Élizabeth Fitzgerald avait appris, avec le temps et les épreuves à se refermer si bien qu’il était facile de la voir comme une personne acariâtre et sans cœur. D’ailleurs, ici au Centre, nombreux étaient celles et ceux qui la craignaient. Car en plus d’un caractère affirmé, la dame en noir savait se faire respecter et craindre. Ce n’était pas pour rien qu’on disait de cette dernière, qu’elle était le mentor d’une certaine Miss Parker. Et ce rôle de garce sans cœur lui allait lorsqu’elle pénétrait les murs froids de l’institution. Mais une fois dehors, c’est une tout autre histoire qui prenait vie. Une femme amère, rongée par la solitude, qui, un verre de brandy à la main, observait ce vaste jardin qu’elle se plaisait à entretenir lorsqu’elle s’octroyait un peu de temps. Hier, elle avait pris une décision importante, une de celle qui nécessite un deuxième verre de brandy. Il faut dire que sa dernière rencontre avec Asher Collins l’avait marquée, pas tant par la véhémence de l’ancien miliaire à son égard, mais parce qu’elle avait subitement pris conscience du fait, qu’elle agissait comme les grandes figures de proue de la manipulation du Centre. Plus encore à l’encontre de ce pauvre Asher qui, durant des mois et des mois, avait joué le jeu et ainsi transmis des informations précieuses, bien qu’il ne saisisse pas encore l’importance de ces dernières.

Quelques heures plus tôt au Centre/ Bureau de Mrs Fitzgerald.

C’était un jour normal, en théorie. Asher devait assurer son cours, comme il le faisait quotidiennement et il s’y employa toute la matinée, tâchant de rester professionnel et de se sortir de la tête les récents évènements. De plus, il faisait de plus en plus de cauchemars qu’il essayait de relativiser pour ne pas inquiéter davantage sa petite amie qui, question sensations fortes, avait fait le plein. Le prénom de « Gabriel » revenait sans cesse dans les songes de l’ancien militaire, tout comme cette impression de se noyer de plus en plus. Il devait avoir des réponses cela devenait urgent et en de telles circonstances, une seule personne pouvait y remédier. Fitzgerald ne fut pas si surprise que ça de voir son « espion » débarquer dans son bureau tel une furie. Prévoyante et aux faits des techniques employées par le Centre pour stalker ses employés, Élizabeth incita Asher à la suivre pour qu’ils aillent prendre l’air. En d’autres termes, se soustraire au système de surveillance.

Ils regagnèrent donc l’extérieur et s’en allèrent marcher près de la baie. Bien que le soleil brillât intensément ce jour-là, le vent soufflait tout autant, rendant la promenade un tantinet désagréable surtout pour Élizabeth dont les cheveux virevoltaient dans tous les sens.

- J’aimerais savoir… En fait j’ai beaucoup de questions à vous poser, mais je suis à peu près sûr que vous n’y prêterez aucune attention, comme toujours.

« Je ne suis pas toujours dédaigneuse mon cher Asher. Tentez toujours votre chance. Je suis dans un bon jour, alors sait-on jamais. »

- Parlez-moi de la Division pour commencer.

Elle fut surprise de l’entendre poser cette question et plus encore qu’il soit au fait de l’existence de Division. « Ce chapitre de l’histoire c’est pour plus tard. » Elle tâcha de replacer non sans mal, l’une de ses innombrables mèches blondes derrière son oreille tout en prenant grand soin de réajuster ses lunettes noires. - Vous n’allez rien me dire hein ? Elle continua à marcher l’air de rien. Asher serra la mâchoire, si elle était de bonne humeur aujourd’hui, lui n’avait plus la patience d’attendre des réponses qui, jamais ne venaient. - Admettons que ce sujet n’est pas à l’ordre du jour. Parlez-moi de ma famille de ce Gabriel qui hante mes rêves. Et une fois encore, il revenait à la charge. Il était têtu, trop au goût de Fitzgerald.

- Élizabeth, ces derniers temps le Centre a foutu pas mal de merde dans ma vie et j’ai de moins en moins de patience. Je ne vous menace pas, je vous le fais savoir, qu’on soit d’accord. Mais comprenez que je puisse en avoir assez de faire tout ce que vous me demandez sans rien avoir en retour. Vous me l’aviez promis.

« Je sais ce que je vous ai promis. Si ça ne tenait qu’à moi, il n’en serait rien, mais « elle » m’a convaincu qu’il était grand temps pour moi de vous donner quelques informations. » Asher se laissa habiter par l’espoir, l’espace d’un instant avant d’être bien vite douché. Élizabeth Fitzgerald s’était contentée d’un mot, ou plus précisément de l’évocation d’un lieu, Briarcliff Manor. « C’est tout ce que je vais vous donner pour l’instant Asher et c’est bien assez. » Et ce sont sur ces mots secs et tranchés, que la dame en noir, mit un terme à l’échange et regagna son bureau, laissant Asher seul.

Faute de mieux, il regagna ce qui lui faisait office de bureau puis acheva sans motivation sa journée avant de s’en aller, quittant pour un temps cet enfer. Kassandra n’était pas encore rentrée, elle était sûrement à l’hôpital. Le faux enseignant en profita donc pour prendre une douche, puis il retrouva le salon, se saisit de son ordinateur et regagna l’extérieur pour profiter de la petite terrasse en bois. Il repensait encore à cet échange mené d’une main de maître par la dame en noir avare en révélations. Par curiosité et sans convictions, l’ancien militaire entra « Briarcliff Manor » dans la barre de recherches. Et quelle ne fut pas sa surprise en découvrant qu’il était question d’une espèce d’hôpital psychiatrique, placé dans un ancien sanatorium. - Mais qu’est-ce que c’est que ce bordel ? Et c’est ainsi, qu’il commença à approfondir ses recherches, bien décidé à comprendre pourquoi Fitzgerald avait évoqué cet endroit.

Les sensations fortes pouvaient être quelque chose de plaisant, comme un tour de manège dans des montagnes russes, ou la passion dans les baisers d’Asher qui lui donnaient parfois le tournis, sans parler de leurs étreintes passionnées, mais ce que Kassandra avait vécu ces derniers temps n’avait rien de plaisant, à commencer par la tentative d’enlèvement du Centre lors de la soirée au Bellagio. La caméléone savait qu’elle devait faire profil bas plus que jamais, car à présent, Parker et Novàk savaient qu’elle était en ville. Mais une merveilleuse nouvelle avait poussé la jeune femme à rester en ville, là où n’importe qui aurait fui. Sa famille. Elle avait eu la merveilleuse surprise d’apprendre que sa meilleure amie était en réalité sa petite sœur, et que ses parents étaient à Blue Cove. Elle avait enfin pu, après toutes ses années, les revoir, et en apprendre plus sur elle-même, à commencer par son vrai nom, sa date de naissance exacte, et toutes les anecdotes que Rose et Aaron s’était plus à lui narrer. Après tout une vie de servitude, voilà que le bonheur était total. Kassandra n’avait donc aucune raison de céder à l’appel de la fuite. Elle savait se montrer courageuse et estimait qu’avec une ville aussi diversifiée et dense que Blue Cove, elle avait encore des chances de passer inaperçu. Comment pourrait-elle se soustraire d’elle-même à sa famille, elle qui les avait cherchés toute sa vie ? Toutes ces personnes qu’elle aimait, elle ne pouvait pas non plus leur demander de changer de vie pour elle, de déménager dans un ailleurs de toute façon tout aussi incertain. Alors autant rester et faire face.

