Le moins que l’on puisse dire, c’est que nous étions à des années lumières des précédentes tempêtes ayant ébranlées la ville récemment. Nous n’avons pas manqué de travail ça c’est sûr. Je ne devrais donc pas m’en offusquer. Dehors, le soleil brillait avec intensité, le thermomètre fricotait quant à lui avec des températures assez élevées pour la saison. L’air semblait de plus en plus lourd, assez pour que les déplacements soient pénibles pour le commun des mortels.
À la caserne nous étions sauvés par l’ombre et l’air conditionné. J’avais pour ma part un peu de temps libre, assez pour m’octroyer une petite balade. Il m’en fallait bien plus que l’arrivée d’une vague de chaleur pour mettre un terme à mon désir d’évasion. Mais c’était sans compter sur le Capitaine Nash, qui avait autre chose en tête.
Vêtu de blanc et en civil de surcroît, je sentais déjà un filet de sueur glisser le long de mon dos, tandis que l’air léger du ventilateur, venait caresser ma chemise. Sur mon front, sous une casquette que je portais à l’envers comme me l’avait appris Buck, lui aussi présent, quelques gouttes de sueur perlaient aussi, m’obligeant à passer le dos de ma main sur mon visage pour y décoller les quelques cheveux venus se fixer sur mon front humide et j’en fis de même pour ma nuque. C’était agréable, autant que pouvait l’être la découverte d’une nouvelle sensation.
« Jarod ! Qu’est-ce que tu fous ? »
Une fois encore Buck venait me sortir de ma rêverie en me balançant une éponge.
« - Excuse-moi j’étais ailleurs. »
« Ouais je veux bien, mais Nash a été clair, faut qu’on astique le camion et que ça brille. »
« - C’est toi le pro pour astiquer. » En jouant sur les mots, je savais qu’il comprendrait la vanne. Buck de son vrai nom Daniel Bucklet, était arrivé peu après moi. Mais au vu de l’âge et de l’expérience, nous ne bénéficions pas du même traitement. Moi, j’étais le nouveau, lui le bleu.
Le Capitaine voulait que l’on profite de l’accalmie et du beau temps, pour nettoyer le camion. Buck au vu de son « très enviable » statut de bleu, était d’office affilié à cette tâche. Moi, j’avais perdu un pari récemment. Le genre de perte qui m’obligeait à être là, à astiquer comme un sou neuf, notre véhicule de fonction.
« Askip le boss voit quelqu’un en entretient aujourd’hui. »
« - Comment tu le sais ? » Je posais la question, mais je connais déjà la réponse. Buck était du genre à laisser trainer une oreille et n’était ainsi pas le dernier avide de « potins » comme il le disait si bien. Le Capitaine fit alors son apparition et nous fit signe, du moins les gars en présence, de s’approcher. Ce que nous fîmes.
« Bien ! J’aimerais profiter du fait qu’une partie de l’équipe soit là pour vous présenter notre nouvel arrivant. » Il désigna alors l’homme à ses côtés. Je fus le premier à m’approcher pour lui serrer la main « - Bonjour, Jarod Russel enchanté ! » Profitant de mon entrain le Capitaine Nash me désigna pour me charger de l’intégration du nouveau. « - Avec plaisir ! » Là où Buck résignait .
Il faut croire que j’avais un goût pour l’aventure dissimuler quelque part au fond de moi. J’avais besoin de m’impliquer dans autre chose que la musique. Mon père en serait plus que content en fait. Il avait tellement regretter que je n’ai fais partie de l’armée comme lui. Non, j’avais préféré vivre de ma passion. Pourtant, je sentais que j’avais besoin d’autre chose. Un plus dans ma vie. Quelque chose pour aider mon prochain et non pas simplement de jouer de la musique dans un restaurant les vendredi soirs. Rose en était heureuse. Je ne m’étais pas impliquer dans autre chose que des partitions depuis la disparition de Kassandra. Cette disparition qui restait une plaie ouverte et béhante dans notre vie malgré tous les pansements que nous avions posés.
Je décidais donc de suivre une formation comme pompier volontaire. Je serais ainsi de garde pour aider mes collègues et les gens de la ville au besoin tout en gardant mon poste comme enseignant de musique auprès des adolescents. Rose était un peu stressée à cette idée, mais je l’avais rassuré à cet effet. Je ne ferai rien d’idiot ce n’était pas le but. Le cours avait été relativement facile. J’avais plus que la carrure de l’emploi. Une fois cette dernière terminée, je passais une entrevue auprès du capitaine de la caserne. Mon service militaire était un atout dans toute cette histoire. L’entrevue se passait et j’étais content de pouvoir enfin faire autre chose de mes soirées que de regarder la télé ou encore jouer des gammes sur mon piano à queue.
L’entrevue était terminé et le Capitaine Dash décidait de me présenter à quelques confrères de travail. Le premier à s’avancer vers moi fut Jarod Russel. Il avait l’air sympathique et je lui rendais sa poignée de main avec force. - Aaron Watson. Content de vous rencontrer.
L’autre homme semblait plus discret de part sa présence. Est-ce que je l’intimidais un peu? Le Capitaine désignait Jarod pour se charger de mon intégration. Seigneur, je me sentais comme dans une école maternelle. C’était un petit peu drôle en fait. Du haut de mes 53 ans qui sonné je commençait quelque chose de nouveau. Je suivais Jarod dans la caserne alors qu’il commençait à me faire faire le tour.
Jarod avait la tête ailleurs ces derniers temps et même s’il redoublait d’efforts pour ne rien laisser paraître, ses camarades n’étaient pas dupes, pas même Buck le bleu, qui aurait aisément pu se livrer à un interrogatoire en bonne et due forme si le capitaine n’avait pas autant insisté sur le fait que le camion devait briller et ce en un temps imparti. Jarod n’en demeurait pas moins ailleurs et songeait encore à une certaine brune à l’origine de ce qui lui semblait être un moment de faiblesse, mais qui continuait à hanter chacune de ses pensées. Il devait donc s’occuper et saisir chacune des occasions qu’on lui donnait pour le faire et tant pis s’il devait laver le camion, c’était déjà ça de pris. Une chance toutefois que le Capitaine Nash ait prévu autre chose pour Russel au grand dam de Buck, toujours considéré comme le bleu et qui n’échappait pas au bizutage. « Fais chier ! » laissa-t-il entendre à mi-mot alors que Jarod s’éloignait déjà du camion pour s’approcher de Nash et du nouvel arrivant, qui comme lui, avait eu à passer, en amont, toute une batterie de tests.
