Elle le sentait encore mal à l'aise, ses propos, la façon de les sortir et sa gestuelle le trahissait. Pourtant, quelques semaines plus tôt, elle l'avait vu en action et il était loin d'être un homme fragile ou sensible. Il était un agent de terrain froid et méthodique, un tueur. Il avait probablement blessé et tué des agents de la CIA ce soir-là. Cette idée faisait froid dans le dos d'Allison, mais elle se devait de rester stoïque, montrer qu'elle n'était qu'une fille comme les autres qui n'avait aucune idée de la véritable identité de Cole. Juste Ally.
Finalement il accepta l'idée de la pizza et passa la commande. Il s'éloigna pour le faire, se tournant de temps en temps vers elle. Ce court laps de temps parut durer une éternité durant laquelle la policière se posait tout un tas de questions. Il était évident que Cole était instable. Elle était probablement en danger avec lui, mais le serait-elle moins en l'abandonnant ? S'il soupçonnait quelque chose, elle pouvait très bien se faire tuer. Si elle mourait, le père de sa fille n'aurait pas les moyens de continuer à la faire soigner au Centre et donc la petite mourrait aussi. Tout ce qu'Ally faisait, elle le faisait pour sa fille.
Finalement il revint s'asseoir lui aussi au bord du lit. Le gargouillis de son estomac fit sourire Ally.
- Je savais bien qu'on aurait un petit creux.
Elle posa délicatement ses mains sur ses épaules.
- Tu veux un massage en attendant ? Ça pourrait te faire du bien. Mon ex disait que j'avais des mains magiques.
S'il était plus détendu, peut-être que l'ambiance respirerait moins le danger. Et puis il fallait dire que voir l'état de détresse chez quelqu'un ne plaisait pas du tout à la belle brune, cela la rendait mal à l'aise. Elle glissa derrière lui sans que ses mains ne rompent le contact avec sa peau, et commença à effectuer des mouvements circulaires avec ses pouces, puis appuyant doucement avec les paumes de ses mains pour tenter de dénouer ses muscles dorsaux.
- Y a quelques noeuds quand même... Peut-être qu'une bonne séance de massage par semaine te ferait du bien. T'as l'air de quelqu'un de stressé dans la vie.
Si elle ne savait pas ce qu'elle savait sur lui, elle aurait pu le croire à la tête d'une grosse boîte. La ville abritait plusieurs sièges de grosses compagnies, cela n'aurait pas été étonnant.
Finalement, après une quinzaine de minutes, on toqua à la porte. Les pizzas étaient arrivées.
Cole sentit les mains d’Allison presser avec expertise le long de ses épaules tendues, et malgré lui, une vague de relaxation commença à le submerger. Il n’avait pas prévu de se laisser aller de la sorte, surtout pas devant quelqu’un qu’il connaissait à peine. Mais la douceur inattendue d’Ally et la compétence avec laquelle elle dénouait chacun des nœuds qui lacéraient, ses muscles lui faisaient du bien. Un bien dont il n’avait pas conscience d’avoir tant besoin.
« — Ça fait longtemps que quelqu’un ne m’a pas touché comme ça, sans arrière-pensées », murmura-t-il presque involontairement. Il y avait quelque chose dans la simplicité de ce geste, dans ce contact humain, qui le ramenait à des temps plus innocents, avant que sa vie ne devienne une série de missions et de dissimulations. Cole se surprit à fermer les yeux, laissant le silence entre eux se remplir du seul son des mouvements réguliers d’Allison. Et en creusant un peu plus dans sa mémoire détraquée, il constata, bien malgré lui, qu’il n’avait aucun souvenir de quelconque temps innocent. C’était comme si la Division l’en avait privé, comme s’il était né ainsi, sans bonheur aussi futile et simple soit-il. Mais il préféra ne pas s’attarder là-dessus pour se donner l’illusion d’un certain contrôle.
« — J’ai toujours été bon pour cacher mon stress », continua-t-il, sa voix trahissant malgré tout une pointe de mélancolie. Le silence qui s’ensuivit fut rempli d’une étrange intimité. Cole n’était pas un homme à se confier, et certainement pas à des inconnus, mais la présence d’Allison, son toucher, l’avait désarmé plus qu’il n’aurait voulu l’admettre. C’était à la fois perturbant et réconfortant, une contradiction à laquelle il n’était pas habitué.
« — Tu as raison, je suis stressé. Ça fait partie du job, j’imagine », ajouta-t-il en esquissant un sourire qui se voulait détaché.
Les minutes s’égrainaient, et avec elles, la tension dans ses épaules s’amenuisait, remplacée par une sensation de légèreté qu’il n’avait pas ressentie depuis longtemps. Peut-être était-ce la première fois qu’il laissait quelqu’un prendre soin de lui de cette manière, sans arrière-pensées, sans méfiance. C’était nouveau, et dangereusement agréable.
« — C’est bizarre », souffla-t-il. « — De ne pas avoir à regarder constamment par-dessus son épaule. »
Il y avait une vérité dans ses mots, une révélation qu’il ne s’était jamais vraiment permis d’accepter. La vie qu’il menait était solitaire et tout aussi dangereuse. Il était constamment sur le qui-vive, prêt à se battre, à tuer et à fuir sans laisser la moindre trace de son passage. Mais ce soir, sous les mains habiles d’Allison, il pouvait presque imaginer une vie moins chargée de dangers et de secrets.
« — Peut-être que tu as raison, peut-être que j’ai besoin de ça plus souvent. Un peu de… normalité. » Le toc-toc à la porte le tira de ses pensées, signe que les pizzas étaient arrivées. Cole se leva d’un bond, un peu trop rapidement, comme s’il cherchait à échapper à l’intensité de son propre relâchement. Il alla ouvrir, échangeant quelques mots avec le livreur avant de revenir avec deux boîtes fumantes.
« — J’espère que tu as faim », dit-il en posant les boîtes sur la table basse et en revenant s’asseoir près d’Ally. « — Les champignons, c’est bon pour la santé, paraît-il. » Il lui offrit un de ces rares sourires qui n’étaient ni sarcastiques ni forcés, un sourire qui touchait à quelque chose de plus vrai en lui. Il s’assit, moins comme l’agent froid et méthodique qu’il était censé être, et plus comme un homme qui avait, ne serait-ce qu’un instant, mis de côté son masque. S’en rendait-il seulement compte ?
« — Merci, pour le massage, et pour… eh bien, pour ce moment. »
Puis, il fixa la boîte de sa pizza avant de l’ouvrir et de vérifier que sa demande spécifique avait bien été respectée. Sans plus de cérémonial, il saisit une part et la porta à sa bouche avant de se rendre compte qu’il avait omis la formule consacrée avant de commencer à manger.
« — Ah oui, bon appétit en fait. »
C’était un peu maladroit, à son image. Lui n’avait pas l’habitude de sociabiliser à outrance, ou même de sociabiliser tout court. Une fois déchargé de cette petite formule de politesse, il croqua enfin dans sa part de pizza ananas-poulet.
(c) DΛNDELION
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C'est un paradoxe cruel de l'existence : trouver la force dans la vulnérabilité et, simultanément, le danger dans l'affection.—
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