Là où Kassie s’inquiétait, c’était que visiblement Asher avait été repéré par un agent du Centre en tant que l’un de ses proches. Mais que savait Weather exactement ? La caméléone elle-même avait été assez naïve pour lui faire confiance. Pourtant, il ne semblait pas avoir un mauvais fond. Toujours était-il que pour le moment ils avaient décidé de continuer comme si de rien n’était, et ils avaient mis en place un code entre eux au cas où il faille fuir en toute hâte.

Après une grosse journée à l’hôpital mais fortement prolifique, Kassandra se mit en route après avoir serré Lexie dans ses bras. Elles avaient, avec leurs camarades de promo, dû pratiquer en solo une intervention, certes facile, surtout pour Kassie, mais qui était notée et les deux sœurs s’en étaient sorties avec brio. La brunette était fière de sa petite sœur qui avait énormément travaillé pour en arriver là. Après un dernier câlin, la caméléone s’était donc mise en route vers la maison qu’elle partageait avec celui qui était devenu son fiancé. Elle y allait en transport en commun, espérant être moins repérable. Arrivée aux abords de la maison isolée près du lac, elle observa les alentours. Le pick-up était là et aucun signe de danger. Alors, elle entra.

- Asher ?

Elle ne tarda pas à le voir, assis derrière l’ordinateur.

- Salut mon coeur. Qu’est-ce que tu fais ? demanda-t-elle avec curiosité.

Asher avait beau se réjouir pour Kassie, malgré leur récente mésaventure lors de la soirée au Bellagio, il n’en demeurait pas moins affecté par le fait que lui-même demeure incapable d’en apprendre davantage sur sa propre famille. Il avait pourtant fait tout ce qu’Élizabeth Fitzgerald lui avait dit de faire, sans se défiler. Et rien que pour ça, la dame en noir lui devait une fière chandelle. Elle ainsi que sa mystérieuse associée bien décidée à rester dans l’ombre. Cette même associée qui trouva toutefois le temps de contacter sa vieille amie pour venir aux nouvelles.

« Je lui ai donné le nom de l’aile psychiatrique. »

« J’ai cru comprendre qu’il côtoyait Jarod et Kassandra. »

« Il prend énormément de risques. Ça va se retourner contre nous, je te le dis. »

« Brise son contrat. »

« Hors de questions. On a besoin de glaner plus d’informations et il est notre meilleur atout. »

« Élizabeth, je me refuse à ce qu’Asher s’expose davantage pour nous. Donne-lui toutes les informations nécessaires sur sa famille et rends-lui sa liberté. »

Élizabeth savait qu’Asher, étant infiltré par le biais de l’institut, demeurait leur meilleure chance pour avoir des informations, mais elle savait aussi à quoi il s’exposait si d’infortune l’on venait à découvrir sa véritable identité.

« Nathan Sullivan était quelqu’un de bon et intègre, son fils mérite de connaître la vérité. » Telles furent les dernières paroles de l’associée de Fitzgerald. Cette dernière était chez elle, assise dans son canapé, un verre à la main, face à l’écran noir de son ordinateur et se demandait ce qu’elle allait bien pouvoir faire maintenant. Asher quant à lui, était rivé sur son ordinateur, prenant le plus de notes possible sur ce fameux Briarcliff Manor. Il était d’ailleurs tellement absorbé par ses recherches, qu’il n’avait pas entendu sa fiancée rentrée après une dure journée de boulot.

- Ah c’est toi ! Il avait presque sursauté en attendant le son de sa voix. Aussitôt, il lâcha l’ordinateur et quitta la terrasse pour venir accueillir Kassie comme il se doit. Il s’approcha donc le sourire aux lèvres avant de venir embrasser délicatement la jeune femme. - Rien de bien méchant. Je faisais quelques petites recherches. Alors comment s’est passée ta journée ? Ah oui et désolé, j’étais un peu ailleurs du coup j’ai oublié de préparer le dîner. On peut commander du coup ? Au pire je peux nous préparer un petit quelque chose vite fait.

Ravie de retrouver son fiancée, Kassandra le serra fort contre elle avant d’à son tour apposer ses lèvres dans son cou puis sur sa bouche, tout sourire, heureuse de le voir enfin après une si longue journée.

- Oui c’est moi, qui d’autre ? répondit-elle en riant un peu.

Malgré les épreuves, Kassie savourait la vie et profitait de chaque seconde qu’il lui était donné de vivre libre, chaque instant de bonheur, aussi simple soit-il, méritait d’être salué.
Curieuse en voyant l’ordinateur qu’Asher venait de quitter, la caméléone lui demanda ce qu’il était en train de faire.

- Des recherches ? Sur quoi ? Tu veux que je t’aide ?

Toujours prête à rendre service, la brunette était capable d’entrer dans n’importe quel serveur sécurisé pour glaner les informations souhaitées sans se faire repérer.

- Ma journée ? Oh la routine tu sais. On a eu quelques tests supplémentaires, ça s’est bien passé.

Elle sourit en entendant Asher déclarer qu’il n’avait pas eu le temps de préparer le dîner.

- C’est pas grave. Je peux le faire si tu veux. Je peux faire des pancakes.

C’était pour ainsi dire la seule chose qu’elle savait cuisiner à la perfection suite aux enseignement d’un Asher motivé voilà quelques mois.

- Sinon je peux apprendre autre chose, si tu me laisses le temps d’étudier la question. Tu voudrais manger quelque chose en particulier ?

Elle ne put s’empêcher de le serrer fort dans ses bras. Son regard se posa sur l’extérieur et un sourire illumina son visage.

- Tu sais ce que j’aimerais ? Qu’on fasse un pic-nic au bord du lac. Même si c’est pas trop le soir que ça se fait, on peut inventer notre pic-nic à nous, non ?

Il faisait encore bon, le jour restait plus tard et Kassie voulait profiter de ce doux moment d’accalmie seule avec l’homme qu’elle aimait, près de leur maison.

- On se fait des sandwich et ça ira bien, qu’est-ce que tu en penses ?