Aaron Watson il s’appelait et avait ce que l’on pouvait appeler une poignée de main virile. « - Il ne manque pas de force dans les mains en tout cas. » lança le caméléon à son supérieur qui chargea Russel de la visite et de l’acclimatation du nouveau. « - Bien chef ! » s’enquit Jarod alors que déjà le capitaine Nash s’éloignait pour retrouver l’enceinte de son bureau, laissant Jarod seul avec le nouveau. Buck sortit toutefois de sa réserve et vint s’approcher, laissant à Jarod le soin de faire les présentations.
« - Lui c’est Bucklet dit Buck. On l’appelle encore le Bleu parce qu’il est le petit nouveau. C’est une sorte de rite. Buck voilà Aaron. » Le petit jeune observa le nouveau d’un œil méfiant avant de lui tendre la main et de lui souhaiter la bienvenue. « Donc on recrute dans les maisons de retraite ? » demanda-t-il à Jarod en le détaillant lui aussi de la taille aux pieds. « - Très drôle ! Retourne astiquer le camion. Ne fais pas attention Aaron, il est jeune et un peu CON. » Ce à quoi Buck répondit par un charmant doigt d’honneur avant que Jarod ne conduise le nouveau un peu plus loin. « - C’est un chien fou, mais il n’est pas méchant. Donc bah bienvenue. Et pour répondre à ta question, non, ça fait à peine un mois que je suis ici. Viens, je vais te faire visiter. »
Il entraina donc Aaron pour un petit tour du propriétaire. Ils commencèrent par les vestiaires où chacun avait son casier, puis migrèrent vers la salle d’entrainement qui comportait tout un tas d’appareils pour que les pompiers puissent continuer à s’entretenir. « - Et là tu as le réfectoire avec la cuisine ouverte. Je cuisine, du coup les autres ont tendance à en profiter un peu trop. Tu cuisines ? »
Jarod semblait être un type bien. Je lui avais rendu sa poignée de main avec vigueur. Une habitude que j’avais depuis que j’avais été miliaire. Je rigolais à sa mention concernant la force dans mes mains. Dire que j’étais pianiste de base était un peu étrange. Ce boulot n’avait rien à voir avec l’enseignement ou les concerts, mais j’avais un besoin profond de me dépenser. Mon père avait été vachement content que je lui avais dit que je devenais pompier volontaire pour la ville. Il n’en attendait pas moins d’un homme. Il m’avait même dit que mes «bêtises» avaient fini par me passer après toutes ces années. Nous nous étions pris la tête au téléphone. Ma mère me manquait profondément. Ce petit bout de femme avait eu le don de le calmer, mais elle était partie au ciel maintenant. J’espérais qu’elle veillait sur nous, mais surtout sur Kassandra.
- Disons que j’aime beaucoup la musculation.
Jarod me présentait ensuite Buck. Un petit jeune qui s’amusait rapidement à me narguer. Je lui serrais la main plus fortement qu’à Jarod avec un petit sourire en coin. Il ne fallait pas trop me chercher en ce sens.
- Oh tu sais, vaut mieux la maison de retraite que la pouponnière mon petit.
Je le lâchais en rigolant intérieurement. Oui, je savais répondre. Ce n’était pas un petit morveux qui allait me tenir tête maintenant. Oh, il y avait bien quelques petits comiques qui avaient tenté le coup dans mes cours comme à chaque année, mais ils comprenaient rapidement c’était qui le patron. Je n’avais pas beaucoup de patience à ce niveau. - T’inquiète Jarod. Des petits morveux, j’en ai une tonne dans ma salle de classe. Un de plus ou de moins, il m’en faut plus que ça pour m’atteindre réellement.
Je suivais mon nouveau collègue pour faire le tour du propriétaire. Je prenais mon temps en regardant partout. J’allais rapidement devenir familier avec les lieux. Il y avait une salle d’entraînement et je souriais un peu. Cela m’éviterait d’aller au gym à l’autre bout de la ville. Nous arrivions finalement dans le réfectoire avec la cuisine ouverte. Il me demandait si je cuisinais.
- Oh oui je cuisine! Ma femme termine souvent plus tard que moi de travailler donc je m’occupe souvent des repas quand mon chien ne me prend pas deux heures à sortir. Je sens que je vais me plaire ici. Cela me fera changement des salles de classe par moment. De toute façon, je n’avais qu’un poste à temps partiel alors autant meubler avec autre chose. Ça change le mal de place comme on dit.
Je souriais avant de regarder dehors un peu. - Quand je serai là, je prendrai la relève pour les repas. Comme ça, ça te changera un peu et ça me permettra d'échapper de la sauce piquante dans l'assiette du bleu.
C’était un honneur pour moi de faire visiter la caserne et aussi une façon de boucler la boucle. Bien que de vous à moi, je n’aie pas encore saisi l’essence même de cette expression. Mais je crois, qu’elle est adéquate. Oui je dois reconnaître, que je ne suis pas encore au fait de toutes les expressions que l’on emploie quotidiennement, si bien que l’automatisme et surtout la rengaine nous exempte d’en comprendre le sens. Tout ça pour dire, que j’étais ravi de ce passage de flambeau et de faire visiter à mon tour, cette caserne qui m’avait si bien accueilli lors de mon arrivée.
« - Ah oui, d’où la poigne de fer. » Effectivement avec autant de vigueur il n’était pas surprenant de constater que l’homme aimait se muscler et vu sa largeur d’épaules, l’exercice devait être quotidien et sa condition physique à la hauteur de cette exigence. J’étais ravi qu’un quadragénaire puisse encore avoir une aussi bonne condition physique. Ravi aussi de ne plus être le seul sur lequel Buck pourrait blaguer concernant l’âge. Bien que je doute qu’il recommence à titiller le nouvel arrivant après avoir été lui aussi victime de sa poignée de fer. Sa grimace et le fait qu’il se masse frénétiquement le poignet, en disait long sur la douleur éprouvée suite à l'échange.
