Ce n'était dès lors plus une partie d'échec. Il n'y avait aucun enjeu, aucun but, ce n'était rien de plus que de l'observation – savait-il faire autre chose ? – et une conversation, un privilège en somme. Jarod ne boudait plus son plaisir, lui qui n'avait plus l'habitude de recevoir des visites extérieures, hormis celles de Sydney – quotidiennes – et celle de Raines – ponctuelles – (encore heureux). Mais force était de constater que le contact humain manqué au caméléon et que de ce fait, il aurait su se contenter de n'importe qui, pour au moins avoir l'impression de ne pas être seul. Cette sensation pouvait être pesante quelque fois assez pour que Jarod se laisse alourdir par ses tourments et soit tout bonnement incapable d'analyser quoique ce soit. Cela ne faisait pas les petites affaires de Raines, ni celles de Sydney qui se faisait taper sur les doigts par la Tour. Il était trop laxiste, disait-on. Trop ou juste humain, à se soucier des préoccupations de son protégé. Saoirse Rowling semblait elle aussi se préoccuper de son interlocuteur, mais faisait montre d'une toute autre attitude que celle de l'Européen. Une attitude qui allait de pair – selon Jarod – avec la maladie dont été frappée la jeune scientifique. Et tout d'un coup, bien que la froideur – et tout un apprentissage sentimental à revoir – avait ébranlé Jarod, au vu de ces nouvelles informations, le caméléon se captiva pour ce qui lui semblait maladroitement être un sujet, tout comme lui. Peut-être que finalement cette conversation était destinée à autre chose et que pour une fois, son génie ne serait pas exploité pour mener à bien dieu sait quelle catastrophe. Alors, il essaya d'être le plus juste dans son analyse, dans l'approche, assidu et discipliné comme on le lui a appris. Mais il comprit vite, en voyant le regard de son interlocutrice brillait, qu'il était peut-être allé trop loin. Il ne put dès lors s'empêcher de se sentir mal, alourdit par la culpabilité, lui qui ne voulait faire de mal à quiconque, encore moins une personne dont il semblait apprécier la compagnie, du moins il en était convaincu avant qu'elle ne reprenne la parole et lui fasse entendre pourquoi elle n'éprouvait rien contre Raines. Une réponse loin de satisfaire Jarod au vu du geste de recul qu'il adopta presque aussitôt.

« - Non... Raines n'est pas ce genre de personne » C'était tellement évidant pour lui, qu'un être de cet acabit soit tout bonnement incapable d'aider quiconque à s'améliorer et du temps où elle traînait encore dans les couloirs, la petite mademoiselle Parker n'avait pas son pareil pour le faire savoir  « Il n'y a rien de bons en lui, il est comme un trou, un néant » Souvent, elle avait utilisé cette comparaison pour parler de lu, ça et l'image du Croquemitaine, que Jarod était tout bonnement incapable de comprendre, mais qui semblait mettre en exergue quelque chose de mauvais. « - Donc parce que selon vous, il vous a offert la possibilité de faire ce que vous aimez, il vous a permis de devenir meilleure ? Etes-vous au moins sûre de faire ce que vous aimez vraiment ? Parfois, sur certaines simulations, il m'arrive de me dire que j'aime faire ça, mais en aucun cas, je n'ai l'impression d'être meilleur. C'est juste sur l'instant, parce que je me suis senti utile et que j'ai peut-être, aussi fictive soit mon aide, apporté quelque chose à quelqu'un. Raines et le Centre ne nous élève pas, qu'importe ce que l'on fait. » À vrai dire, il était presque choqué que quelqu'un, aussi censé soit-il, puisse laisser entendre être à la recherche de l'amour de Mr Raines. « - Il est incapable de ça, c'est un monstre et comment pouvez-vous attendre de l'amour d'un tel être ? » Il commençait à se braquer, c'était évident, plus qu'il ne l'aurait voulu.  « - Comment ça contrairement à moi, vous savez ce qui vous attend ? » La jeune femme essuya les larmes qui menaçaient de perler sur son visage soudainement devenu trop froid pour être agréable aux yeux de Jarod. « - Je ne comprends pas » finit-il par laisser entendre avant que la scientifique ne fasse entendre, avec bienveillance, ce qui ressemblait à une ultime réplique avant la sortie de scène.

« - Alors ça veut dire que je serais libre un jour ? Que je retrouverai ma famille ? » Il se surprit à sourire malgré les précédents échanges. « - J’espère que vous, vous obtiendrez ce que vous voulez. Vous n’êtes pas une mauvaise personne, j’en suis convaincu. Il y a quelque chose de bon en vous. Mais ce n’est pas ici que vous serez meilleur. »

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Il la fixait avec intérêt, tout en sentant poindre en lui une once de méfiance. Ca le blessait quelque part d'en être arrivé là à cause du Centre. Jarod ne voulait pas se méfier des autres, il voulait apprendre à les connaître s'ils concentraient à cela. Mais plus encore, apprendre de nouvelles choses, rencontrer de nouvelles personnes. Une sociabilité qui n'avait eu de cesse de s'accroître durant les années, mais qui était désormais mise à mal à cause de ce qu'on lui avait fait subir. Miss Rowling comme il se plaisait désormais à l'appeler, lui semblait pourtant gentille (à sa façon) bien que pourvue d'une froideur inhérente aux scientifiques, qui pour la plupart (du moins ceux qu'il connaissait ici et ceux qu'il avait étudié lors de ses simulations) mettaient de la distance avec leur sujet pour ne pas compromettre la réussite, ou à l'inverse pour ne pas que l'échec soit trop pénible à vivre. Une attitude que le caméléon avait aussi observé à certaines reprises chez Sydney voire même chez mademoiselle Parker, du temps où elle errait encore dans les couloirs du Centre.

« - Attendez ! » fit-il entendre à sa suite, alors qu'elle s'afférait à ramasser ses affaires, signalant de ce fait, la fin de l'échange. Quelque part, malgré l'étrangeté de ses mots, Jarod ne voulait pas que Saoirse s'en aille trop rapidement, pire encore, il voulait comprendre ce à côté de quoi il était passé. « - Alors cela voudrait dire que l'amour est plus qu'un sentiment, qu'il va au-delà de la raison ? Beaucoup de gens ont aimé des monstres au cours des siècles passés, sans en être eux-mêmes. Mais peut-être que finalement cet amour irraisonnable, les empêchaient de voir la réalité. Oui, c'est ça, vous ne pouvez voir le puzzle dans son ensemble. Je ne ressens pas de la haine contre cet homme, mais je crois de la pitié. Il faut avoir beaucoup souffert pour faire autant souffrir. Je ne veux pas vous juger, parce que vous me semblez sympathique et je crois que je peux vous apprécier, mais je pense aussi que vous devriez voler de vos propres ailles. Sortir, parce que vous le pouvez. Tout comme aimer, puisque vous êtes capable. Aimez d'autre personne ! Voyez le monde hors de ces murs ! Vous en avez la possibilité, alors faites le et vous verrez qu'il y a sûrement tant d'autres personnes qui peuvent être aimées par vous. » Il retrouvait l'espoir, dangereux en un lieu tel que celui-là. Mais c'était Jarod et il avait encore la naïveté de croire en un monde meilleur, tout comme il avait la naïveté de croire que finalement, il pourrait changer la demoiselle et la dévier de cet amour irraisonné qu'elle éprouvait en la personne de Raines.