Elle se détacha avec douceur, le regardant avec amour.

- Mais avant, je vais prendre une douche, je sens l'hôpital, ça doit pas être très agréable pour toi.


Elle l'embrassa du bout des lèvres avant de monter à l'étage pour regagner la salle de bains et s dévêtir pour entrer dans la cabine de douche à l'italienne.

L’ancien militaire était tellement plongé dans ses recherches, qu’il n’avait même pas prêté attention à l’arrivée imminente de sa fiancée, qui pénétrait le domicile tout sourire, après une journée, surement riche en aventures. - Désolé mon amour, question bête réponse bête j’ai envie de dire. Mais il consentit à se défaire de l’écran de son ordinateur portable pour mieux accueillir sa compagne bien incapable de dompter sa maladive curiosité. Cependant, l’ancien militaire préféra se montrer évasif quant au sujet de ses recherches et reporta toute son attention sur la routine de l’interne en médecine.

— Je veux tout savoir, raconte-moi.  Ce qu’elle fit en évoquant sa routine et les quelques tests supplémentaires qu’elle avait passés sans entrave. La connaissant, Ash n’était pas surpris. Kassie était brillante au-delà du possible et réussissait tout ce qu’elle entreprenait, même des tests supplémentaires.  — Je suis fier de toi, mais ça ne va certainement pas faire oublier le fait que je n’ai pas préparé le dîner.  Mais il en fallait plus pour mettre à mal la bonne humeur légendaire de Kassandra prête à faire des pancakes. — Je me vois contraint de répondre par la négative. Ta journée a été plus longue que la mienne, donc ça t’exempte de la préparation du dîner. Et pas de “mais” ni de “je peux apprendre quelque chose”. Débranche ton super cerveau pour ce soir.  Malgré la remarque, la demoiselle vint quand même se blottir tout contre son homme, arborant un immense sourire sur son magnifique visage.

 — Hum… Toi tu as quelque chose derrière la tête. Je t’écoute.  Kassandra ne manquait jamais d’idées pour égayer leur quotidien et une fois n’est pas coutume, l’inspiration était au rendez-vous pour la plus grande joie d’Asher. - C’est fou, tu arrives encore à me surprendre.  Il observa l’extérieur où le soleil commençait à décliner légèrement. Une luminosité amoindrie qui enclencha la guirlande d’ampoules solaires récemment installée par l’enseignant pour éclairer la terrasse.

 - Effectivement, les pique-niques ont lieu en journée, mais bon j’imagine qu’il n’y a pas de lois qui nous incite à respecter ça. Je vais donc nous préparer des sandwichs au beurre de cacahuètes. Cela te laissera le temps d’aller prendre ta douche pour te défaire de cette désagréable odeur hospitalière. La demoiselle légère comme une plume et heureuse d’avoir convaincu son homme s’éclipsa pour regagner la salle de bains. Ash seul à présent, en profita pour reprendre son ordinateur en main et envoyer le mail qu’il s’apprêtait à expédier à la direction de la clinique avant l’arrivée de sa compagne. Puis l’air de rien, il migra vers la cuisine pour préparer la boisson, les sandwichs et le dessert pour ce pique-nique improvisé.

Asher se montrait curieux, mais Kassandra soupçonnait que ce ne soit que de la politesse, parce qu’elle imaginait bien que les journées d’une étudiante en chirurgie pouvaient ne pas être des plus intéressantes pour quelqu’un qui n’était pas dans ce domaine, et puis elle avait bien remarqué dès le début que dès qu’elle employait des termes scientifiques, le beau professeur de sports de combat décrochait un peu. L’interne se contenta donc de la surface en expliquant brièvement le déroulé de cette journée d’examens.

- C’est gentil, répondit-elle tout sourire en l’entendant dire qu’il était fier d’elle.

Il se stressait beaucoup trop pour cette histoire de dîner, et Kassie ne put s’empêcher de secouer la tête avec un petit sourire avant de proposer de faire des pancakes, la seule chose qu’elle maîtrisait vraiment bien. Mais Ash ne semblait pas de cet avis.

- Je soupçonne que tu n’aies en fait peur pour ton estomac si tu me laisses cuisiner… Avoue ? ajouta-t-elle amusée avant de venir se blottir contre lui.

Il lui avait manqué et la brunette bénissait chaque journée que la vie lui permettait de passer auprès de cet homme merveilleux qui la rendait si heureuse. Elle proposa alors un pic-nic pour ce soir-là, chose qui, visiblement, plut à son fiancé et même le surprit.

- Oh je suis super contente que tu veuilles bien ! Merci ! Tu peux ajouter de la confiture de framboise avec le beurre de cacahuète pour le mien s’il te plaît ? demanda-t-elle joyeusement avant de l’embrasser sur la joue et se défaire de lui pour mettre à exécution son projet de douche.

Une douche Ô combien salvatrice après une journée fatigante. Néanmoins, la caméléone se dépêcha, pressée de retrouver son fiancé.
Une fois propre, elle enfila une tenue décontractée composée d’un short en jeans et d’un t-shirt blanc tout simple. Puis, pieds nus, elle redescendit les escaliers. Asher avait déjà terminé de tout préparer.

- On y va ? Qu’est-ce que je prends ? demanda-t-elle en tendant les mains vers lui pour lui venir en aide.

Ils ne tardèrent pas à aller se poser, les bras chargés, sous l’arbre au bord du petit lac. Un plaid sur le sol pour s’installer dessus, et les voilà prêts à déguster leur pic-nic improvisé.

- C’est super chouette, on va pouvoir voir le reflet du coucher de soleil dans l’eau, c’est tellement joli !

Ce sont ces petits moments empreints de simplicité qui rappellent à Asher à quel point il a de la chance d’avoir Kassandra dans sa vie. Avec elle, le quotidien n’avait rien de morne ; à chaque jour sa découverte pour la jeune femme et c’est avec plaisir qu’Asher jouait les précepteurs. Il n’appréciait que plus encore ces petits riens dont il se fichait éperdument jadis. C’était comme si on lui avait offert une seconde chance et qu’il l’avait saisi afin de redécouvrir le monde, sous le prisme d’un nouveau regard. Oserait-il toutefois admettre qu’il était devenu fleur bleue ? Où était-il encore sous l’égide d’une trop grande fierté comme le sont la plupart des hommes ? En tout cas, le regard qu’il posait sur sa fiancée en disait long, assez pour penser qu’Asher Collins s’était ramolli ; ce qui ne lui faisait pas de mal après tout ce qu’il avait vécu.