« - Je constate que tu as de la répartie et qu’il ne faut pas trop te chercher. » Il avait du caractère, c’était indéniable, autant que Buck était fougueux. « - C’est un chien fou, mais il n’est pas méchant. Il va juste te tester un peu, ne t’en fais pas. » lançais-je à la suite d’Aaron lorsque nous nous éloignâmes « du bleu » qui reprit l’activité qui lui avait été confiée tandis que je reprenais la visite tâchant d’adopter la même conviction affichée par Tony lors de sa visite.
« - Mais du coup, comme tu viens de parler de classe, je présuppose que tu es enseignant. Je me trompe ? » me sentais-je obliger de préciser pour ne pas le perdre dans la discussion. « - J’ai été prof aussi dans une autre vie. C’est un métier chronophage, mais passionnant n’est-ce pas ? » En fait théoriquement je l’avais été à plusieurs reprises avant de revenir à Blue Cove. Les collèges, les lycées, les universités, j’en avais vu des choses, découvert des élèves, des histoires, des drames, des joies. Effectivement le métier était chronophage mais gratifiant. Autant que le policier qui se veut le garant de la justice, le pompier celui de la santé, l’enseignant, bien au-delà de l’éducation, offrait une perspective d’avenir aux élèves. Enfin bref, je digresse, tout ça pour dire, que ça m’avait plus de me faire passer pour un enseignant pour venir en aide à celles et ceux qui en avaient besoin.
« - Tu es de Blue Cove ? » ne puis-je m’empêcher de demander tout en continuant à faire la visite. J’étais curieux, non pas pour donner plus de contenance à la conversation, mais parce que j’avais vraiment envie d’apprendre à connaitre Aaron, qui en plus d’avoir du caractère, me donnait l’impression d’être quelqu’un de bien, désireux d’offrir une véritable utilité à son temps libre. Nous prîmes ensuite la direction du réfectoire où nous avions l’habitude de nous réunir pour prendre nos repas.
« - Ah génial, on ne sera pas trop de deux à cuisiner pour régaler les troupes. Donc tu as un chien ? Tu devrais l’amener la prochaine fois, ça nous fera une mascotte. J’ai entendu dire que c’était une tradition d’en avoir une dans chaque caserne. Ici c’est une tortue et de toi à moi, aussi sympathique soit-elle, ça ne fait pas tellement rêver hein ? » Le ton se voulait léger, bien que sa dernière phrase m’ait intrigué. « Ça change le mal de place » Était-ce une expression qui me faisait encore défaut ?
« - Ah oui effectivement tu pourras prendre la relève. Pour ce qui est de la sauce piquante, je ne suis pas sûr que ça lui déplaise. S’il y a bien un type adepte de la cuisine épicée ici, c’est Buck. Mais ne t’en fais pas, tu trouveras autre chose pour le titiller gentiment. Les concours de gonflette par exemple. »
Nous reprîmes la marche pour revenir à notre point de départ. Et alors que je m’apprêtais à lui demander de m’expliquer l’expression qu’il avait employée en évoquant un changement de place du mal, la sirène se mit à retentir coupant net l’échange. Buck, qui avait terminé d’astiquer le camion, se ramena en courant avec un package qu’il transmit à Aaron. « C’est le boss qui m’a transmis ça. C’est à ta taille le nouveau, alors bienvenu !» Et il repartit presque aussitôt pour achever de se changer. « - Il faut que j’y aille. Tu pourras finir de te préparer dans le camion si tu veux. » Il ne fallait pas trainer, car nous devions embarquer presque aussitôt.
Chiffre pair Il s’agit d’un court-circuit dans une boutique qui a entrainé un incendie. Chiffre impair Il s’agit d’un règlement de compte, plusieurs blessés par balles. La police a sécurisé le périmètre.
Halloween is the only night when our fears become invitations.
- Oh il peut me testé autant qu’il veut ce cher Buck. J’ai connu pire dans ma vie
Oh ça pour avoir connu pire. J’avais des élèves qui poussaient vachement le bouchon par moment. Je restais toujours patient et j’avais plus d’un tour dans mon sac. J’étais de bonne humeur de me retrouver ici. J’avais la chance de faire quelque chose de différent qui me rappelait un peu l’esprit de camaderie qu’il y avait eu durant mon service militaire bien que ce dernier avait été plus court que prévu car j’avais fait quelques bêtises de jeune adulte. Lorsque j’avais appelé mon père pour lui dire que je serais pompier volontaire, il m’avait dit que j’en avais enfin terminé avec mon boulot de tapette. J’avais levé les yeux au ciel en lui disant qu’il était plein de préjugés et c’était monté en escalade comme chaque fois. Je répondais à mon collègue avec un petit sourire en coin par la suite.
- En effet, tu présumes bien. Je suis enseignant et quand tu vas savoir la matière tu vas me faire des gros yeux. Je t’avoue que j’enseigne depuis tellement longtemps que j’avais besoin de renouer avec l’action. Je préfère bosser à temps partiel là et venir ici. Ça me rappelle mon service militaire. J’ai toujours la passion de l’enseignement ce n’est pas la question. J’ai simplement envie de bouger d’avantage.
Je marchais encore lentement avant de le délivrer du suspense concernant la matière que j’enseignais. Il faut avouer que c’était peu courant de voir un homme bâti pour les travaux physique jouer … du Bach sur un piano avec délicatesse.
- Je suis enseignant de musique. À la base, je suis pianiste et un grand mélomane. Je raffole de la musique. Chez moi, j’ai un immense piano à queue que j’utilise une heure par jour minimum depuis plus de trente ans. Il sonne aussi bien que lorsque je l’ai eu. Dire qu’il a failli finir en morceau il y a longtemps … Mon père a toujours dit que j’avais raté ma carrière. Il faut dire que je me suis fait mettre dehors de l’armée dans mes jeunes années de service. Comme quoi, les bêtises ça ne paie pas.
Je me souvenais de ma colère intense causé par le chagrin de la perte de ma propre fille. J’avais détruit mon bureau avant que Rose ne m’arrête devant le piano en m’empêchant de commettre l’irréparable. Je levais ensuite les yeux vers lui en faisant non de la tête.
- Non, je ne suis pas originaire d’ici. J’ai emménagé avec ma femme en avril dernier. J’ai rejoint ma fille Lexie qui étudie la médecine. Je suis originaire de San Antonio au Texas, mais j’ai longtemps vécu dans le Delaware.
