qui n’a jamais vraiment fait attention à ce qu’on pouvait dire, et faire autour de ses préoccupations scientifiques. Elle pourrait se faire berner, être prise pour une idiote avec ce comportement de sainte ni touche. Pourtant, ça n’empêche pas la jeune femme de vivre. Alors, pourquoi les autres en ont-ils besoin ? Parce que ce qu’ils appellent l’amour, Saoirse en voit partout autour d’elle sans comprendre.

Elle parle de jus sans répondre sur les bonbons. Ca ne lui donne pas spécialement envie, même si l’autre semble en raffoler vu la façon dont elle en parle, et la façon dont elle dévore déjà le paquet des yeux. Saoirse ne connaît pas la curiosité, même pas au point de vouloir découvrir ce qu’on lui tend sous son nez. Et la coloration que la jeune femme veut tant acheter lui fait peur. Elle s’imagine déjà avec toutes ces couleurs qu’elle voit étalées devant ses yeux, sur la tête. Et cette idée ne lui plait pas du tout. Pourtant, elle n’a rien dit, s’était laissée emporter par ce bras sous le sien, qui l’a complètement surpris. Pour couper ce lien qui l’a bloqué, Saoirse fait mine d’attraper la boite que la brune a attrapé sûr l’étalage. Elle la retourne, et regarde les composants.

“ - Je suis sur que je peux fabriquer ça, avec beaucoup moins de cochonneries chimiques.” Dit-elle naturellement, avant de rendre la boîte à la jeune femme.“ Je suis certaine qu’elle vous ira à ravir, mais jamais je n’oserais mettre ça sur une partie de mon corps. L’alcool vous rend jovial, mais ça ?” Elle sourit, presque à pleine dent parce qu’elle parle de quelque chose qui lui a donné envie de créer. “ Ca risque surtout de rendre malade vos cheveux.” Saoirse se met à rire, très légèrement, avant de chercher le côté bio de ce rayon. Peut-être pourra-t-elle trouver une base saine pour voir si elle peut créer quelque chose de semblable au laboratoire, pour passer le temps. “ Même mon jus de légume ne parviendra pas à vous détoxifier la peau après une telle utilisation…”

Elle pense, parle à voix haute sans vraiment s’en rendre compte. Saoirse est plus avenante lorsqu’elle n’est pas le centre d’intérêt. Et même si elle ne veut pas se colorer, elle est prête à attendre que la jeune femme ait fini ses emplettes pour compléter les siennes. Le taxi, payé par le Centre, sera toujours dehors lorsqu’elle sortira, il n’y a pas le moindre doutes là dessus.

Mais Saoirse met à se demander ce que pourrait bien être le nom de cette inconnue. Alors, elle finit par se tourner vers elle en posant la boîte de teinture comme si elle n’avait jamais porté son attention dessus. Cette femme a le don d’être détachée de tout.

“ - Je n’ai pas le souvenir de connaître votre prénom…” Dit-elle comme si c’était une donnée importante dans l’équation. “ Je suis Saoirse. Saoirse Rowling.”

Le paquet de friandises est ouvert, il y a une odeur particulière qui s’en échappe. Saoirse le sent tout de suite lorsqu’elle lui tend le paquet. Est-ce que la fille se rend-t-elle compte que cette odeur est si particulière, qu’elle n’en a jamais senti une telle, Saoirse ? Elle a hésité, quelques secondes. Mais le regard qui pétille de la brune, l’a hypnotisé. Alors, lentement, elle a levé sa main pour le glisser à l’intérieur du paquet. Pour prendre un bonbon qu’elle en sort, qu’elle approche de son visage pour le sentir, près de son nez. Elle hésite encore, Saoirse, mais elle finit par glisser la friandise sucrée entre ses lèvres. D’abord, elle laisse le goût du bonbon envahir sa bouche. Puis, elle est obligée de le mâcher rapidement à cause de l’acidité qui vient l’envahir. Son visage change, lui aussi. Elle se met à grimacer, Saoirse, en plissant les yeux, en retroussant son petit nez, en déformant ses lèvres. Elle frissonne, un grand coup, ce qui oblige son visage à bouger dans tous les sens.