— Ok, je ne voulais pas le reconnaitre, mais il se pourrait bien que j’aie peur pour mon estomac, si tu passes derrière les fourneaux. Il ne le pensait pas et employait comme toujours le second degré, qu’elle maitrisait assez bien pour le comprendre sans s’offusquer. Elle vint alors se blottir tout contre lui, l’incitant à passer ses bras autour d’elle pour la serrer un peu plus fort et mieux profiter de cette douce étreinte. Encore, un « petit rien » qui en disait long et lui faisait appréciait davantage ce quotidien partagé avec Kassandra. — Mais je crois que si l’on passe le reste de notre vie ensemble, on va devoir faire des efforts, surtout si l’on envisage d’avoir des petits Asher et des petites Kassandra. Il se surprenait lui-même d’ainsi se projeter alors qu’à aucun moment ils n’avaient évoqué ensemble la perspective de fonder une famille. — Après je pense que le pique-nique est dans nos cordes non ? Malgré tout, il ne voulait pas trop s’étendre sur le sujet familial, car peut-être n’était-ce pas ce dont Kassie avait envie.

— Donc ça sera beurre de cacahuète confiture à la framboise pour la demoiselle. C’est noté ! Je m’occupe donc de votre commande. Et c’est sur ces mots que l’adorable petit couple se quitta ; le temps pour Kassandra d’aller prendre une douche. Ce qui laissait le temps à Asher d’envoyer le mail qu’il avait prévu de transmettre à la direction de Briarcliff Manor avant l’arrivée inopportune de sa fiancée. Bien sûr, il s’en voulait d’agir de la sorte et de donner l’impression de ne pas avoir assez confiance pour en parler. La confiance n’était pas un problème, bien au contraire. Kassandra demeurait la personne en laquelle Asher avait le plus confiance, mais il ne pouvait se résoudre à la mêler à ça. La proximité de l’établissement médical avec le Centre n’était pas un fait, mais une réalité. De ce fait, Ash ne voulait prendre aucun risque, plus encore si la liberté de sa fiancée se voyait menacée.

L’écrit envoyé, l’ancien militaire pouvait dès lors se consacrer pleinement à la confession des sandwichs pour le pique-nique. Ne négligeant aucun détail, il récupéra le petit panier en osier dans lequel il pourrait y glisser tout ce qui leur serait utile à savoir les couverts, une hypothétique nappe, de quoi boire, les sandwichs qu’il venait d’emballer dans du papier cellophane… En somme, l’artillerie lourde pour un parfait pique-nique. Et voilà que dans une parfaite synchronisation, la chirurgienne en devenir, fit son arrivée tonitruante dans la pièce. — Mais qu’elle est toute belle, une beauté qui t’exempte du moindre effort. Je m’occupe de tout docteur et pas de, mais ! C’est donc sous l’impulsion d’Asher, que le petit couple s’en alla retrouver le lac qui se trouvait tout prêt de leur domicile, un vrai petit privilège il est vrai. Attentionné comme toujours, le futur « ancien » enseignant déposa le panier à terre avant de sortir ce qui ferait office de nappe ce soir. Chacun s’installa ensuite, savourant le magnifique spectacle gracieusement offert par mère Nature en personne.

— Oui c’est vrai que c’est beau. On devrait se faire ça plus souvent non ? Il lui servit un verre et lui tendit un premier sandwich — Beurre de cacahuète avec un supplément confiture de framboise pour la petite dame. Il esquissa un tendre sourire avant de reporter toute son attention sur le lac et sur la multitude de couleurs qui prenait vie dans le reflet donnant l’impression d’être face à un tout autre paysage. Ash semblait soudainement songeur, tellement qu’il était difficile de ne pas le remarquer. — Tu veux des enfants ? finit-il par demander soudainement.

Les moments qui pouvaient paraître les plus simples pour les personnes « du dehors » étaient de vrais trésors, du bonheur à l’état pur pour Kassandra. Aussi, aller faire un pique-nique à n’importe quelle heure, profiter de la nature, de voir le ciel, l’herbe, les arbres, sentir le vent dans ses cheveux, voir un coucher de soleil, toutes ces choses plutôt naturelles pour les autres étaient des souvenirs merveilleux que se forgeait la caméléone. Plus encore avec Asher. Tout ce qui lui permettait de passer du temps avec l’homme qui lui avait fait découvrir l’Amour était un trésor. Et ce petit câlin en se serrant dans les bras lui fit un bien fou. Néanmoins, elle fut interpellée, malgré la plaisanterie sur la cuisine, par ce que son fiancé sous-entendait. Parlait-il vraiment d’avoir des enfants ? Une perspective que Kassie n’avait jamais envisagée, elle qui avait été privée jusqu’à l’âge adulte de tout modèle concernant une vie de famille.

- Euh oui, le pique-nique c’est dans nos cordes, répéta-t-elle un peu hébétée, se forçant malgré tout à sourire parce qu’elle aimait être dans ses bras.

Ce fut néanmoins un peu perturbée par cette nouvelle donnée que la brunette partie prendre sa douche pour se délasser et se débarrasser des odeurs d’hôpital. Elle se dit cependant qu’ils auraient bien le temps d’en discuter, et préféra se focaliser sur l’instant présent. Elle redescendit rapidement, trop pressée de retrouver son chéri et de déguster un délicieux sandwich préparé par ses soins. L’ancien militaire refusa toute aide pour apporter le repas, et respectant son choix, elle emporta simplement de quoi s’asseoir dans l’herbe au bord du lac.

Et quelle beauté que le spectacle de la nature en ce début de soirée ! Kassandra en prenait plein les yeux à chaque fois qu’elle observait, à n’importe quelle heure du jour. Tout sourire, elle acquiesça en prenant le sandwich qu’il lui tendit.

- Oh oui, j’aimerais beaucoup ! On peut dire une fois par semaine l’été ?

Affammée, elle mordit dans son sandwich, se délectant, le visage trahissant sa joie et les joues rondes comme celles d’un hamster, de la savoureuse alliance du beurre de cacahuète et de la confiture de framboise.

- Ch’est krop bon ! déclara-t-elle la bouche pleine avec un sourire enfantin.

Néanmoins, Asher était ailleurs. Kassie déglutit et prit une gorgée d’eau dans le but de s’éclaircir la voix, mais son fiancé reprit la parole le premier. Elle manqua de s’étouffer avec sa seconde gorgée mais ne laissa rien paraître.

- Des enfants ? Et toi, tu en veux ? Je pensais que tu n’aimais pas leur présence… Tu as changé d’avis ? demanda-t-elle étonnée.

A vrai dire, la caméléone se sentait encore enfant elle-même, comme si sa vie s’était arrêtée à l’âge de sept ans, au moment de son enlèvement. Sa vie normale, celle de dehors. En fait, l’adulte était cette personne exploitée par le Centre, cette scientifique au potentiel incroyable, mais la personne qui aurait dû voir une vie normale avait bloqué son évolution à l’âge de sept ans, aussi, lorsqu’il s’agissait d’avoir une vie de famille, Kassandra ne se sentait pas forcément adulte. Alors, elle se mit à réfléchir à la question d’Asher.