Nous parlions finalement de cuisine et je me souvenais que je devais lui dire que j’étais hautement allergique aux fruits de mer. Oui, j’avais des failles comme tout le monde sur cette terre. Il me parlait ensuite de Kassoulet. j’avoue que mon gros idiot serait content de venir ici. Il ferait une excellente mascotte. Il aimait tellement avoir de l’attention mon gros poilu.
- Tant que tu ne cuisines pas de fruits de mer, je ne risque pas de mourir. Pour Kassoulet, je pourrais l’amener. Ça lui fera du bien de passer du temps avec moi. Je dois avouer qu’il bouge un peu plus qu’une tortue, mais fais gaffe à ton sandwich s’il est là. Il est un véritable voleur. Pour ce qui est de Buck, je trouverai bien. J’ai une sauce particulière qui est à six millions sur l’échelle de Scoville. On va voir s’il résiste.
J’avais un petit sourire en reprenant ma marche avec Jarod. Nous allions visiblement bien nous entendre tous les deux. Soudain, la sirène de la caserne se mettait à retentir en arrêtant d’un coup sec notre échange. Il était grand temps de bosser et de se retrousser les manches. Buck arrivait en courant avec mon équipement. Je suivais simplement Jarod en enfilant mon équipement. J’étais rapidement et je montais dans le camion. Comme quoi on ne sortait pas le militaire de l’homme au final. Je restais attentif en écoutant le pourquoi nous étions demander sur place. Il s’agissait visiblement d’un règlement de compte avec de nombreux blessés par balles. Le périmètres avait été sécurisé par la police locale. Une fois sur place. Je passais à côté d’une policière rousse qui ne portait pas d’uniforme. Elle semblait avoir un sacré caractère juste à la regarder. Je suivais Jarod jusqu’à un blessé. Il était inconscient et saignait abondamment. Je faisais immédiatement une pression sur sa blessure avec une compresse stérile très épaisse.
Aaron me donnait l’impression d’un homme plein de bonne volonté, mais arrivé à un carrefour dans sa vie. Il me semble qu'en de telle circonstance, l'on évoque une crise pour justifier cet irrépressible besoin de changement. Celle de la cinquantaine j'imagine. À ma décharge, je n’ai pas encore étudié le sujet, ce qui m’empêche de développer davantage, mais ce n’est pas faute de l’avoir entendu à de nombreuses reprises et n’étant pas encore quinquagénaire, je ne me posais pas de question, mais tôt ou tard, il faudra y penser. Après tout, on n’arrête pas la course du temps. Je continuais à garder un œil ( bienveillant) sur mon interlocuteur. Je ne pouvais nier sa motivation et son envie de bien faire, mais j'étais à peu près certain que ce n'était pas sa vocation première et que tout comme moi, il cherchait à se rendre vraiment utile. Et effectivement après quelques échanges, Aaron consentit à développer, donnant de ce fait un peu plus de crédit aux hypothèses informulées qui prenaient vie dans un coin de ma tête sans que je ne me risque à les faire entendre, de peur de passer pour quelqu'un d'impoli, car pas encore au fait de tous les codes sociaux en vigueur.
« - Pourquoi ferais-je les gros yeux ? Ah ! C’est une façon de dire que je risque d’être surpris c’est ça ? » Que pouvait-il bien enseigner de si surprenant ? Si je me fiais à sa carrure imposante, ce n’était certainement pas du sport ou alors peut-être était-il ironique. L'était-il vraiment ? Cet homme aimait entretenir le mystère et j'étais désormais à peu près certain de me fourvoyer sur toute la ligne. Heureusement pour moi, le mystère ne perdura pas, car de toute évidence mon interlocuteur semblait pressé de voir ma réaction et si oui ou non, j’allais faire les « gros yeux. » Je dois avouer que la surprise en fut une, car je ne m’attendais pas à ce que ce colosse presque aussi grand que moi, enseigne une matière si subtile que la musique. « - Eh bien, je dois reconnaître que c’est assez surprenant, mais ne dit-on pas que l’habit ne fait pas le moine ? » Expression usuelle que j’avais entendue assez souvent, pour en saisir le concept. Et il est vrai qu’en regardant le gaillard, il y avait comme tromperie sur la marchandise. Ai-je vraiment pensé ça ?
« - Avec autant de pratique, vous devez être vraiment doué. J’ai toujours rêvé d’avoir un piano rien qu’à moi. Quand j’étais gamin, j’aimais écouter de la musique avec le tourne-disque mis quelque fois à disposition. Les choix n’étaient pas variés et assez classiques, mais j’arrivais quand même à m’évader grâce à monsieur Mozart et Chopin. Je pense vraiment que la musique peut nous permettre de transcender les difficultés et je suis désolé d’apprendre que ton père n’ait pas saisi l’opportunité de te soutenir. Mais si tu as été heureux dans ce choix de carrière, c’est l’essentiel. » Et je le pensais vraiment me demandant au passage ce qu’aurait pu être ma vie si l’on ne m’avait pas enlevé à mes parents. Un trou toujours béant dans mon cœur, malgré tout ce que je tâchais d’accomplir pour palier à ce manque. Je préférais néanmoins faire abstraction de mes états d’âme pour me concentrer sur Aaron que j’arrivais à tutoyer sans mal désormais.
« - Je m’en suis douté que tu n’étais pas du coin. Ils ont un léger accent ici qui te fait défaut. » Un accent dont j’étais moi aussi dépourvu. Une information retint toutefois toute mon attention. Ainsi Aaron avait une fille prénommée Lexie, qui étudiait la médecine. La probabilité qu’il s’agisse de la jeune femme avec qui j’avais brièvement travaillé lorsque je m’étais fais passé pour un médecin, était faible, assez pour que cela soit improbable et pourtant je ne pouvais m’empêcher d’imaginer le contraire. Ce n’était pas rationnel et j’étais tout sauf quelqu’un d’irrationnel. Alors pourquoi m’aventurer sur ce terrain ? Pourquoi donc imaginer des choses qui n’avaient pas lieu d’être ?
Fort heureusement nous parvînmes à dévier sur autre chose, la cuisine. Un domaine dans lequel j’excellais et qui semblait fortement apprécié au sein de la caserne. « - Ne t’en fais pas, je n’ai encore jamais tué personne avec ma cuisine autant que je ne me souviens pas avoir un jour cuisiné des fruits de mer. » Puis Aaron évoqua son chien avec tendresse, ce qui me conforta dans le fait que j’avais face à moi quelqu’un de bienveillant, une qualité importante si ce n’est essentiel pour un pompier. Mais plus encore, une qualité que je pourrais vanter auprès de Tony pour achever de le convaincre si des doutes persistaient encore quant au recrutement d’Aaron Watson.