Ca lui en fait presque complètement passer au dessus des explications de la fille, sur ce que ça fait ressentir, de toucher à ses cheveux en les colorant. En changeant quelque chose de son physique qui lui permet d’être elle-même, la personne qu’elle veut être. Saoirse n’a jamais eu ce genre de pensées ; elle ne s’est jamais intéressée à l’image qu’elle pouvait renvoyer. Excepté face au Docteur Raines, une robe coloré suffisait pour vouloir plaire. La scientifique se demande si tous les êtres humains ressentent cette chose, comme sa semblable semble le faire.

“ - Mademoiselle…” Souffle simplement Saoirse qui retrouve la parole alors que son oesophage se remet seulement de l’acidité du bonbon. Elle a passé ses doigts sur sa gorge comme si ça pouvait l’aider à reprendre possession de ses papilles gustatives. “ Vous devriez faire attention à vous,” Dit-elle en mettant par automatisme sa main contre le rayon que Lexie vient de percuter, pour ne pas que ce dernier tombe. Cette fois-ci, un rire s’échappe de ses lèvres, Saoirse rit, comme si elle le faisait pour la première fois. “ et arrêter de vous excusez face à une étagère.”

L’objet ne répondra pas à cette femme floutée par l’alcool. Mais son comportement a eu un effet positif sur Saoirse. Elle s’ouvre, pas à pas, petit à petit face à une femme qu’elle ne connaît pas. Elle qui s’est toujours renfermée face aux autres, n’aurait jamais pensé pouvoir trouver un petit peu de bonheur, un avant goût du paradis, enfermé à l’intérieur d’une supérette au plein milieu de la nuit.

Le chemin suivi est celui que Lexie a vu d’afficher en lettre sur les panneaux des différents rayons. Saoirse se rend compte de ces derniers uniquement parce que l’autre femme s’en sert pour circuler. Sa panique, sa peur l’avait empêché de réfléchir convenablement. Elle aurait dû être capable de ce retrouver dans ce magasin qui n’a rien d’un labyrinthe. Alors, enfin, grâce à Lexie, la jeune scientifique se retrouve devant le rayon qui l’intéresse. Des étoiles pleins les yeux, à cause de tout l’étalage de bouteilles différentes. Des jus de fruits, des jus de légumes, des jus mélangeant les deux, tous dans des récipients en verre ou en plastique. Elle ne sait pas où donner de la tête.

“ - Pourquoi avez-vous autant de choix ?” Demande-t-elle comme si elle ne comprenait pas le principe. “ C’est plus facile quand j’ouvre mon frigidaire. Il n’y en a qu’une…” Saoirse est dubitative, jusqu’à ce que du coin des yeux, elle trouve sa favorite. Un mélange de jus d’orange, celui de citron, et des carottes. “ Tenez…” La brune a ouvert la bouteille pour la tendre vers Lexie après en avoir reniflé l’odeur qu’elle adore tant. “ Goûtez, pour vous remercier de votre bonbon.”

Les explications de Lexie font leur chemin dans l’esprit de Saoirse. Même si elle se demande pourquoi le monde serait triste sans avoir le choix, elle comprend où veut en venir Lexie. Pourtant, pourquoi n’arrive-t-elle pas à se lasser, de ce qu’elle connaît ? De ce qu’elle boit, qu’elle mange, de ce qu’elle fait de similaire depuis tant d’années ? Il n’y a qu’à côté de cette inconnue, que la scientifique semble se poser pour la première fois ces questions. Elle voit de ses propres yeux à quel point le monde extérieur au Centre est bien différent de ce qu’elle connaît, de ce qu’elle pourrait imaginer. Saoirse en a beaucoup plus peur, qu’elle n’est attirée par tout ça. Pourtant, là, aux côtés de cette femme qui, elle, semble profiter de la vie et de toutes ses facettes, de tous ses cadeaux, Saoirse, elle ressent une petite boule se former au creux de son estomac.