- Tu sais, jusqu’à ce que tu me poses la question à l’instant, jamais je n’avais pensé à ça pour moi. Je veux dire… à aucun moment dans ma vie cette éventualité n’a été abordée. Être mère, c’est tellement loin de tout ce que j’ai pu faire ou apprendre… Et moi-même je n’en ai pas eu, ni même aucun exemple, je ne connais que des choses théoriques, alors je ne sais pas du tout comment faire pour être une maman. Mais j’imagine que oui, j’en voudrais, rien ne me ferait plus plaisir qu’une vie normale avec toi et si c’est ce que tu veux aussi. Mais avant, je dois grandir moi aussi. Pourquoi tu penses à ça aujourd’hui ? demanda-t-elle curieuse.

Avoir des enfants n’avait jamais été la priorité d’Asher Collins. À bien y réfléchir et surtout avec son passé, jusqu’alors il était logique pour lui d’épargner à un enfant son manque d’expérience question bonheur et vie de famille. Cependant, depuis l’arrivée de Kassandra, l’ancien militaire semblait enclin à plus d’ouverture et plus encore, il acceptait de recevoir le bonheur sans aucune concession ; un bonheur qui portait le doux prénom de Kassandra et qu’il serrait chaque jour dans ses bras. — Oui le pique-nique  , répétait-il en constatant que ce qu’il venait de faire entendre concernant les enfants semblait légèrement ébranler sa fiancée. Conscient du potentiel de gêne de cette conversation, il préféra ne rien relever et laissa sa belle s’éloigner pour aller prendre une douche ; tandis qu’il œuvrait à la préparation du pique-nique tout en envoyant un mail de confirmation à ce mystérieux institut qui accaparait toute son attention. Une fois libéré de cette contrainte, il était bien décidé à profiter de l’instant présent et en délicieuse compagnie qui plus est.

De ce fait, les deux amoureux retrouvèrent rapidement leur « petit » extérieur pour savourer comme il se doit un pique-nique nocturne ; une nouvelle habitude qui n’était pas pour déplaire à Asher qui avait pris en main l’organisation ; refusant toute aide de sa compagne qui venait de passer une rude journée et qui n’avait certainement pas besoin de se fatiguer davantage avec si peu de chose. C’est donc bercé par une agréable lumière et une chaleur tout aussi confortable pour une fin de soirée, qu’Asher et Kassy prissent place près du lac. La jeune femme resta silencieuse durant quelques secondes. Elle savourait le doux spectacle qui lui était offert et malgré le quotidien, elle demeurait émerveillée à chaque observation. Quant à lui, Asher ne pouvait s’empêcher d’être attendri comme à chaque fois. Il dégaina donc son cellulaire et commença à prendre quelques clichés. — La lumière est parfaite et tu es divine sous cet angle. Alors difficile de résister à l’envie de te prendre en photo. 

Il délesta ensuite son portable pour se saisir d’un sandwich qu’il tendit à Kassandra. — Une fois par semaine l’été ça me semble jouable. On part là-dessus dans ce cas. Il la vit croquer avidement dans son sandwich, se souciant peu d’avoir la bouche pleine et les joues arrondies. C’est dans ces moments-là que l’enfant prenait le pas sur l’adulte plus encore lorsqu’il était question de confiture de framboise et de beurre de cacahuète. Il esquissa un tendre sourire avant d’observer à nouveau le lac et ses environs. Il était ailleurs, mais ne s’en était pas rendu compte, si bien qu’il était aisé pour Kassy de le voir. Et sans trop savoir pourquoi, sûrement un excès inopiné d’honnêteté, l’ancien militaire demanda à sa compagne si elle voulait avoir des enfants. — Non, oublie…  commença-t-il avant qu’elle n’ait répondu. — En fait, je ne sais plus vraiment ce que je veux. Avant de te rencontrer, j’étais du genre solitaire et effectivement je ne pensais pas à tout ça. Oublie, c’était vraiment une question idiote. Mais la demoiselle n’était pas du genre à lâcher prise aussi facilement ni à laisser de telles problématiques en suspens. Alors elle se livra en toute honnêteté ce qui toucha l’enseignant qu’il ne sera plus sous peu.

— Moi non plus je n’y avais jamais pensé. Tu sais j’ai grandis en foyer et d’aussi loin que je m’en souvienne, je n’ai jamais su ce que c’était que d’avoir une famille ; excepté lorsque j’étais à l’armée, mais ça n’est pas la même chose. Avant de te connaître, j’étais seul et ça ne me faisait rien. Pour ne rien te cacher, j’avais prévu de finir ma vie seul. Mais toi, avec ta petite frimousse tu as débarqué et foutu un sacré beau bordel dans ma vie. Mais tu m’as surtout permis de comprendre que la vie valait la peine d’être pleinement vécue. Tu m’as montré le meilleur malgré le malheur qui nous entoure. Avec toi, j’apprends à découvrir un autre moi que tu n’as de cesse de rendre meilleur. Et ceci entrainant cela, moi qui n’étais pas le genre de gars à avoir des envies de paternités, je commence à me poser des questions. Ça et ma quête effrénée pour découvrir mes origines. J’imagine que tout ça joue, que c’est un ensemble, qui m’amène à réfléchir à l’avenir, voire à le considérer vraiment. Je crois, vraiment que c’est ma quête d’identité qui me fait penser à tout ça. Je suis désolé, je ne voulais pas te mettre mal à l’aise en tout cas. 

Le pic-nique semblait donc une affaire entendue, ce qui ne pouvait que ravir Kassandra qui se réjouissait de la moindre chose positive ou amusante. Elle avait laissé Asher prendre ses photos, elle savait que ça lui faisait plaisir.
Néanmoins, après les premières bouchées de sandwich préparés avec amour par son fiancé, Kassie comprit que quelque chose taraudait son amoureux, et la conversation prit un tournant un peu plus sérieux, notamment à propos d’avenir et d’enfants. La caméléone ne s’était jamais posé ce genre de questions, par la force des choses la famille n’avait pas fait partie de l’ambiance qu’elle connaissait, et le peu qu’elle savait ou intégrait, elle l’apprenait auprès d’Asher.

- Ce n’était pas une question idiote, Asher, je ne comprends pas pourquoi tu veux éviter le sujet puisque visiblement ça te tient à coeur d’en parler. Alors parlons-en.