Nous conversions tout en progressant à l’intérieur de la caserne. Une accalmie agréable avant l’avènement d’une tempête. En effet, la sirène venait de retenir mettant à mal la visite et nous obligeant à être opérationnel. Aaron, bien malgré lui, allait devoir faire ses preuves. Nous voilà donc à prendre la route, équipés bien évidemment et pourvu d’une énergie nouvelle. À la radio, il était question d’un règlement de comptes. La police était déjà sur place à sécuriser le périmètre.
« Bah dis donc ça n’arrête pas en ce moment. » lança Buck qui cherchait encore à établir le contact avec le nouveau. « - Je suis bien d’accord. Ceci dit ça nous fait plus de travail, on ne va pas s’en plaindre. » tentais-je avec humour pour désamorcer les éventuelles tensions. Je savais que pour Buck, autant que pour moi, la fusillade était une grande première. Aaron ayant fait l’armée, je ne doutais pas du fait qu’il ait eu à gérer des situations aussi tendues que dangereuses et qu'il n'avait de ce fait, pas besoin d'être rassuré.
« - Ca va aller Buck ? Tu ne te pisses pas dessus ? »
« J’ai déjà vu des flingues ! »
« - Dans quel jeu ? » tentais-je avec humour et je savais qu’il ne le prendrait pas mal, au contraire, notre « bleu » commençait à avoir l’habitude d’être autant charrié.
Il nous fallut au bas mot, moins d’une dizaine de minutes pour regagner les lieux déjà encerclé par la police et le cordage de protection jaune. Sortant le matériel adéquat du camion, je fis signe à mes camarades de s’approcher des policiers en présentiels pour glaner quelques informations. « - Excusez-moi ! » lançais-je à une jeune policière à la chevelure flamboyante. Elle portait l’uniforme comme ses collègues, mais demeurait bien plus agréable à regarder. Elle me sourit en retour après avoir braillé contre les personnes qui tentaient de s’approcher. Puis elle consentit à nous en dire un peu plus avant que nous puissions prendre en charge les premiers blessés. Aaron était à mes côtés tandis que les autres partaient dans des directions opposées. Notre premier blessé était encore conscient malgré tout le sens perdu. Je fixais la blessure cherchant avant toute chose un point d’entrée et de sortie tandis qu’Aaron faisait pression sur la blessure. Je ne pouvais que constater à quel point il était réactif et prenait des initiatives, bonnes de surcroît.
« - On n’a un point de sortie, ce qui veut dire que le projectif est dehors. Par contre je pense qu’on va devoir stopper le saignement, j’ai peur qu’on ait frôlé une artère et qu’on prenne trop de risques si on le bouge. Tu sais faire un garrot j’imagine ? »
J’entendais la voix de mon père résonner dans ma tête alors qu’il me donnait des instructions sur les premiers secours alors que j’étais tout gamin. Pas comme ça, plus fort, serre, tourne, soulève, ne plie pas les coudes PUTAIN ARRÊTE DE PLIER LES COUDES AARON! Je souriais un peu malgré moi car finalement, il m’avait appris à garder mon sang froid en toutes circonstances. Il était doué pour ça lui. Il avait toujours été de marbre et cartésien après la disparition de ma fille. Moi, j’étais pris dans les limbes des émotions. Il n’avait pas répliqué alors que je l’avais frapper, mais ce n’était pas le moment de penser à toute cette histoire. Il y avait des gens blessés qui avaient besoin de notre aide. À commencer car ce type qui pissait le sang alors que je comprimais sa blessure et que mon partenaire du moment s’occupait de vérifier le point d’entrée du projectile. Il me demandait si je savais faire un garrot et je faisais oui de la tête. C’était une solution facile mais temporaire. Un garrot laissé trop longtemps augmentait grandement le risque de caillots dans le membre et ensuite le risque d’embolie pulmonaire ou d’accident vasculaire cérébral.
- Je serais un mauvais ancien militaire si je ne savais pas le faire.
Je sortais le ruban de caoutchouc extensible que nous avions pour les cas pareils. Je savais que le type allait vachement hurler sa vie de douleur. Je regardais Jarod dans les yeux. Le type commençait à devenir de moins en moins conscient.
- Tiens-le comme il faut …
Je prenais le ruban et je le plaçais autour du membre avant de faire la traction comme je l’avais appris. Le hurlement de douleur dans nos oreilles étaient intenses, mais nous ne pouvions pas nous permettre que cela se défasse. Encore heureux qu’il soit en vie après une perte sanguine pareille. Son coeur devait être en tachycardie pour tenter de compenser le manque de liquide. Évidement, le pauvre homme perdait conscience. Je m’y attendais. Je laissais mon partenaire vérifier le pouls alors qu’on entendait gerber à quelques mètres. Buck venait de se vomir les trippes comme jamais et je me retenais de rire de vive voix. Je regardais Jarod à ce moment.
- Je crois qu’il y en a un qui tolère mal les cervelles à l’air et le sang. On l’installe en bloc?
Je restais tout de même focusser sur ma tâche quand même. Le type avait quand même une bonne carrure et un corps inconscient est toujours plus lourd à soulever que conscient. C’était un fait tout simplement. Je sentais que la bière allait être bonne à la fin de ce service. Je laissais Jarod diriger d'avantage. C'était son job, pas le miens et j'étais le nouveau.
Je le regardais avec attention même si je savais (à présent) qui était plutôt mal vu d’observer longuement une personne. Impoli serait le terme exact, mais fort de mes mauvaises habitudes, j’avais encore quelques progrès à faire. Nous étions donc dans le feu de l’action, plus précisément dans le camion qui allait nous conduire à destination. Comme à chaque fois, je sentais poindre en moi ce curieux mélange de sensations oscillant entre l’excitation et l’appréhension. Car dans le fond, on ne sait jamais sur quoi nous allons tomber et même si ce métier nous oblige à garder la tête froide, jamais nous ne pouvions nous soustraire à notre condition d’être humain. Aaron m’avait fait bonne impression sur l’instant, mais serait-il capable de faire bonne impression sur le terrain à présent ? Tout restait à faire et à peine arriver, nous devions sauter dans l’arène comme dirait Buck.