“ - Ce n'est pas mauvais mais je préfère mes bonbons.”
“ - Vous êtes un estomac sur pattes.” S’amusa Saoirse en récupérant la bouteille. Elle sourit, rit légèrement une nouvelle fois en laissant sa concentration sur la jeune femme.
“ - Tu ne voudrais pas tester d'autres goût ? Pour être sûr que c'est ton préféré ?”

Une boule qui grossit, qui va continuer à le faire avec le temps. Qui va s’imbiber de tout ce qu’elle va voir, de tout ce qu’elle va ressentir. Et cette boule, ce n’est pas de la peur. Pas de la colère, ni-même de la tristesse. Cette boule sera son envie, cette sensation étrange au fond de son ventre représentera la curiosité du monde extérieur qui va peu à peu l’envahir. Au final, Lexie, elle ne sera plus cette inconnue trop excitée, trop bavarde, trop enjouée de cette convention médicale où elles se sont rencontrées. Elle sera bien plus que ça. Lexie, sans le savoir, peut-être même sans le vouloir, va se retrouver être les prémices d’une vie sensorielle qu’elle va vouloir découvrir. Qu’elle va vouloir ressentir. Et à ce moment-là, Saoirse repense à sa rencontre avec Jarod. Lui aussi avait parlé de choses qu’elle ne pouvait pas ressentir, qu’elle n’avait jamais vécu. Sauf qu’à l’époque, Saoirse n’était pas ouverte à l’apprentissage, à la découverte. Lexie et Jarod ont été tous les deux des déclencheurs. De ces personnes qui marquent votre vie jusqu’à la fin de cette dernière.

“ - Est-ce que je peux le faire ?” La soumission de Saoirse ressort, comme si elle avait eu besoin de l’amont du Centre pour quelque chose d’aussi stupide. Elle fronce les sourcils, hausse les épaules comme si sa question était complètement à côté de la plaque. “ Oui, peut-être…”
“ - Tu pourrais prendre deux ou trois nouveaux goûts juste pour le plaisir et l'aventure !”
“ - Vous avez raison…”

C’est tout ce que Saoirse a trouvé à répondre, lorsqu’elle a recroisé le regard de Lexie. Elle s’était mise à sourire, puis, avait détourné ses yeux pour les reposer sur toutes ces bouteilles. Le plaisir, l’aventure, qu’est-ce que c’est ? La jeune femme n’en a pas la moindre idée, et pour palier à ça, elle va se jeter sur deux bouteilles complètement différentes de la sienne ; par les ingrédients, et surtout la couleur du liquide. L’une complètement rouge parce qu’il y a de la tomate. L’autre, vert parce qu’il a du concombre, du kiwi et de la menthe à l’intérieur. Un sourire franc sur ses lèvres, elle se retourne vers Lexie comme si cette simplement petite et banale expérience lui avait donné un grand baume au coeur. Elle est comme ça, Saoirse. Elle ne connait rien, vit tout pour la première fois.

“ - Et si vous en preniez une, vous aussi ? “ Demande-t-elle à Lexie, avec un nouveau genre de sourire au coin des lèvres. Comme si elle avait une idée derrière la tête. “ Peut-être que je serais assez courageuse pour aller chercher un de vos paquets de friandises…”

Chacune de ces deux femmes sont différentes, et pourtant, elles arrivent à s’acclimater l’une à l’autre. Lexie parvient à la faire sourire, rire, tout simplement vivre. Saoirse aimerait lui rendre un peu l’appareil, et quand bien même Lexie ne voudrait pas d’une de ces boissons, elle sera prête à prendre un petit paquet de confiserie. C’est d’ailleurs ce qu’elle fait, lorsqu’elles s’éloignent toutes les deux du rayons frais. Et ce n’est qu’en regardant attentivement l’étalage de tous ces bonbons, qu’elle reprend la parole, comme si de rien était, sur un sujet qui semble banal et qui pourtant fait battre fort son coeur. Saoirse n’a pas l’habitude d’agir ainsi avec les autres, car elle n’a pas d’amis.