Aussitôt, la brunette lui expliqua son ressenti le plus ouvertement et honnêtement possible. Après tout, pourquoi pas ? Rien n’était plus beau que donner la vie, à ce qu’on disait, et il était vrai que la caméléone s’était vue émerveillée la première fois qu’elle avait vu un nourrisson. Maintenant qu’elle était officiellement médecin, elle voyait fréquemment des bébés ou des femmes enceintes. Après qu’elle ait parlé, l’ancien militaire reprit la parole pour un discours plus long, permettant de dévoiler le fond de sa penser et de livrer son coeur. Aussi, Kassandra l’écouta-t-elle attentivement, le regard rivé dans le sien. Elle avait même reposé son sandwich entamé, c’était dire ! Elle hocha la tête avec un petit sourire.

- Je crois que je comprends ce que tu veux dire. Et rassure-toi, je ne suis pas mal à l’aise du tout. C’est simplement que c’est un sujet que je ne maîtrise pas, mais je vais apprendre. Je me demande une chose : est-ce que tu ne souhaiterais pas déjà trouver les réponses à tes questions identitaires avant d’entamer la démarche d’être père à ton tour ? En tout cas, j’y pense et je me dis que oui, effectivement, maintenant qu’on en parle, je trouverais ça super de former une vraie famille et tout, mais moi, personnellement, je me sens pas encore prête tout de suite à être une mère moi-même, parce que je ne sais pas du tout ce que c’est, et avant de me lancer dans une chose aussi importante et qui implique la vie d’une autre personne innocente, je veux vraiment saisir tous les tenants et aboutissants, je veux rattraper mon retard dans tout ce que je ne connais pas encore de la vie normale.

Elle se rapprocha de lui, prenant garde de ne pas écraser ce qui se trouvait sur leur nappe de pic-nique, pour le serrer dans ses bras

- C’est toi ma famille, personne n’est plus important que toi, et je suis prête à tout pour que tu sois heureux.

Tout n’était que légèreté de prime abord, plus encore avec la perspective de ce piquenique improvisé en début de soirée au coin du lac. Mais sans qu’il ne sache comment, ni pourquoi Asher se laissa emporter par un désiré inexplicable de parentalité. Il tachait toutefois de ne rien laissait paraître, mais regrettait, après coup, d’avoir ainsi lancé un sujet d’une telle importance. Mais Kassandra, toujours dans la bienveillance, tâchait de trouver ses mots comme toujours alors que son compagnon se maudissait intérieurement d’avoir mis à mal un moment pourtant si agréable avant que le sérieux ne prenne l’ascendant sur la conversation. Et impossible de revenir en arrière présentement, cela aurait été bien trop facile et un tantinet irrespectueux que de switcher un sujet de conversation que l’on ne parvient à assumer.

— Oui, j’ai sûrement mal formulé la chose c’est pour ça que je me sens mal à l’aise. Mais c’est aussi parce que je ne veux pas que toi aussi tu le sois. Je vais être honnête avec toi, avant de te rencontrer jamais je ne m’étais posé la question de la parentalité. En fait, ça ne me serait jamais venu à l’esprit tant j’étais instable de tous les côtés. De base, je ne me voyais pas avoir des enfants avec mon passif. Tu vois le genre ? J’ai été trainé de foyer en foyer, ce n’était pas la joie tous les jours. Je n’ai pas eu d’enfance…  Il marqua une pause et arborait son air le plus désolé. — … tout comme toi. Il était si désolé d’ainsi remuer le couteau dans une plaie qui ne cicatriserait probablement jamais. Kassy exposa ensuite son point de vue sous le regard azur et empli d’amour de son fiancé. Ce que la demoiselle venait de faire entendre avait fait son petit effet sur l’ancien militaire qui laissa à nouveau parler son cœur sans gêne et en toute confiance. Il n’y avait qu’avec Kassandra, qu’Asher pouvait totalement s’ouvrir et qu’avec elle qu’il se risquait à parler de son passé et de ses quelques failles.

Le sourire qui prenait vie sur le visage de la demoiselle ne trompait personne, encore moins son interlocuteur, soulagé de ne pas la voir prendre ses jambes à son cou après un tel soliloque. Kassandra était et demeurait la bienveillance incarnée. — J’ai tellement de chance de t’avoir dans ma vie. Tu as raison sur le fait que je doive commencer par avoir des réponses sur qui je suis. Je verrais plus clair à ce moment-là et puis on a le temps d’apprendre chacun de notre côté. Il la laissa s’approcher pour le prendre dans ses bras et à nouveau l’affubler de quelques douces paroles. — Je veux aussi que tu sois heureuse Kassandra autant que tu veux que je le sois. Moi aussi, je veux saisir tous les tenants et les aboutissants. Au pire, on apprendra ensemble comme on le fait depuis le début. Il pensa alors au rendez-vous qu’il avait le lendemain et se sentit coupable d’avoir gardé cette information pour lui. Alors il se décala légèrement, mais prit soin de prendre la main de sa fiancée pour tenter de la rassurer avant de lui faire entendre ce qu’il s’apprêtait à lui dire.

— Il faut que je te parle de quelque chose et ça reste dans la thématique identitaire. Elisabeth Fitzgerald a enfin accepté de me donner des informations. Enfin, c’est relatif, elle s’est contentée de me donner le nom d’un lieu, Briarcliff Manor. En cherchant sur internet, je me suis rendu compte qu’il s’agissait d’une espèce d’asile psychiatrique. J’ai donc pris rendez-vous avec la direction et je dois m’y rendre demain. Je ne sais pas ce que je vais trouver là-bas, mais j’ai l’impression que cela a un lien avec ma famille. Qu’est-ce que tu en penses ? Tu crois que je devrais m’y rendre ?

Avec Asher, Kassandra saisissait l’ampleur de l’expression « ne pas être au bout de ses surprises ». Son fiancé était un homme bien, mais il avait souffert, énormément souffert, bien plus que le commun des mortels. Chaque fois qu’elle pensait à tout ce qu’il avait enduré, Kassie en avait les larmes aux yeux. Aussi, à présent qu’elle partageait sa vie, elle voulait tout faire pour que cet homme qu’elle aimait et qui était pour le moment sa seule famille, soit le plus heureux possible, il le méritait. Elle l’écouta avec attention alors qu’il reprenait la parole, et posa sa main sur la sienne.

- Oui, je sais Ash’, je sais tout ça. Mais maintenant c’est différent. Et je suis sure que tu seras un papa génial, comme ceux qu’on voit au parc jouer avec leurs enfants.

Néanmoins, la caméléone étant du genre à tout intellectualiser, lui demanda s’il ne valait pas mieux commencer à avoir au moins quelques réponses à sa quête identitaire avant de songer à devenir parent. En effet, ce qu’elle redoutait, c’était que ce trop-plein de questionnements lui nuise et qu’il ne profite pas pleinement de sa joie d’être papa si les réponses n’étaient pas là. Et de son côté, Kassie voulait absolument faire des recherches pour apprendre tout ce qu’elle n’avait pas vécu. Elle n’avait eu aucun exemple maternel et elle se refusait à commettre des erreurs qui pourrait nuire au développement psychique de son éventuel enfant. Néanmoins, l’idée de former une famille à trois commençait à lui plaire.