Les autres s’étaient dispersés pour couvrir plus de surface, je me retrouvais donc à faire équipe avec Aaron. Tony allait sûrement me solliciter pour un briefing suite à l’intervention, mais aussi et surtout pour avoir mon retour sur le nouveau. C’était donc la bonne occasion pour le tester avec bienveillance et au moins m’assurer qu’il avait de bonnes bases. Et quoi de mieux que la pose d’un garrot pour le savoir ? « - Bien, c’est la réponse que je voulais entendre. On s’entend bien que la solution est provisoire. On doit aller au plus vite. Une fois le garrot posé, on l’expédie. » Consciencieux, le nouveau sortit le ruban et s’exécuta presque aussitôt. « - Il est bien positionné, vas-y ! » Tout était ok pour nous, un peu moins pour l’homme qui malgré le manque de vaillance, continuait à hurler de douleur.
« - Monsieur, je sais que la douleur est intense, mais ça va aller. Regardez-moi ! C’est quoi votre prénom ? » commençais-je pour attirer toute son attention et laisser la voie libre à Aaron. La bienveillance était primordiale en de telles circonstances. Et puis n’ayant que très peu d’informations en ma possession, je ne pouvais m’autoriser à émettre le moindre préjugé à l’encontre du blessé qui venait de perdre connaissance. Il me fallait dès lors vérifier son pouls. « - Il a perdu trop de sang, la tachycardie était inévitable. » Nous devions le faire évacuer sans attendre. Je fis signe aux ambulanciers qui se trouvaient à proximité pour qu’ils prennent le relais et conduisent notre blessé à l’hôpital. « - On va les laisser l’embarquer… » Je n’eus pas le loisir de terminer car à quelques mètres de nous, la vaillance de Buck était mise à rude épreuve.
« - Eh bien, j’éviterai de lui proposer des abats lors du prochain repas à la caserne. » renchéris-je avec légèreté alors que notre blessé était pris en charge par les ambulanciers. « - Buck ça va ? » Bien sûr et par fierté, il ne répondit pas. Les coroners firent alors leur arrivée et je compris bien malgré moi, que pour certaines personnes c’était trop tard. D’autres collègues revinrent vers nous. « - Alors ? »
« On n'a rien pu faire pour le tireur. Il a retourné l’arme contre lui, c’était déjà trop tard. »
« On a un ado qui a été touché à l’épaule. Le projectile est ressorti et n’a fort heureusement touché aucune artère. »
« Ouais, un type de quarante ans. Une balle perdue. »
Le cœur lourd je baissais la tête. « - Fais chier ! Nous, nous avons stoppé l’hémorragie de notre gars, mais la perte de sang trop conséquente a entrainé la perte de connaissance On l'a fait évacuer. En théorie il devrait s’en sortir. Aaron a très bien géré le garrot et est resté imperturbable. » Mon regard se posa aussitôt sur Buck qui préférait se mettre à l’écart. « - Il est tombé sur le tireur ? »
« Il a voulu rouler des mécaniques. Il avait la boîte crânienne explosée, ce n’était pas joli à voir, surtout pour une première fois. »
« - Ok ! On va reprendre la route et retrouver la caserne. Il pourra souffler un peu. Et toi Aaron, ça va ? »
Buck devait avoir l’impression de mourir en ce moment. Il était pâle comme jamais et je regardais notre patient partir avec les ambulanciers. Nous avions bien fait notre boulot. Visiblement, nous étions une bonne dyade Jarod et moi. Buck ne répondait pas à la remarque de Jarod et je me contentais de sourire. Il allait s’en souvenir longtemps de la gueule du tireur. Le pauvre petit.
- Remarque s’il continue de faire des blagues nulles, ce serait tentant de le faire non?
Je me mettais à rire un peu avant de reprendre mon sérieux. C’était pas la joie, mais nous avions terminé notre travail ici. Jarod me demandait comment j’allais et je lui faisais signe que tout allait bien pour moi. Ce n’était pas la première fois que j’étais confronté à un stress intense. Nous étions donc rentré à la caserne. Là-bas, je retirais mon équipement pour le mettre sur mon crochet dans l’ordre requis pour avoir plus de facilité en cas de besoin. Buck semblait au bord de malaise à nouveau et décidait d’aller s’étendre sur l’un des bancs d’appoint. Pour ma part, je regardais l’heure et je décidais de faire la cuisine. Ça nous ferait ça à faire en attendant le prochain appel si nous en avions un. Je terminais vers minuit donc c’était parfait.
- Bon, ça te dit de cuisiner avec moi Jarod? Tu ne seras pas tout seul à faire la tâche pour une fois.
Je me rendais dans la cuisine ayant bien mémorisé les lieux. Je marchais lentement avant de m’installer devant le réfrigérateur. Il y avait de quoi faire des boulettes de viande. Je sortais les paquets ainsi que les épices. Les choses étaient placées environ aux mêmes endroits que chez moi, c’était rigolo. Je commençais à couper des oignons en prenant mon temps.
- Alors, tu as une femme dans ta vie? Des enfants? Ça peut être un mec aussi hein!
Je ne voulais pas me mêler les pinceaux en disant un truc de travers. Il pouvait bien aimer les hommes cela ne me dérangeait pas le moins du monde. C’était un choix tout simplement. Je continuais de couper le légume avant d’en mettre dans le mélange de viande et je mesurais la chapelure.
- J’ai une femme pour ma part et une fille qui est en médecine. Je suis assez fier. Elle est doué. Mon père est encore vivant mais c’est un gros grognon. Il a un sacré caractère de merde. Il était lieutenant général. Je crois qu’il n’a jamais totalement arrêté de bosser pour l’armée. Il a une sacrée tête de cochon.
Je mettais deux œufs dans le mélange avant de mélanger le tout avec une cuillère de bois. J’avais laissé les accompagnements à Jarod. Je commençais ensuite à façonner les boulettes tranquillement. J’étais de bonne humeur malgré la situation que nous venions de vivre. J’avais une pensée pour ma belle Kassandra. J’espérais qu’elle allait bien. Mon regard devait sans aucun doute être un peu perdu en cet instant.