“ - Voulez-vous que je vous dépose ?” Elle demande, une fois le paquet entre ses mains. De la même marque que le paquet que Lexie a dans les mains, mais différent goût pour découvrir. “ Mon taxi attend à l’extérieur, comme ça, vous n’aurez pas à tituber jusqu'à votre logement.” Saoirse sourit, ne peut s’empêcher de chercher les yeux de Lexie avec une complicité qu’elle n’a jamais connu, et qui l’effrai. “ Ca vous évitera aussi de vous excusez face à un lampadaire.”

“ - Un taxi à toi ? T'es pas sérieuse là !” Lexie semble surprise, bien plus même, ce qui surprend par la même occasion Saoirse qui s’est tourné vers elle rapidement, sous l’effet de cette excitation. “ La classe ! “ La petite brune ne comprend pas ce qu’il y a de classe là-dedans. Au contraire, elle aurait plus de chance à s’extasier face à quelqu’un qui conduit sa propre voiture. “ Enfin euh oui ce serait gentille de ta part ! En plus ce n'est pas difficile faut aller à l'hôpital.”
“ - Non, non, pas le mien…” Dit-elle pour remettre les choses en ordres. “ Il m’a juste déposé ici, et attends de ne ramener à l’Institut.”

Saoirse n’explique pas plus l’endroit où elle doit retourner. Elle ne parle pratiquement jamais avec les gens qui l’entourent au quotidien, et c’est bien la première fois qu’elle a un rapport quelconque avec quelqu’un de l’extérieur. Si elle s’ouvre un petit peu face à cette femme, Lexie et son sourire magique à l’odeur d’alcool, elle ne pourrait pas lui expliquer les rouages de sa vie.

C’est sur le chemin vers la caisse, où attend toujours la même caissière, que les deux jeunes femmes continuent d’avancer. Chacun d’elle tenant dans ses bras les articles qu’elle va payer. C’est dans la poche de son jean que se trouve la carte bancaire avec laquelle elle payera ; La Visa Palladium de JPMorgan Chase. Ce genre de carte exclusivement achetée par les personnes qui ont de gros moyens financiers. Si Saoirse n’achète jamais rien avec, c’est parce qu’elle a généralement tout ce dont elle a besoin au Centre. On va acheter pour elle lorsque c’est nécessaire. Mais ses parents adoptifs -ceux qui l’ont acheté lorsqu’elle était bien trop jeune, ont des montagnes d’or sous les doigts. Lexie n’a pas tord, au fond. Si ce n’est pas la bourgeoisie qui a rendu Saoirse ainsi, il y a quand même beaucoup d’argent qui la suit. Pourtant, Saoirse ne se sent pas différente des autres à ce sujet. Parce que ce n’est pas un détail qui la frappe, auquel elle donne de l’importance, puisqu’elle n’a jamais eu besoin de s’en faire. Travailler pour gagner de l’argent ; ce n’est pas acquis pour elle.

“ - Vous allez rendre visite à quelqu’un ?” Demande-t-elle en laissant Lexie passer en premier, face à la caissière, histoire de voir comment ça se passe pour la plus dégourdie des deux. “ A l'hôpital…” Elle se sent obligée de rajouter ce détail, car Lexie n’avait pas eu l’air de comprendre.

C’est son tour. Ca bip, ça la surprend au même titre qu’elle a sursauté à chaque fois qu’elle a entendu ce bruit pour les articles de Lexie. Voilà le moment de sortir sa carte bancaire, et même la caissière à l’air d’être surpris de tenir une telle chose dans sa main. Elle doute, mais n’hésite pas une seconde à faire passer la carte pour payer. Elle apprend qu’elle doit composer un code, et se souvient de ce dernier uniquement parce qu’elle se souvient d’énormément de détail de sa vie. Pas à l’aise, elle a d’abord appuyé sur les petits numéros, avant de valider le paiement et de récupérer sa carte sous le même regard surpris de la caissière. Dans un sac, elle attrape ses petits achats, pour ensuite pouvoir sortir de la supérette pour chercher des yeux le taxi qui doit toujours l’attendre au même endroit.