- Oui, faisons ça, on va apprendre tous les deux ensemble. J’aime beaucoup cette idée.

Le sourire ne quittait plus ses lèvres, elle était si bien avec lui.

- C’est moi qui ai de la chance de t’avoir, Ash’, tu n’imagines pas à quel point. Et je suis très heureuse avec toi, tu sais, jamais je n’aurais pensé l’être autant.

Mais soudain, quelque chose changea, aussi bien dans le regard que dans l’attitude de son fiancé. La caméléone l’observa tandis qu’il lui prenait la main comme pour la rassurer. Elle hocha la tête quand il déclara devoir lui dire quelque chose, et comme toujours, elle écouta avec une infinie attention. Le nom d‘Elizabeth Fitzgerald la fit frémir et elle dut fermer les yeux pendant deux secondes avant de les rouvrir pour regarder de nouveau son fiancé.

- Un asile psychiatrique ? Tu crois que l’un des membres de ta famille a un lien avec ? Attends… Si on rentre, je prends ton ordi et je peux infiltrer leur système pour faire des recherches.

Asher avait rendez-vous dès le lendemain. Cette idée l’angoissa, mais après tout, que pouvaient-ils lui faire ? Au moins, elle savait où il était.

- Je… je pense que si tu peux avoir des réponses, c’est bien d’y aller. Tu veux que je vienne avec toi ? proposa-t-elle alors.

Mettre des mots sur ses maux n’est jamais facile, surtout pour un homme qui bien qu’il ne ressente pas la douleur, avait tant souffert au cours de sa vie. Une souffrance que par fierté, il essayait d’amoindrir à tout prix, mais aussi parce qu’il savait à quel point Kassandra avait souffert de son côté et qu’il se refusait aux vues de l’empathie de la jeune femme, à lui en infliger davantage. Un sujet malaisant en entrainant un autre, l’ancien militaire de carrière se risqua à évoquer les enfants. Surement qu’inconsciemment, il espérait ainsi exorciser leur propre souffrance, à eux qui avaient grandi sans famille. Si lui semblait se projeter, pour Kassandra c’était une autre histoire. Et après qu’elle fit entendre ses arguments, Ash se demandait finalement si c’était une bonne idée et en revenait presque à regretter d’avoir lancé aussi naïvement un sujet qui méritait plus ample réflexion.

— Je doute d’être un père génial comme ceux que l’on voit dans les parcs d’attractions. Il faut que j’apprenne, bien que je doute qu’il y ait des cours pour ça. Les autres diront que c’est inné, mais il faut bien admettre que lorsqu’on n’a pas eu le modèle pour, c’est difficile de se projeter à son tour. Il marqua un léger temps d’arrêt avant de reprendre. — Je pense que tu as raison, il faudrait d’abord avoir des réponses à mes questions et surtout une prémisse d’arbre généalogique non ? Toi aussi d’ailleurs. En somme qu’on en sache un peu plus sur nous. Heureusement que tu es là. Tu es comme la voix de la raison et je me demande bien ce que je ferais sans ma petite voix de la raison. Il se laissa aller à quelques rêveries malgré tout, convaincu qu’ils leur étaient possibles d’apprendre ensemble, une perspective qui ne semblait déplaire à la concernée, ivre de connaissances comme à chaque fois.

— D’habitude je ne suis pas le genre de type qui se réjouit de devoir apprendre. Cependant, je dois bien admettre que la perspective de le faire avec toi, change tout très chère. Ça me fait penser que j’étais vraiment très mauvais à l’école, assez pour porter le bonnet d’âne. Tu vas relever le niveau partenaire ça je n’en doute pas. Et puis, il me semble qu’en physique, le plus et le moins forment une valeur positive non ?  Il ne s’offusqua point d’avoir si peu de notion, car il savait que Kassandra serait prompte à le corriger et à éclairer sa lanterne. Il ne l’aimait que plus encore pour ça là où d’ordinaire il se serait senti comme ébranlé dans sa virilité. Avec Kassandra, tout était si différent et simple à la fois. — Je t’aime… finit-il donc par faire entendre, parce qu’il en avait envie autant que ça lui faisait plaisir de le dire.

La soirée aurait pu continuer à se placer sous le signe de la légèreté, mais c’était sans compter sur Asher, qui ne pouvait continuer à garder pour lui son petit secret. Il se risqua donc à introduire Elisabeth Fitzgerald dans la conversation et les recherches qu’il avait réalisées sur cette mystérieuse aile psychiatrique nommée Briarcliff Manor. Le simple nom de Fitzgerald fit frémir cette pauvre Kassandra, qui avait besoin d’un léger temps d’adaptation pour tout assimiler sous le regard inquiet de son fiancé. — Je sais que tu n’aimes pas entendre ce nom ni tout ce qui s’y rapporte. Excuse-moi, je ne voulais pas te mettre mal à l’aise. Il décida malgré tout de poursuivre pour délivrer à sa compagne toutes les informations qu’il avait en sa possession.

— Oui un asile psychiatrique. Je ne te cache pas que j’ai été surpris de le découvrir, mais je n’ai que ça pour l’instant ; donc je pense que ça ne sert à rien d’infiltrer leur système pour des recherches. Et sans vouloir te blesser, je préfère y aller seul. Je ne veux prendre aucun risque surtout si des gens du Centre s’y trouvent. C’est mieux si tu restes à l’écart pour l’instant. Effectivement, n’étant sûr de rien, il préférait mettre Kassandra à l’écart, et ce malgré le fait que sa présence l’aurait grandement apaisé. — Ca va bien se passer, ne t’en fais pas.

Kassandra ne s’était pas imaginé un seul instant parler de faire un bébé avec Asher, du moins pas ce soir. Mais à présent que le sujet était sur la table (encore une drôle d’expression puisqu’il n’y avait pas toujours de table au moment où les discussions avaient lieu…), la caméléone y réfléchissait sérieusement et envisageait avec plaisir l’éventualité de fonder une famille avec l’homme qu’elle aimait. Néanmoins, de son point de vue, il leur fallait avant tout grandir eux-mêmes, mieux se connaître eux-mêmes, avoir les réponses qui leur manquaient ou du moins une ébauche dans leurs développements personnels respectifs, cela semblait important.
Malgré que l’idée vienne de lui, Asher doutait encore beaucoup trop de lui. Kassie secoua lentement la tête avec un petit sourire en coin.

- Tu seras génial parce que c’est quelque chose qui te tient à coeur et que tu veux vraiment. Moi, je n’ai aucun doute là-dessus.