Buck n’était pas un méchant garçon bien qu’un tantinet arrogant. J’imagine que c’est l’âge qui veut ça et le manque d’expérience sur le terrain. Si l’espace d’un instant, je me laissais aller à quelques sourires en la compagnie d’Aaron, je repris assez vite contenance, conscient de la dureté de la situation pour un gamin qui n’avait très probablement pas encore été confronté à la Mort. « - Je pense qu’on va attendre un peu pour les blagues. On va lui laisser un peu d’espace. » J’avais bien l’intention de le garder à l’œil et de passer outre les éventuels « T’inquiète, ça va. » qu’il allait à coup sûr me faire entendre pour se donner l’impression qu’il avait le contrôle alors que ce n’était pas le cas. J’étais soucieux de l’état de mes hommes, plus encore de celui de Buck et je dois reconnaître et ce même malgré l’effort, que le simple fait de sourire à la boutade d’Aaron n’était pas facile pour moi plus encore en observant Buck qui restait en retrait.
« Le bleu ne fait pas fière allure ! »
« On a qu’à le mettre de corvées nettoyage pour lui laisser un peu de temps. »
« - Hey ! Chacun gère sa sensibilité comme il l’entend » commençais-je en m’adressant aux deux équipiers qui venaient de se rapprocher. « - Les gars, il n’a pas encore acquis votre expérience, alors soyez cools avec lui. Et évitez de chambrer alors qu’on dénombre deux victimes. » Tony était absent, je devais donc gérer les gars de la caserne. Un rôle que je prenais à cœur malgré le peu d’expérience dans le domaine. Je n’étais pas non plus trop dur, pour que personne ne se braque. Et c'est sur ces mots que nous retrouvâmes le camion, puis la caserne où aussitôt chacun retrouvait ses petites habitudes excepté Buck qui préféra aller s’allonger un peu tandis que notre petit nouveau, une fois défait de son surplus de matériel, regagna la cuisine à la grande surprise de tous, qui semblaient heureux d’avoir un nouveau cordon bleu dans l’équipe.
« - Je ne refuse jamais une invitation à cuisiner » commençais-je légèrement enjoué. « - Allez passer un petit coup sur le camion et dans le vestiaire. Et si vous êtes sages, on vous appellera » lançais-je sur un ton joueur. « - Ils sont prêt à tout pour avoir l’estomac plein. » Les bras croisés, j’observais avec attention Aaron qui lui-même observait l’intérieur du réfrigérateur avant d’enfin se décider à le délester de quelques aliments. Puis sans attendre, parce que le temps pouvait nous faire défaut à n’importe quel moment, il commença à couper les oignons sur la plaque prévue à cet effet tout en me posant quelques questions. Le genre que l’on fait entendre pour poser les jalons d’une prémisse de conversation. Et aussi par curiosité, j’imagine. De bon cœur, j’entrepris donc d’y répondre tout en l’observant dans ses préparations.
« - Je suis ouvert, mais je n’ai personne à signaler. Enfin dans les faits. » Je marquais déjà un temps de silence, sentant que j’étais tout bonnement en train de m’embourber. « - Disons qu’on peut dire que c’est compliqué. Assez pour ne pas savoir vraiment où se placer avec elle. » Il entamait déjà la découpe du légume avant de procéder à quelques mélanges. Je l’observais avec attention tout en l’écoutant, lui qui consentait à son tour à me parler un peu plus de lui. Je ne pus dès lors m’empêcher de sourire en l’écoutant parlé de sa petite famille.
« - Effectivement, il y a de quoi être fier avec une fille en médecine. Elle sauve des vies, comme son père à présent. Pour ce qui est de ton père, j’imagine qu’être grognon fait en quelque sorte partie du package. J’ai une amie proche qui est fiancée. C’est un type génial, mais il a son petit caractère lui aussi et il a été militaire. Ils vont se régaler dis-donc ! » Mais comme je ne pouvais me résoudre à rester les bras croisés, j’optais pour l’accompagnement. C’était agréable de cuisiner et de converser finalement. « - Où est-ce que tu as appris à cuisiner ? » tentais-je avant de me rendre compte qu’il était un peu ailleurs. « - Aaron ça va ? Je t’ai perdu ? "
Apprendre à connaître ses collègues de travail était important. Je devais pouvoir me fier sur eux et vice-versa. C’était important dans un métier à risque comme le nôtre. Je cuisinais et je lui posais des questions s’il avait une famille, une femme ou un homme dans sa vie. Je souriais en coin alors qu’il parlait de cette fameuse femme qui semblait lui compliquer la vie. J’avais la chance d’avoir une petite vie tranquille avec ma Rose. Enfin, tranquille était relatif compte tenu de notre passé mais disons que nous ne nous étions jamais compliqué la vie.
- Oh tu sais les femmes sont assez compliquées par moment. J’ai beau être avec la mienne depuis près de trente ans , je peux te confirmer avec la plus grande des certitudes qu’elle a encore le don de me rendre dingue sans que je ne sache que quel pied danser.
Je continuais de rire avant de faire revenir les légumes dans la poêle avec aisance. J’aimais bien cuisiner ça ma détendait au maximum en dehors de la musique. Il faut dire que le piano c’était toute ma vie. J’aimais l’enseignement, mais je devais me rendre à l’évidence que c’était de moins en moins facile comparativement à il y aune vingtaine d’années. Maintenant, si le jeune a une mauvaise note, c’est de la faute de l’enseignant et non à cause de l’élève. Ça commençait à vachement me peser en fait. Il me posait une question mais je perdais dans mes pensées. J’avais même oublié de répondre à son commentaire. Lorsqu’il mentionnait mon prénom, je revenais à la réalité et je le regardais en secouant un peu la tête.
- Ouais, j’étais ailleurs. C’est ma mère qui m’avait appris à cuisiner de son vivant. C’est une peu son héritage en quelque sorte. Quand elle cuisinait, elle écoutait du Elvis ou du Bach. Mes filles adoraient en écouter.
Merde … Je venais de dire «mes filles» sans m’en rendre compte. J’allais glisser sur le sujet de Kassandra bientôt visiblement. C’était plus fort que moi parfois. Elle faisait partie de ma vie et de mon histoire. J’étais incapable de me la sortir de la tête. Je pensais à elle tous les jours qui passaient en priant intérieurement pour qu’elle refasse surface. Parfois, je m’imaginais même lui ouvrir et la voir en face de moi lorsqu’une personne sonnait à la porte. C’était tellement con et improbable à la fois. Les aromes commençaient à se dégager et ça sentait vachement bon dans la pièce. Je souriais en coin .