Elle n’a pas la connaissance de la valeur de l’argent parce qu’elle n’a jamais eu quelque chose d’important à payer. N’a jamais eu à faire face à quelque chose d’obligatoire, n’a jamais non plus eu besoin de travailler pour se payer quelque chose. Saoirse a plus l’impression de travailler contre des services. Elle se contente de faire ses recherches toute l’année pour le compte de l’Institut, et ses parents adoptifs eux, se contentent de toujours faire en sorte que la carte de crédit passe quand elle s’en sert. Et Dieu seul sait à quel point c’est rare. Alors, elle n’est pas capable de se rendre compte à quel point la petite course du taxi aurait coûté les yeux de la tête à une famille lambda.

Heureuse d’apprendre que sa nouvelle ‘’amie’’ est une étudiante en médecine, elle se retrouve à sourire de toutes ses dents blanches et parfaitement alignées comme si c’était la nouvelle de l’année. Mais Saoirse est surtout heureuse de savoir qu’elle ne va rendre visite à personne ; l’hôpital est signe de maladie, et tant que cette Lexie semble heureuse d’y aller, c’est que les choses vont dans le bon sens. Elle semble aimer ce lieu presque autant que Saoirse aime son laboratoire. La médecin et la science sont des cousines inséparables. Si Lexie apprend à soigner le corps, Saoirse apprend à le contrôler. A l’anéantir mais aussi à le créer. A le dédoubler, et à la transformer. Des choses complètements différentes mais qui ont des bases semblables. Saoirse est sûr que cette demoiselle au rire éclatant pourait lui apprendre de nombreuses choses qu’elle ne pourrait pas connaître du fin fond de son laboratoire ; l’humanité ne s’apprend pas dans les livres ou au travers des expériences.

“ - Je suis contente d'avoir fait les courses avec toi. C'était très drôle ! Tu m'as bien fait rire. T'es incroyable toi ! ”
“ - Merci…” Saoirse se contente de ce mot alors qu’elle lance un regard tendre vers Lexie. Un sourire plus fin mais bien plus sincère se dessine sur ses lèvres. “ C’était très plaisant pour moi aussi…”

Elle avoue sans pouvoir mettre d’autres mots sur ce qu’elle ressent. Parce que Saoirse n’a pas l’habitude de ce genre de comportement, de proximité, et encore moins de mots doux à son égard. La plupart des gens de son âge la repousse à l’Institut, parce qu’elle a le malheur d’être tombé dans les mailles du filet du Docteur Raines lorsqu’elle était jeune. Poupée manipulée, elle est bien plus touchée par les mots de Lexie que l’autre ne pourrait l’imaginer. Et après être entrées dans le taxi avec leurs courses, Saoirse se retrouve face au regard du conducteur dans le petit miroir.

“ - Vous devriez être seule…” Dit-il comme s’il reprochait à Lexie d’être entrée.
“ - Elle est mon amie.” A-t-elle trouvé le courage de dire, sans savoir où exactement. “ Vous n’avez qu’à la déposer près de l’hôpital… s’il vous plaît ?”

Elle demande avec une voix douce, et le conducteur soupire comme s’il avait peur de lui-même se faire réprimander. Mais il enclenche la première et s’en va dans la direction indiquée. Saoirse sait bien pourquoi il réagit ainsi ; lorsque l’on travaille pour le Centre, les gens ont toujours ce regard plus sombre face à l’imprévu. Pourtant, ça ne l’empêche pas de détourner son regard vers Lexie, une fois attachée. Peut-être un peu troublée après avoir dit ces mots pour la première fois de sa vie.