Elle ne put s’empêcher de rire quand il la gratifia du titre de « voix de la raison ».

- Les réponses vont venir petit à petit, j’en suis sure. J’ai beaucoup à apprendre auprès de Lexie et des Watson, mais on sera prêt quand on le décidera.

Elle l’écouta alors parler de l’école et écarquilla les yeux.

- Les ânes portent des bonnets ? Je croyais que seuls les humains portaient des chapeaux. Pourquoi on donne des bonnets pour ânes à des enfants à l’école ?

La brunette se remit à rire en posant un regard bienveillant sur son fiancé.

- Non, mon coeur, en physique on dit que les pôles opposés s’attirent, c’est le principe des aimants. Par contre en mathématiques, le plus et le moins.. eh bien ça dépend de la valeur de chacun en fait.

Mais à l’issue de cette explication sommaire, une jolie déclaration d’amour se fit entendre, ce qui émut la jeune femme.

- Oh, moi aussi je t’aime tu sais.

Et puis visiblement, Asher avait autre chose à faire entendre, une avancée dans ses recherches familiales. Cela aurait pu être encourageant et Kassie aurait pu le voir d’un bon œil, si cette découverte n’émanait pas d’une femme qui avait les deux pieds dans le Centre. Entendre le simple nom de Fitzgerald fit frémir la caméléone qui, cependant, resta concentrée sur les paroles de son fiancé.

- Non, ça va, je suis pas mal à l’aise, c’est pas ça. C’est plutôt que je ne lui fais pas confiance. Et je voudrais que tu sois prudent quand ce qu’on te donne comme info provient du Centre.

Il s’agissait là d’un asile psychiatrique. Etrange lieu. Asher ne voulait pas que sa fiancée infiltre le système informatique, ni même qu’elle l’accompagne. Son coeur se serra, mais il avait raison sur le dernier point, on ne savait jamais, surtout si Fitzgerald lui avait donné le renseignement, il se pourrait très bien que d’autres personnes du Centre y soient.

- OK… mais je voudrais que tu me tiennes informée, d’accord ? Un message quand tu arrives, un sur place si tu peux, et un quand tu repars.

Elle tâchait d’avoir l’air calme, mais savait qu’elle serait morte d’inquiétude du début à la fin, jusqu’à ce qu’il soit rentré.

- Tu y vas demain alors ? C’est drôle, Rose m’a invitée à aller chez elle.

Elle avait encore du mal à dire « maman », alors qu’elle avait espéré retrouver sa famille toute sa vie durant.

C’était agréable, comme chaque moment passé en la compagnie de Kassandra. Rien que pour ça et malgré les épreuves, Asher était résolument prêt à toutes les folies pour avoir la chance de profiter de ces petits moments hors du temps qui n’appartenaient qu’à eux. Une magie du quotidien qui transfigurait l’homme au point de lui redonner foi en la vie et de considérer le futur comme une véritable perspective et non une contrainte en attendant la fin. Le voilà donc à imaginer la parentalité avec bienveillance tout en posant sur Kassandra un regard empli d’amour. C’est qu’il se ramollit le bougre ! Mais n’était-ce pas mieux ainsi ? Non pas de se ramollir, mais d’enfin se sentir aimé et de le savourer sans modération aucune, quitte à paraître plus humain.

Kassandra serait donc son futur et fonder une famille sa perspective bien qu’en amont et l’espace d’un instant, l’ancien militaire s’était laissé alpagué par le doute. C’était sans compter sur Kassy qui ne le connaissait que trop bien ; assez pour trouver les bons mots comme à chaque fois, il ne l’aimait que plus encore pour ça, mais préférait ne pas paraître touché par les paroles de sa fiancée. — Chassez le naturel, il revient au galop — ou peut-être était-ce encore une question de fierté mal placée. — On sera géniaux, parce qu’on forme une équipe. Mais comme tu le dis, laissons du temps au temps et le moment venu, nous serons prêts, riches de nos expériences. Il se surprenait à faire preuve d’autant de philosophie et pourtant c’est bien lui qui venait de s’exprimer sans avoir à chercher ses mots, inspiré par le futur et par la demoiselle qui lui faisait face. Une demoiselle qui avait le don d’être désarmante avec ses interrogations candides.

— Ah non ils n’en portent pas pour de vrai. J’aurais dû préciser que c’était une expression. J’imagine que ça un lien avec le fait d’être une tête de mule. De ce fait, on associe l’âne à la figure du cancre. Après de toi à moi, je n’ai jamais creusé plus loin pour connaître les origines de cette expression. Peut-être bien que jadis, l’on donnait des bonnets aux ânes. En tout cas, moi j’étais un cancre, la preuve, tu es obligé de me faire la leçon sur les aimants et les formules mathématiques. Heureusement que j’enseignais le sport aux gosses et non les maths, les pauvres ! Puis la technicité de cette explication laissa place à ce qu’Asher savait faire de mieux ; déclarer son amour à sa dulcinée et la pourvoir de ses plus jolis mots afin de combler toutes ces années de solitude et de manque d’amour.

— Je ne pensais pas que cela serait si facile de faire entendre ce genre de mot, mais force est de constater qu’avec toi ça l’est. Et il est vrai qu’avec Kassandra, Asher se découvrait romantique et prompt à s’ouvrir aux autres. Ceci étant dit, il orienta la conversation vers quelque chose d’un peu moins propice à la romance en lui faisant part du fruit de ses recherches. Mais force est de constater que le manque de confiance de Kassandra en Elizabeth Fitzgerald rendait la conversation un tantinet désagréable surtout pour la jeune femme qui ne pouvait s’empêcher — à juste titre — de s’inquiéter pour son fiancé. Ce dernier soucieux de préserver la jeune femme lui prit à nouveau la main pour la serrer, sans force, dans la sienne avant d’en embrasser le dos.

— Je sais… commençait-il sans la quitter du regard. — Et je fais attention crois-moi. Mais je n’ai rien de plus pour l’instant. Et même si tu peines à avoir confiance en cette vieille chouette, pour une raison que j’ignore moi je lui fais confiance. Enfin, disons que je fais un peu plus confiance à la femme qui l’accompagne. À ce moment précis, il ne se rendait pas compte de l’importance de cette information ; à savoir l’hypothétique existence d’un binôme formé par Elizabeth et une autre femme — qu’il n’avait plus revu depuis leur première rencontre, il y a de cela plusieurs mois. — Je te promets de ne prendre aucun risque inutile , reprit-il dans la foulée sans la quitter du regard. — Et je te tiendrais informé à l’arrivée et au départ. Aller on laisse ça de côté pour l’instant ? Je veux que tu me parles de toi et de comment ça se passe avec ta m… avec Rose. D’ailleurs, tu préfères que je l’appelle par son prénom ?