- J’espère qu’ils ont fait car juste l’odeur miam!
Parler de choses aussi anodines me faisait du bien, malgré le fait que je ne puisse prétendre – pour l’instant – à une vie simple. Sauf, bien sûr si l’on considère qu’il est normal de passer le plus clair de son temps à berner des gens en les menant sur de fausses pistes pour que jamais ils ne vous retrouvent. Et nous voilà à parler amour. Un sujet aussi complexe qu’inconnu. Cependant, j’avais en ma compagnie, un homme d’expérience. Je l’écoutais donc avec attention, avide d’en apprendre davantage sur un sujet qui me faisait défaut. « - Wow, tu es avec ta femme depuis autant d’années ? Nul doute qu’en trois décennies, tu peux prétendre être au fait de la complexité féminine. Mais dis-toi que si elle arrive encore à te rendre dingue après autant d'années, c’est qu’elle peut encore te surprendre et vice-versa. » J’aurai pu – dû – m’arrêter là, mais pour une raison que j’ignore encore, je me sentais presque obligé de m’épandre à mon tour, alors que je n’étais pas au fait de ce genre de sujet.
« - Je la connais depuis longtemps moi aussi. Nous étions enfants quand tout a commencé, puis elle est partie et pendant des années je n’ai pas eu de nouvelles. On s’est recroisé depuis peu. C’est compliqué pour ne rien te cacher, une histoire de famille un peu comme dans les grands romans où le devoir familial est plus fort que les sentiments. C’est idiot, mais j’ai du mal à m’imaginer sans elle. Et j’aimerais aussi naïvement qu’elle me rende dingue. Enfin bref, on en est où dans la préparation ? » J’en avais trop dit et j’étais le premier surpris et résolument gêné, car de toute évidence, les sentiments que je ressentais pour Parker, étaient bien trop réels.
Par chance cela ne ternit point l’échange ni la bonne ambiance qui en découlait. De toute évidence, la cuisine était un domaine que mon camarade maitrisait assez bien, ce qui me laissait à penser que je ne serais plus seul à présent pour remplir la panse de notre unité. Un soulagement à la vue de leur effroyable appétit. « - Eh bien laisse-moi te dire que je suis ravi que ta mère ait pu te léguer ce don, car on va en avoir bien besoin ici. »
Je fus alors surpris non pas par le fait que sa défunte mère écoutait aussi bien du Bach que du Elvis – Presley j’imagine – pour cuisiner, mais par l’évocation de deux filles, alors que j’étais à peu près certain qu’il ne m’en avait parlé que d'une. Le fait de ne pas l’avoir évoqué de prime abord n’était pas anodin et résultait – je pense – de l’envie de ne pas mettre en exergue quelque chose de difficile. Une perte ? Ma curiosité était à son comble, mais je ne pouvais me résoudre à demander, de peur de blesser mon interlocuteur en lui rappelant une réalité qu’il cherchait sûrement à fuir. Je me contentais donc d’acquiescer faute de mieux, faisant mine de n’avoir rien relever. Si vraiment, il voulait me parler de son histoire, c’était à lui de le faire et pas à moi de l'y contraindre avec toute une avalanche de questions.
« - Je dois reconnaître que l’odeur donne envie. Il faudra que je retente la recette chez moi autour d’un dîner. Bon, on sonne la cloche pour ameuter le troupeau ?
« Pas besoin ! » fit entendre l’un de nos collègues précédés des autres, qui de toute évidence, n’avaient résister que très mal à l’appel de l’estomac.
« - Mettez les couverts et ne trainez pas. Cela serait dommage que nous n'ayons pas le temps de gouter à cette merveille. »
Cuisiner avec Jarod me rappelait cet esprit de camaraderie qui m’avait profondément manqué durant toutes ces années. Peut-être que je ressemblais plus à mon père que je ne voulais le croire. Je tentais cependant de garder la tête froide. J’avais mentionné mes filles sans tomber dans le sujet de la disparition de ma belle Kassandra. Je souffrais chaque jour de la disparition de ma petite fille. Elle me manquait profondément, mais quelque chose me disait qu’elle n’était pas morte. Je remerciais intérieurement le ciel de me laisser voir cette once d’espoir . C’est ce qui m’avait permis de tenir durant toutes ces années de souffrance et de cris dans la maison. C’est ce qui m’avait permis de devenir l’homme que j’étais maintenant. J’avais besoin de prendre un nouveau départ avec ma femme. J’avais besoin de repartir sur de bonnes bases et profiter de mon bonheur.
- Ah, mais avec plaisir. Je te filerais le liste des ingrédients comme il faut. Je crois que c’est le bon moment de nourrir les troupes!
J’étais heureux qu’il n’ait pas posé de questions. Si je commençais à lui faire davantage confiance alors, je me risquerais à lui montrer les squelettes dans le fond de mon placard. Les gars entraient déjà et je mettais le plat sur milieu de la table. L’ambiance était bonne et je me fondais déjà dans la masse. Jarod restait mon contact le plus précieux. Je ne sais pas pourquoi, mais j’avais envie de lui donner ma confiance et puis avoir un ami au travail ça n’avait pas de prix.
Je l’ignorais alors, mais j’allais pratiquement changer de carrière. Je n’en pouvais plus de l’Enseignement. Je comptais terminer l’année scolaire et ne pas renouveler mon contrat. Une sorte de retraite alors que je deviendrais plein temps à la caserne. Mon père me dirait que j’avais enfin trouvé ma paire de couilles après toutes ces années. Je ne voyais pas les choses de cette façon. Je voyais ça comme un nouveau départ et je me sentais étrangement bien. Les choses ne pouvaient que bien aller au fond. Kassoulet allait devenir notre mascotte. Mon husky aurait sa place au chaud dans notre salle de repos et adorait faire des tours de camion. Toujours prêt à réconforter un gars ou à se laisser gratter le ventre en échange d’une course dans le garage. Voler le tuyau d’arrosage des mains de notre bleu national était son petit plaisir. La vie pouvait-elle être mieux en fait? Qu’est-ce que je pouvais souhaiter de plus en dehors d’avoir ma fille aînée près de moi pour compléter le tableau? Rien … Absolument rien.