“ - C’est pour ça que vous étiez à la convention ?” Demande Saoirse avec une pointe de curiosité non dissimulée. Elle n’a pas l’habitude d’en ressentir, et ne pourrait pas la cacher car elle est incapable de comprendre ce que cela engage. “ Pour vos études ?” Elle sourit, mime un signe positif de la tête comme si elle se souvenait d’un temps lointain où elle aussi étudiait pour apprendre de nouvelles connaissances. “ J’espère que vous réussirez vos quelconques examens… dans quelle branche de la médecin, voulez-vous vous spécialiser ?” Elle demande, alors que Saoirse ne pourrait répondre à cette question. Impossible d’expliquer à quelqu’un que l’on travail sur le clonage humain.

Ces compliments dont elle n’a pas l’habitude lui réchauffe le coeur comme un feu réchaufferait les corps. Elle se sent bien, étrangement bien, en la compagnie de cette inconnue qui porte le nom de Lexie. Les détails qu’elle a obtenue de la brune à ses côtés resteront gravés dans sa mémoire comme des pierres précieuses que l’on cacherait dans un coffre. Lexie ne se rend pas compte à quel point elle est merveilleuse ; telle une étoile filante que l’on voit passer au dessus de nos têtes. Pourtant, Saoirse espère du fond du coeur qu’elle aura la chance de recroiser sa route. N’osera jamais demander à la revoir, et pourtant, elle partira avec cet espoir. N’imagine pas encore, assise dans ce taxi privé, qu’elle sera celle qui fera le premier pas en contactant Lexie par téléphone.

Les réponses de Lexie sont intéressantes, elles sont touchantes. Elles sont pleines de vie. Le doute qu’elle ressent, Saoirse est incapable de le comprendre même si elle est d’accord sur une chose ; dans la science, tout donne envie d’apprendre et d’expérimenter. Mais Saoirse est pourtant rejetée loin en arrière avec ces mots ; parce qu’elle n’a pas eu le choix. Tout s’est dégoupillé d’une telle manière qu’elle n’a même pas envisagé de pouvoir étudier autre chose. Sa vie est dédiée à sa recherche depuis tant d’années, qu’elle ne s’est jamais posée la question ; qui a-t-il d’autre d’intéressant à explorer ? Alors, elle s’était contentée de sourire. Avait légèrement rougie tout en acceptant de tutoyer Lexie bien que ce serait quelque chose d’inédit et de compliqué pour elle.

“ - Par simple besoin de toujours en savoir plus.” Elle a d’abord répondu cette phrase comme un mensonge qu’elle a été programmée à dire. Même son regard fut une fraction de seconde fuyant. Puis, elle a posé ses yeux sur ses doigts avant de redresser son regard sur sa nouvelle amie. “ En fait, j’étudie beaucoup l’ADN, et les conventions médicales apportent toujours de nouvelles informations ou méthodes dont je pourrais avoir besoin.”

Un sourire se dessine sur ses lèvres, cette fois plus doux. La voiture avance bien car la route n’est pas bondée. D’ici quelques instants, elles seront arrivées. Mais ça n’empêche pas Saoirse de se sentir bien d’avoir évoqué ce sujet avec Lexie. Elle n’a que très peu l’occasion de parler de son don avec les gens ; parce qu’ils ne la comprennent pas, et surtout, sont presque tous incapables de voir le bien dans ce qu’elle pourrait faire. Cloner, manipuler l’ADN pourrait aussi sauver des millions de vie.

“ - En tous les cas, c’était un plaisir de vous.. de te rencontrer.” Elle se reprend, après un échange légèrement complice qui le vole un léger rire. ” Je n’ai pas l’habitude de tout ça… et ce fut un véritable plaisir.” Elle aurait voulu pouvoir exprimer son envie de la revoir, à ce moment-là, mais n’ose pas. Regarde alors à l’extérieur en voyant au bout de la grande rue l’hôpital se dessiner. ” Tu feras attention, n’est-ce pas, en rentrant? Je sais bien qu’on est à l’hôpital, mais quand même.”